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    Interview : "The Hours"

    Rencontre avec l'Américain Michael Cunningham, auteur du roman "The Hours", Prix Pulitzer 1999, dont l'adaptation sort ce 19 mars dans les salles.

    AlloCiné : Pourquoi avoir écrit un livre sur Virginia Woolf ?

    Michael Cunningham : Adolescent, j'étais surtout branché par la musique, le cinéma et l'expérimentation de drogues, pas par la littérature ! Une fille m'a alors conseillé de lire Mrs. Dalloway, le roman de Virginia Woolf. Elle m'a dit : "Tiens, lis ça. Sois un peu moins stupide !" Sans vraiment tout comprendre, je percevais la force, la musicalité, la complexité des phrases du livre. Je n'avais encore jamais lu quelque chose de la sorte. Je me souviens m'être dit : "Avec les mots, elle fait la même chose que Jimi Hendrix avec sa guitare. Virginia Woolf était une rock star !" Ce livre m'a donné envie de lire et de devenir écrivain.

    Au fil du temps, j'ai été frappé par le fait que le public s'attend à ce que les romanciers s'appuient sur de nombreuses sources comme éléments de base : l'enfance, des échecs amoureux,... En revanche, personne ne s'attend à ce que vous écriviez un livre qui parle de la lecture d'un livre, comme Mrs Dalloway, qui a été pour moi une expérience bien plus marquante, plus profonde et plus impérissable que la plupart des autres sources d'inspiration dites plus classiques pour un roman. J'ai alors eu envie d'écrire un livre sur la lecture d'un roman et j'ai choisi comme exemple ce livre, qui m'a prodément marqué.

    Comment avez-vous procédé pour imbriquer trois histoires en une ?

    Progressivement. Au départ, j'ai commencé par écrire une version modernisée de Mrs. Dalloway, curieux de savoir comment cette femme aurait été si elle était vivante aujourd'hui, avec plus de liberté. Je me suis alors rendu compte que mon interrogation était futile : certes c'était une idée plutôt intéressante, mais pas assez pour un roman entier. J'ai continué à la travailler en me disant que je pourrais établir une espèce de parallèle entre cette journée dans la vie de Clarissa (l'héroïne du roman, interprétée par Meryl Streep dans le film, NDLR) et le jour où Virginia Woolf (Nicole Kidman) a commencé à écrire Mrs. Dalloway. Mais il manquait encore quelque chose.

    Un jour, une image m'est alors venue à l'esprit : celle de Clarissa Dalloway debout, comme je la perçois, avec Woolf derrière elle – Woolf qui était et n'était pas Clarissa Dalloway. Puis j'ai vu ma mère, qui elle aussi était et n'était pas Clarissa Dalloway, debout derrière Woolf. Un tryptique ! De là est née Laura Brown (Julianne Moore), inspirée au départ de ma mère. C'est comme cela que je suis arrivé à l'intrigue définitive.

    Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans le long métrage ?

    Le producteur Scott Rudin m'a téléphoné pour m'annoncer qu'il voulait adapter le livre au grand écran. Je n'étais pas particulièrement emballé. On entend souvent des écrivains se plaindre de l'adaptation faite de leur roman à Hollywood. Je compatis avec eux, mais à quoi s'attendaient-ils ? Regardez les films, regardez ce qu'ils font des romans ! Cela dit, le scénariste David Hare était impatient de l'adapter. Je connaissais déjà son travail, pour lequel j'ai énormément de respect. Je me suis dit que cela pourrait être intéressant, qu'un scénariste aussi doué que lui ait envie d'apporter à mon oeuvre une nouvelle dimension que je n'aurais pas forcément imaginée.

    Avez-vous travaillé en collaboration avec le trio d'actrices du film ?

    J'ai un peu discuté avec Meryl Streep sur son personnage : quel genre de musique elle écoute, les endroits où elle aime se promener dans New York... Avec Julianne Moore, c'était plus général : ses ambitions, comment elle en est arrivée là... Quant à Nicole Kidman, je l'ai juste rencontrée après le début du tournage. En fait, les acteurs et actrices ne ressemblent jamais aux personnages que j'ai imaginés parce que je me fais une idée extrêmement précise dans mon esprit. C'est un peu comme si on vous proposait de tourner un film sur la vie de votre mère. Seule votre mère pourrait camper le rôle car elle est unique !

    Que pensez-vous du film ?

    Une chose que j'ai apprise en regardant le film est qu'une adaptation cinématographique d'un roman entraîne toujours la perte de certaines choses. Il est évident que ce qui est possible dans un roman n'est pas forcément possible dans son adaptation cinématographique. Dans un livre, on peut entrer dans la tête du personnage, revenir indirectement sur leur passé, décrire leurs fantasmes... C'est plus difficile à accomplir dans un film qui peut, en revanche, apporter des détails en plus. Peut-être que la meilleure façon de rendre hommage au film est de dire qu'il colle bien à la vision que le réalisateur Stephen Daldry a du roman. Et il se tient tellement bien que je ne vois pas ce que je pourrais changer.

    Les Oscars approchent et The Hours est l'un des grands favoris de la compétiton...

    Les gens à la Paramount sont assez tendus : le film est nommé à neuf reprises... C'est énorme. D'un côté, l'idée de gagner est irrésistible. En même temps, je trouve qu'il y a quelque chose d'un peu ridicule dans un prix : l'idée que l'on puisse regarder un ensemble d'oeuvres sur une année et dire : "Ok, c'est celle-là qui gagne", de dire que The Hours a gagné et que Le Pianiste a perdu, ou vice versa, c'est comme désigner un gagnant parmi des légumes ! Si The Hours remporte l'Oscar du Meilleur film, ce serait néanmoins un honneur...

    Propos recueillis par Clément Cuyer et traduits par Camille Joubert

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