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    Richard Berry ouvre "La Boîte Noire"

    A l'occasion de la sortie de "La Boîte Noire", nous avons installé Richard Berry sur le divan d'Allocine. Fin connaisseur des forums du site, le réalisateur se dévoile sans langue de bois.

    AlloCiné : A l'heure où nous parlons, les retours de la presse et des spectateurs sont plutôt positifs pour "La Boîte noire". Vous avez réussi votre pari de vouloir distraire et toucher tous les publics...

    Richard Berry : Je voudrais inciter les gens à s'intéresser à leur boîte noire. Je n'ai pas envie de leur faire peur.

    Ca veut dire les envoyer sur le divan d'un psy ?

    Pas spécialement. Eventuellement, mais en tous cas savoir qu'on a une boîte noire, qu'on est pas seulement victime ou dépendant de ce qu'on appelle son destin. Qu'on peut agir dessus, savoir qu'il y a quelque chose d'autre qui fait notre personnalité. On est pas uniquement le fruit de notre conscient, on est aussi le fruit d'une partie immergée, comme un iceberg, qui nous détermine aussi. Simplement créer cette petite étincelle, c'est déjà beaucoup. Le divan d'un psy, chacun y va s'il en a envie !

    Votre film joue sur le tableau des films à chute, devenu courant dans le cinéma depuis une dizaine d'années et peut-être un peu lassant pour les spectateurs. Ici vous évitez cet écueil de manière plutôt astucieuse. Vous étiez conscient d'avoir à travailler là-dessus lors de l'écriture ?

    Ca a même été la base ! Dans la nouvelle, il n'y a qu'un niveau de lecture, c'est le conscient d'Arthur [Antoine dans la nouvelle, ndlr]. J'étais déjà en train d'écrire mon scénario quand j'ai lu la nouvelle, je l'ai trouvée très forte comme point de départ, pour bander le ressort dramatique, mais je me suis dit : "Il y a quelque chose de trop premier degré, de trop linéaire". Avant même de savoir comment on allait la développer, avec mon scénariste [Eric Assous ndlr] on s'est dit que ce qui serait fort c'est d'inventer une vision de son inconscient, d'en proposer une interprétation pour surprendre les gens lors de la deuxième partie. Ca faisait partie de mon challenge. Et j'avoue que ça a été extrêmement difficile de construire autour de ça. Diaboliquement difficile, c'était un casse-tête, ça m'a pris un temps infini, quasi-obsédant.

    Ce qui m'a sauté aux yeux lors de la vision au film, ce sont les références au cinéma de David Fincher. C'est un héros pour vous ?

    Oui. Et particulièrement le Fincher de Fight club. Mais sur les références dans La Boîte noire, elles sont essentiellement tournées sur le traitement de l'image, la désaturation des couleurs. En ce qui concerne la mise en scène, l'approche conjuguée de l'image réelle et l'image de synthèse... en France vous savez qu'on en a pas tellement les moyens, et qu'il faut donc trouver d'autres solutions. Il n'y a pas tellement de comparaison possible. En revanche c'est vrai que l'approche esthétique, l'image pour moi est déterminante dans un film, et c'est peut-être ce qui m'inspire le plus au départ, c'est pour moi le plus évident, le plus "facile" à faire, l'écriture étant tellement plus compliquée... C'est quelque chose sur lequel j'ai plus de travail.

    Je pensais à une scène en particulier, entre Héléna Noguerra et José Gracia, une scène de nu...

    Pour moi tout obstacle se surmonte. Et c'est quelque chose que je peux comprendre –humblement- : ce n'est pas parce que les gens sont nus que l'on va forcément donner une érection au spectateur, que l'on va créer un fantasme. Donc je me fais fort, par ma manière de les filmer, de respecter la pudeur des acteurs. Fincher, lui, pour la scène dont vous parlez, a tourné d'une façon qui coûte une fortune, inutilisable pour moi, et puis ça m'aurait coûté trois-quatre jours de tournage ! Donc j'ai utilisé une autre technique, pour moi tout aussi efficace : avec simplement un changement de vitesse d'obturateur, et en demandant aux acteurs d'adapter leurs mouvements à cette vitesse.

    Pour une partie du public, l'utilisation de références, d'influences à d'autres film est souvent perçue de manière négative. Peut-être pouvez-vous vous exprimer là-dessus au nom de tous les réalisateurs... Quel plaisir il y a t-il à "faire" des références ? Pourquoi en fait-on ?

    Quand on fait une référence, je suis pas sûr qu'on en soit tout à fait conscient, et parfois quand on en fait une, c'est pas celle là que les gens lisent... Donc quand on fait une référence, je pense qu'elle est d'abord totalement honnête, puisque c'est comme une citation ou des guillemets... Et en même temps je pense que le cinéma arrive à un stade aujourd'hui où certaines images et certaines scènes, certains univers visuels même, entrent dans la mémoire collective du spectateur, appartiennent à la culture collective, et plus particulièrement des spécialistes – puisque c'est ceux-là qui viennent écrire sur Allociné des choses qui sont plutôt affûtées et intéressées : ils décodent les références, et parfois même trop ! Il y a déjà toute une polémique sur votre forum autour de La Boîte noire qui me fait pisser de rire : rien que sur le teaser il y en a un qui dit qu'il y a des références avec Memento ! Mais mon film n'a aucun rapport avec Memento ! Ni dans la façon de le filmer, ni dans le sujet ! Je ne parle pas de la mémoire mais de l'inconscient, ça n'a rien à voir ! Mon personnage n'est pas amnésique, il sait très bien qui il est. La seule amnésie qu'il a est liée à tous les traumatisés qui ont vécu un coma : ils ne se souvient plus des quatre-cinq heures qui précèdent l'accident. C'est un classique, si j'y avais dérogé on m'aurait dit : "C'est faux".

