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    Rencontre avec le réalisateur de la trilogie "Pusher"

    AlloCiné a rencontré Nicolas Winding Refn, réalisateur de l'impressionnante trilogie "Pusher", en salles ce mercredi. Plongée dans l'enfer de la criminalité danoise...

    AlloCiné : Pourquoi avoir décidé de débuter avec un film comme "Pusher", qui aborde la dure réalité du milieu criminel ?

    Nicolas Winding Refn : Etant jeune, j'étais fasciné par les gangsters et leur mode de vie, mais alors que j'étais en train de réaliser le film, je me suis rendu compte que cet univers n'avait en fait rien de fascinant. J'ai changé de point de vue en m'intéressant au psychisme des personnages. Les histoires de drogue et de crime me sont alors apparues comme des aspects secondaires. C'est pour cela que je considère la trilogie Pusher comme une série de films montrant des individus dans un environnement criminogène plutôt que des films sur le crime. Cette vision est devenue le concept même du film, un peu à la manière de Shakespeare qui abordait la notion de famille de manière métaphorique en la considérant comme le cocon, alors qu'il se concentrait sur les conflits internes des personnages.

    Quelles ont étés les conséquences de ce changement de point de vue sur le film, en cours de réalisation ?

    Mon changement d'approche est très visible dans le film. On peut clairement considérer que le premier Pusher se divise en deux films distincts : une première partie qui a tendance à valoriser le mode de vie des gangsters (profiter de la vie pleinement et mourir jeune) alors que la seconde moitié du film montre un homme dont l'incapacité à exprimer ses émotions causera sa chute. Même si ce n'est pas forcément évident au premier abord, en y réfléchissant on se rend compte qu'il est entièrement responsable de ce qui lui arrive. Au final je trouve que c'est cette évolution, non seulement dans l'histoire mais également dans le point de vue, qui rend le film intéressant et original. Tellement de films de gangsters ont déjà vu le jour !

    Comment avez vous choisi d'aborder "Pusher 2" et "Pusher 3" ?

    Pour le deuxième et le troisième Pusher, mes intentions étaient beaucoup plus arrêtées, c'était quelque chose de nouveau pour moi. Pusher II raconte l'histoire d'un homme qui recherche l'amour paternel alors que dans le troisième Pusher III, on voit un roi qui perd son empire et est forcé de trahir sa propre humanité pour le conserver.

    Vous êtes-vous inspiré de séries télévisées ?

    Oui et en particulier pour Pusher II et Pusher III. En fait je n'ai pas vraiment choisi de réaliser des suites à Pusher, j'avais décidé de passer à autre chose mais des contraintes financières m'ont poussé à revenir sur ma décision. Du coup j'étais très stressé et énervé lorsque j'ai dû revenir sur quelque chose que je considérais comme fini sans savoir si j'allais être capable d'y apporter une suite qui soit meilleure. Donc je cherchais désespérément une approche qui puisse constituer un nouveau défi pour moi. Il se trouve qu'à ce moment-là, les séries télévisées étaient devenues de tellement bonne qualité qu'elles avaient rattrapé voire même dépassé les films. J'ai alors commencé à considérer Pusher comme une franchise, comme un concept télévisuel dans lequel le monde du crime est l'élément familier récurrent alors que les personnages apparaissaient de manière épisodique. Le concept même de Pusher vient donc directement de la télévision et j'espère que dans le futur, l'évolution des moeurs va s'accélérer pour permettre aux spectateurs de choisir la manière dont ils veulent voir les films qui sortent. J'espère de tout coeur que cette révolution verra le jour, j'y crois fermement.

    Pourquoi avoir choisi de faire des suites indirectes de Pusher ?

    Je pense que j'avais besoin de changement. Le défi n'était pas simplement de faire le deuxième volume mais également le troisième. J'aime les challenges, j'aime me mettre volontairement dans des situations difficiles et stressantes car c'est cela qui me donne la motivation et la ligne directrice pour mener à bien mes projets. J'ai essayé de faire à la fois des suites au premier Pusher et des films nouveaux, indépendants les uns des autres.

    Pouvez-vous nous parler de la criminalité au Danemark ?

    Ecoutez, Hamlet se déroule au Danemark, on a un bon paquet de gens complètement tarés chez nous ! (rires) Plus sérieusement, je pense que comme dans n'importe quelle agglomération, la criminalité existe bel et bien.

    Dans "Pusher 2", on a quand même l'impression que la prostitution est extrêmement présente voir même officielle à Copenhague...

    La prostitution n'est pas officiellement légale mais tout le monde sait qu'elle est présente. Personne ne lève néanmoins le petit doigt pour changer cette situation. Régulièrement, les politiciens se posent la question de la légalisation de la prostitution mais rien n'évolue. Il est vrai que le quartier des prostituées que l'on voit dans Pusher II ressemble au Quartier Rouge d'Amsterdam mais malheureusement les conditions d'hygiènes y sont bien inférieures. Du fait qu'elle soit prohibée, cette prostitution est moins bien organisée et plus souterraine bien qu'à la vue de tous. En fait, tant qu'il n'y a pas de problèmes, les gens n'y prêtent pas attention.

