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    "Nanny McPhee" : Rencontre avec Emma Thompson

    A l'occasion de la sortie de "Nanny McPhee", AlloCiné a rencontré Emma Thompson. Dans un français quasi-parfait, pleine d'humour et la verve prolifique, elle évoque le film et sa carrière. "Tea time" !

    AlloCiné : Au gré de votre filmographie, on sent que vous cherchez à vous éloigner de votre image de belle femme...

    Emma Thompson : Quand j'étais jeune, j'étais militante féministe et j'avais un problème avec la féminité. J'étais pleine de rage. Je trouvais qu'il était plus difficile pour les femmes de faire de la comédie et que ça l'était moins pour mes amis acteurs. Ca m'agaçait. C'était très compliqué parce que ma mère (l'actrice Phyllida Law) était une femme émancipée. Elle m'a raconté des histoires sur les actrices très féminines, qui prenaient une cigarette et qui attendaient qu'un homme vienne leur allumer. Elle détestait cette espèce de féminité. J'ai hérité de ça. En Angleterre, c'est une chose difficile d'être une femme, parce que le féminisme n'est pas très bien développé. Mais quand je suis en France, c'est quelque chose de différent. Bref, je suis trop bavarde : quand j'étais jeune, j'ai évité d'être féminine.(rires)

    Je crois aussi que je me suis embellie avec l'âge. Comme ma mère, mon visage est plus beau maintenant. Et puis je préfère être une actrice de caractère, quelqu'un qui joue des personnages de caractères et pas l'ingénu. J'ai voulu faire de la comédie. C'est dans ce milieu que j'ai commencé. A l'époque, c'était difficile d'être femme et d'être drôle. Si les femmes étaient très grosses ou très laides, elles étaient drôles, mais être drôle et belle, non. Je crois que les hommes ne veulent pas rire aux femmes, ça enlève quelque chose sexuellement, c'est compliqué. C'était la première tranche de ma vie, j'ai lutté avec tout ça. Et après être devenu actrice et avoir fait des tragédies et des drames, j'ai légèrement changé. Maintenant, j'ai 46 ans, mes passions sont les mêmes, je ne me prends pas trop au sérieux. Alors je porte des talons...(rires)

    Qu'est-ce qui fait que les films que vous écrivez sont à l'inverse du côté moderne que vous incarnez ?

    Nanny McPhee, c'est quelque chose de très différent (en référence à son premier scénario, Raison et sentiments). Je crois qu'en fait, la structure de l'histoire est quelque chose de très probant dans l'âme humaine. Nanny McPhee n'est pas une romance, mais un western. Si on analyse un peu cette histoire et celle de Mary Poppins, je me suis rendue compte qu'elles sont comme ce genre de cinéma. C'est l'étranger qui arrive dans une situation de chaos, où personne ne peut restaurer l'autorité. Il use de méthodes peu orthodoxes, restaure un équilibre, mais doit partir ou mourir, comme dans un western. Au fond de notre humanité, c'est la même histoire, et c'est aussi l'histoire de toutes les religions. Nous avons besoin de ça. Bien sûr, je voyais un conte de fées, comme tout le monde. Evangeline (Kelly MacDonald), par exemple, c'est Cendrillon. Et l'affreuse belle-mère existe dans tous les contes de fées, comme le disent les enfants. Il y a pleins de preuves qui le démontrent... (rires)

    Il est difficile de ne pas penser à "Mary Poppins" quand on voit le film. Avez-vous avez essayé de vous détacher de cette image ?

    J'étais consciente que c'était une histoire un peu similaire. Mais pour moi, Mary Poppins est tout à fait différent, au niveau de l'histoire, des personnages... Nanny McPhee n'a pas d'égo, contrairement à Mary Poppins. Nanny McPhee est présente, elle observe, mais elle ne fait rien du tout. Et puis là, ce sont les enfants qui font tout pour eux-mêmes, c'est ça que je préfère. Mary Poppins fait tout, les enfants sont impressionnés et joyeux à cause d'elle et pas à cause d'eux. La différence est là, parce que je crois que l'attitude envers les enfants a beaucoup changé. Nous avons beaucoup sous-estimé les enfants, surtout dans la culture... Au commencement de ce projet, j'étais avec un producteur qui pensait que c'était trop doux et que les enfants ne pourraient pas se concentrer. J'ai dit : "Je m'en fous, on va le faire, c'est ça que je veux !". Et quand je suis au cinéma avec des enfants, c'est incroyable parce que, bien sûr, ils peuvent se concentrer. Ce sont les adultes qui ne le peuvent pas (rires).

    Fondamentalent, qu'est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?

    Je venais de terminer Raison et sentiments, le film était sorti avec assez de succès et j'ai voulu continuer de travailler avec la productrice Lindsay Doran. Quand on écrit, on a besoin d'un moteur... Je crois que c'est vraiment important de travailler avec quelqu'un qui peut dire : "Ca, ça ne marche pas, il faut l'enlever, etc..."... Et puis un jour, je faisais du ménage à la maison et j'ai découvert ce petit livre. Je me suis souvenu que je l'avais lu étant jeune. Il y avait un petit dessin de cette hideuse nounou, avec la dent qui sort, les verrues, l'unique sourcil. C'est très bien décrit dans le livre : "Le nez comme une pomme de terre." J'ai pensé que c'était très intéressant visuellement pour un film d'avoir un personnage dont l'apparence physique change... C'est une question de perception. La perception d'une personne très laide peut changer complètement. On peut dire qu'au moment où les enfants comprennent ce qui existe à l'intérieur de Nanny McPhee, elle change. Ou bien, imperceptiblement, ils l'aiment de plus en plus...