    Vous avez déclaré avoir enfin trouvé votre forme d'expression avec ce film. La réalisation c'est quelque chose que vous portiez vraiment en vous depuis longtemps ?

    Oui. On parlait de références cinématographiques, qui fabriquent notre histoire : je suis autodidacte, j'ai fait des études très succinctes, qui ne m'ont pas apporté grand chose à part une envie de lire (ce qui est déjà pas mal) et en particulier la philo et la psychanalyse, mais j'ai fédéré ma culture sur des films qui m'ont fasciné, et puis la peinture, l'architecture : ce sont les bases même de ma vision du monde. Les émotions que j'ai éprouvées devant des tableaux comptent pour beaucoup dans ma perception, que je traduis tout le temps à travers l'image... Je fabrique des images, mais certainement que je ressors sans m'en rendre compte des tableaux qui m'ont impressionné –de la Renaissance à Julian Schnabell- et je suis "fabriqué" de ça, de la même manière que je suis fou de Bach, mais aussi très sensible à la Techno ou au R'n'B. Donc c'est tout ça qui se met dans ce que j'essaie de communiquer au spectateur, tout ça que je gardais en moi mais que finalement je ne m'autorisais pas à dire ni à montrer comme ça...

    Pourquoi ?

    Je ne sais pas. Je pense d'abord par feignantise, une espèce de confort dans lequel je m'étais installé, par le fait que ma carrière d'acteur fonctionnait très bien. Si je n'avais pas dis un jour "Stop, je fais mes films !", j'aurais continué comme ça...

    Vous vouliez vous mettre en danger ?

    Non... C'est quand ça a été de plus en plus fort, je ne pouvais plus accepter de ne pas dire les choses comme j'avais envie de les dire et ne pas montrer les choses comme je voulais les montrer. J'en avais plein le c... de faire des choses qui ne m'intéressaient pas. A un moment donné j'ai dit "Tant pis, je vais gagner moins de blé, je vais faire moins de films", et j'ai commencé à écrire. Mais même là j'avais encore cette inhibition, cette timidité, où je ne me lâchais pas... Moi qui aime la symétrie, si mon opérateur ou mon cadreur me disaient "Tu préfères pas qu'on fasse plutôt comme ça ?" je me laissais un petit peu influencer. Et puis au bout du troisième film je me suis dit "non, c'est symétrique, je cadre, je tiens la caméra, je définis mes décors, mes couleurs, mes images, tout, les moindres détails". Je me suis fais confiance, je me suis abandonné à moi-même. Et ça m'a pris du temps. Aussi loin que je me souvienne, ce sont les images qui ont généré mon envie d'être dans ce métier.

    Donc le métier d'acteur était un préambule à la mise en scène ?

    (Avec un sourire songeur) Je me demande, oui. Pas faux...

    Mathieu Kassovitz et Jean Pierre Jeunet ont eu une expérience aux Etats-Unis. Et si Hollywood vous appelle ?

    Mais ils m'ont appelé ! Justement, je suis en train de réfléchir à la question, j'ai reçu pas mal de scénarios.

    De la part de gens qui ont vu "La Boîte noire" ?

    Même avant qu'ils voient le film ! Ils ont vu le promo-reel (bande promotionnelle à destination des professionnels, ndlr). C'est allé vite. C'est ça qui est formidable avec eux, ils ont même pas attendu de voir le film pour m'envoyer des projets, et puis c'est du lourd, avec casting et tout... ça fiche la chair de poule. Mais je réfléchis, ça prend du temps. J'ai refusé des films où je ne voyais pas quel fond je pouvais apporter. Mais là ça commence à s'affiner. J'en ai reçu un ce matin, ça commence à être un autre niveau, c'est assez fort. Si ça continue comme ça je vais l'avoir mon Alien 6 ou mon Gothika ! – qui n'était pas très bon d'ailleurs. Mais c'est là où j'ai peur : il ne faut pas prendre n'importe quoi. Y aller avec quelque chose qu'on sent pouvoir revendiquer.

    Et parmi tous ces projets, aux Etats Unis ou en France, il y en a un qui se détache plus particulièrement ? Des noms ?

    Non. D'une part il y a ces sujets qu'on m'envoie des Etats-Unis, et puis une version américaine de La Boîte noire, The Black Box : c'est bizarre, pas inintéressant, j'améliorerais certaines choses... et puis c'est quand même excitant ! Et j'ai d'autres sujets à faire en France, qui sont les miens, ou qu'on me propose... Pour l'instant j'ai envie de laisser trotter ça dans ma tête. J'ai envie de voir l'effet que ça fait quand on met ça au repos après bien avoir battu la sauce... Au bout de trois semaines, tel projet qui te paraissait excitant te paraît beaucoup moins bandant, alors qu'il y en a un autre qui reste... Je pense qu'il faut que je prenne le temps, on verra ce qui résiste. Je suis très travailleur, besogneux, quand je commence à écrire un scénario il faut que ce soit du 10h-19heures (ça rend fou Eric, avec qui je travaille, parce que lui il est plutôt du genre à arriver à onze heures !). C'est beaucoup de travail. J'écris, j'écris, j'écris et puis au bout d'un moment il y a quelque chose qui reste. Quelque chose que j'ai envie de voir...

    Propos recueillis par Jérémy Noé le 11 octobre 2005

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