    Vous avez tenu à mélanger les cultures pour le tournage du troisième "Pusher", quel était votre but ?

    Pour le troisième volet, j'ai tenu à engager des acteurs d'origines étrangères, histoire d'apporter du renouveau une fois de plus. Je me suis dit : "Pourquoi ne pas faire un film danois sans acteurs danois ?"Par ailleurs, vu que le film se déroule dans la société danoise actuelle, il était assez logique d'apporter cette diversité culturelle. Le casting était composé d'acteurs pakistanais, yougoslaves, polonais, russes, serbes, albanais, palestiniens... Il devait y avoir six ou sept nationalités différentes sur le plateau. En fait, il s'agissait d'acteurs habitant au Danemark mais à qui j'ai demandé de parler leur langue d'origine. C'était une manière de montrer la diversité de la population danoise et également de réagir face au racisme ambiant. Mon pays est très raciste, introverti et conservateur. Je suis en parfait désaccord avec cela et j'ai tenu à montrer la population telle qu'elle est réellement, c'est à dire pluriculturelle.

    Pensez-vous que les personnages sont responsables de leur environnement ou que c'est leur environnement qui les a rendu ainsi ?

    Je pense qu'ils en sont d'abord les victimes avant d'en être les acteurs. Au départ ce sont souvent des enfants qui ne se rendent pas forcément compte de ce qui se passe vraiment et qui peuvent être facilement manipulés par des gens plus expérimentés. Mais très vite la tendance se renverse. On pourrait comparer ce phénomène à une réaction en chaîne entraînant de lourdes conséquences et qui se transmet de génération en génération.

    Vous avez choisi d'apporter des fins ouvertes, laissant place à l'interprétation à vos trois films. Quel est le but de cette démarche ?

    Je pense simplement que l'art ne peut être apprécié à sa juste valeur que lorsqu'il crée le débat. Il ne faut surtout pas croire que la fin ouverte apportée au premier Pusher avait pour but de laisser place à d'éventuelles suites puisque encore une fois, j'étais résolu à passer à autre chose de manière définitive après cette expérience. Je crois que ça vient plus d'un désir de contrarier le spectateur, une sorte de sadisme mental. J'aime mettre le spectateur au défi de deviner ce qu'il va se passer, puis de le surprendre ou simplement de ne pas lui apporter ce qu'il veut. L'important, c'est de laisser place à une discussion où les points de vues et les différentes conceptions, notamment celles qui concernent le bien et le mal, s'affrontent. Cela ne signifie pas forcément que cette discussion sera satisfaisante mais de toute façon l'art n'est pas censé procurer une expérience agréable.

    Pouvez-vous nous parler de vos prochains projets ainsi que de la rumeur qui circule disant que vous auriez écrit le script d'un quatrième "Pusher" ?

    Je travaille en ce moment sur un film d'action intitulé Valhalla Rising qui raconte la découverte de l'Amérique par les Vikings, avec Mads Mikkelsen dans le rôle principal. Nous sommes en ce moment en pré-production mais le script est déjà écrit. Mads vient de finir de tourner le nouveau James Bond et en novembre, il devrait assurer la promotion du film avec le reste de l'équipe. Nous débuterons le tournage de notre film l'année prochaine lorsqu'il aura un peu plus de temps. En ce qui concerne Pusher 4, il est vrai que je comptais développer le projet mais je n'ai pas encore écrit de scénario. Ce n'est qu'un vague projet, mais à l'heure actuelle, j'ai besoin de faire autre chose. Si je trouve de nouvelles idées et de nouvelles directions, pourquoi pas le réaliser d'ici quelques temps. J'aime ce concept à mi-chemin entre cinéma et télévision, qui pourrait me permettre de revenir sur Pusher de temps en temps avec de nouveaux épisodes.

    Vous et Mads Mikelsen avez l'air très liés, certains le considèrent même comme votre acteur fétiche.

    Bien que je l'aime beaucoup et que je le connaisse très bien, je ne dirais pas que je considère Mads Mikkelsen comme un ami car je fais la différence entre vie privée et vie professionnelle. En tout cas, c'est quelqu'un d'extrêmement talentueux et sympathique qui mérite plus de considération qu'il n'en a eu jusqu'ici. Je pense que son rôle dans Casino Royale devrait faire évoluer sa carrière dans ce sens de manière significative.

    Pensez-vous que cette nouvelle notoriété sera bénéfique pour "Pusher ?"

    Oui bien sûr, ça va aider, je ne peux pas le nier ! (rires).

    Propos recueillis par David Rich

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