    Comment expliquez-vous le fait que l'on revienne à des adaptations de livres pour enfants : "Harry Potter", "Nanny McPhee", "Lemony Snicket" ou "Narnia" ?

    Nous ne développons pas les écrivains pour le cinéma. C'est pour cela que, souvent, les films sont des adaptations. Pour moi, le plus important maintenant est de trouver quelque chose d'original. On peut imaginer que le film est une forme qui inspire, mais c'est peut-être que nous sommes trop paresseux. C'est plus facile en fait. Comme vous le savez, les histoires pour enfants commencent souvent avec l'absence d'un parent. C'est ça le chaos, c'est la chose la plus insupportable pour les enfants. Et c'est intéressant parce que dans le western, c'est la loi. Il y a une autre connexion entre le western et ma créativité. J'ai adoré regardé les westerns avec mon père. Ce film est une sorte d'hommage.

    Cela n'a pas été trop difficile de tourner avec sept enfants ?

    J'étais terrifiée à cette idée, parce qu'on dit toujours qu'il ne faut pas travailler avec les enfants ou avec les animaux. Et là, il y avait les deux ! L'âne... Jamais plus avec un âne ! Il était si terrible, il ne pouvait pas jouer. Vous savez, la légende à la fin du film, dit "Aucun animal n'a été maltraité", et bien j'ai voulu torturer cet âne ! (rires) Mais les enfants étaient absolument parfaits. Nous avons pris à peu près quatre mois pour les auditionner, travailler avec, trouver ceux qui pourraient supporter un tournage aussi long. Ils étaient charmants, ils ont joué avec instinct. C'est incroyable à voir. Je leur ai dit que si on perdait du temps pendant le tournage, cela coûtait de l'argent. Ils ont tous compris ça. Ils étaient parfaits, vraiment... Colin Firth, au contraire, était très difficile ! (rires)

    Angela Landsburry, qui joue dans "Nanny McPhee", incarne aussi, dans le Disney "L'Apprentie sorcière", une nurse qui a recours à la sorcellerie. Est-ce qu'en Angleterre, on utilise toujours la sorcellerie quand on est nurse ?

    (Rires) Oui et non... Je pense à Margaret Thatcher, c'est la grande nourrice de l'Angleterre, avec une magie un peu noire... C'était intéressant malgré tout, car la nourrice est quelque chose de très anglais. L'auteur Christianna Brand a été élevée comme ça et ses textes sont les récits de sa propre jeunesse, racontés par son grand-père avec l'introduction de la nourrice. C'est vraiment anglais. Pendant la période victorienne, il y avait toujours une nourrice avec les familles de classe moyenne. C'est bizarre, parce qu'à cette époque-là, nous avons inventé l'enfance. Cela n'existait pas avant dans le sens où nous le comprenons aujourd'hui. Avant, les enfants étaient seulement des petits adultes qui attendaient de grandir...

    La chose qui me fascine, en ce moment, ce sont les programmes comme Super Nanny, qui montrent que nous sommes un peu confus face à la manière d'éduquer nos enfants. Les parents sont vraiment angoissés et on veut qu'une personne extérieure vienne donner les règles. Je crois que nous avons perdu, dans un sens, la capacité de vivre dans le chaos. Nous sommes tellement réglés, nous pensons être libres, mais nous sommes complètement perdus. Il me semble qu'il y a une sorte d'angoisse, de confusion, surtout autour de la famille, parce que les rôles sont différents, les femmes travaillent. C'est pour ça que Nanny McPhee est beaucoup plus révélateur aujourd'hui qu'il y a neuf ans, quand j'ai commencé à écrire. Les choses attendent le moment précis pour sortir, c'était la même chose avec Raison et sentiments.

    Est-ce que le fait de devenir mère vous a aidé à passer plus facilement du personnage de "Carrington" à celui de "Nanny McPhee" ?

    Devenir mère m'a complètement changé. Carrington, c'était un personnage très intéressant pour moi, car elle était en conflit avec sa sexualité et sa personnalité. Elle n'était pas du tout en osmose avec elle-même. Il y avait beaucoup de connexion, et maintenant tout est différent. Mais le plus bizarre, c'est qu'après avoir eu un enfant à 40 ans, tous mes rôles étaient pleins de peines... Sauf pour Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban et Nanny McPhee. Maintenant, je veux être un peu moins sérieuse. Il y a eu Wit sur le cancer, Angels in America sur le Sida, Disparitions sur la torture en Argentine... Maintenant, je veux prendre un chemin un peu plus léger.

    Pourquoi êtes-vous si rare au cinéma?

    Parce que j'ai une fille. Mais je sais que quand je serai sur le lit de mort, je me dirai à moi-même : "J'aurais dû faire plus de films !" (rires) Je sais ça. J'adore travailler, mais je ne travaille pas, parce que je ne veux pas laisser ma fille, je veux l'élever moi-même et la voir grandir. Enfin bon, elle va bientôt me dire : "Assez maman... Au revoir." (rires)

    Propos recueillis par Emilie Lefort le 3 février 2006.

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