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    Nos retrouvailles : rencontre avec l'équipe

    AlloCiné a rencontré les acteurs Jacques Gamblin et Nicolas Giraud, et le cinéaste David Oelhoffen, pour parler de "Nos retrouvailles", premier film prometteur à mi-chemin entre le polar social et la chronique familiale.

    Découvert au dernier Festival de Cannes, où il était présenté dans le cadre de la Semaine de la Critique, Nos retrouvailles sort en salles ce mercredi. On y retrouve des thématiques qui hantent bien des cinéastes français, de Jacques Audiard à Xavier Beauvois : rapports père/fils embarrassés, personnages au bord de la dépression et à la limite de la marginalité, flirt avec le film noir... Mais la sensibilité et l'authenticité qui se dégagent du premier long métrage de David Oelhoffen font de ces "Retrouvailles" une prise de contact riche de promesses. Interview avec le cinéaste et ses deux comédiens.

    Rencontre

    Nicolas Giraud (photo): Je viens de Charente-Maritime, j'étais prothésiste dentaire, passionné de cinéma. Et à la fin de mes études, je me suis dit que je voulais faire de ma vie un rêve. Je suis monté à Paris avec mon sac a dos. J'ai fait rapidement une pièce de théâtre, quelques téléfilms, une série... J'ai vite vu que ce n'était pas ce qui m'intéressait. Jusqu'à ma rencontre avec David en février 2004 pour le casting de son dernier court métrage Sous le bleu. J'ai senti que c'était le mec qu'il me fallait pour exprimer ce que je voulais.

    David Oelhoffen : Je viens du court métrage, mon premier court datant de 1996. Avant, je travaillais dans la production. Je n'ai pas fait d'école de cinéma, je n'avais pas de connexions avec ce monde. J'ai écrit Nos retrouvailles en 2002, j'ai obtenu le "trophée du 1er scénario" du CNC. Ensuite il a été longuement réécrit, et c'est surtout la recherche de financement qui a pris du temps.

    Discussion

    N. G. : J'avais le désir profond d'adhérer totalement à la vision de David. Lui, ce sont les mots, moi je suis le corps. Je l'ai suivi, c'est lui qui tenait Marco. On a eu énormement de discussions, on a beaucoup travaillé pour avancer au mieux, au plus précis sur le personnage.

    D. O. : Sur le plateau, quand je vois que le comédien tique, que quelque chose ne lui paraît pas naturel, je cherche à savoir s'il y a une raison, et si elle est valable on change. Même si je pense avoir des idées assez précises sur ce que je veux, heureusement que ça communique, que le comédien apporte des éléments nouveaux. Nicolas m'a surpris par sa façon de signifier l'émotion. Le juge le plus sévère de Nicolas, c'est lui-même. A chaque fois qu'il était un peu dans le truc, dans la technique, il s'en rendait compte. J'ai été également surpris sur la table de montage en découvrant des choses que je n'avais pas vues.

    Confrontation

    D. O. (photo) : Si les scènes de violence du film sont (j'espère) particulières ou originales, c'est parce qu'il n'y a pas un regard complaisant ou fasciné. J'essaie de la rendre de la façon la plus réaliste possible. Pour moi, la violence, c'est assez peu spectaculaire. Ca peut être assez lâche, terriblement banal et effrayant parce qu'on peut tuer quelqu'un de deux coups de poing, de façon très "quotidienne". La violence est particulièrement dérangeante parce qu'elle n'est pas esthétisée, stylisée. Pour moi, la distance juste de la caméra par rapport à la violence, c'était le regard de Marco. J'avais envie de filmer exactement ce que pouvait supporter le regard de Marco, qui est complice de cette violence, et qui en même temps la déteste, parce qu'il ne la supporte pas, parce qu'il culpabilise. D'une façon générale, dans le film, tout passe par ce filtre : le regard de Marco.

    Filiation

    D. O. : Certains films m'ont énormément nourri quand je réfléchissais à Nos retrouvailles. Un film qui m'a beaucoup remué, c'est Fat City (photo), l'itinéraire d'un boxeur déchu qui n'arrive pas à remonter la pente. En terme de filmage de la ville, de rythme, de parcours de personnage, c'est un cinéma qui me plait énormément. Dans Meurtre d'un bookmaker chinois,

    il y a un rapport très particulier au film noir, qui me fascine et me comble en tant que spectateur. Je pourrais citer aussi Au nom du père ou le cinéma des frères Dardenne, qui me passionne. Je vois dans Nos retrouvailles un fond social et politique extremement présent. Il n'est pas mis en avant, ce n'est pas un film militant, mais c'est aussi un regard sur la France qui se lève tôt... et qui je pense va avoir la gueule de bois. [Nicolas Giraud évoque alors Selon Matthieu, et on suggère à notre tour Ressources humaines.] Ressources humaines est un grand film, notamment la scène de l'humiliation du père par le fils, ça m'avait fait pleurer. Cantet est un grand réalisateur, L'Emploi du temps est un grand film mélancolique sur le monde actuel. Tous ces films racontent une histoire familiale, des rapports humains en général compliqués, névrotiques, en s'appuyant sur des récits qui vont chercher du côté du film noir, vers des intrigues plus structurées. C'est un cinéma narratif, qui croit au récit, mais qui s'intéresse plus aux protagonistes qu'aux rebondissements du récit.

    Attraction

    Jacques Gamblin : J'ai adoré jouer ce personnage, c'est sûr. En revanche, j'ai beau chercher, j'aurais beaucoup de mal à le sauver...

    N. G.: Le père a été un modèle pour Marco, mais il arrive un moment où l'illusion ne suffit plus. Je crois que ce père emmène Marco sur un chemin vers lequel il n'aimerait pas forcément aller.

    D. O.: C'est un homme cabossé, abimé, mais pourquoi le fils le suit-il ? Parce qu'il amène de la vie. Ce type a envie de vivre.

    Collaborations

    D. O. :

    Gérald Laroche (photo), je l'avais effectivement remarqué dans les films de Xavier Durringer, où il dégage quelque chose de très fort, de charismatique. J'ai adoré Jacques Spiesser, son personnage ne parle pas beaucoup, et il ne s'est pas appuyé sur des trucs, ou de l'expressivité. C'est un jeu très en finesse. C'est un film sans femme –c'est peut-être d'ailleurs le problème de ces personnages : ce sont des hommes sans femmes- mais il y a quand même deux petits rôles féminins : Marie Denarnaud et Marie Matheron, deux superbes comédiennes qui ont accepté ces tout petits rôles. Marie Matheron n'a qu'une scène, mais on l'a énormément travaillée, car elle a plein de ramifications dans le reste du film. La place de la mère "contamine" le film au-delà de cette scène.

    Elaboration

    J. G. : J'ai eu ma période où j'aimais me raconter une histoire sur le passé du personnage. Mais plus le temps avance, et moins j'ai besoin de ça. Pour moi, un film c'est un rideau qui se lève, un rideau qui se ferme, et toutes les réponses à mes questions sont dans le scénario. Ou alors si elles n'y sont pas, c'est qu'elle ne doivent pas y être. Je n'ai plus besoin d'inventer un passé, je fais confiance à mes sensations. J'essaie d'imposer une évidence, une évidence de comportement, que je pressens dans l'écriture, dans les situations, dans le caractère du personnage. On sent plein de choses dans un scénario bien écrit, comme dans un livre qu'on relit plusieurs fois : des réponses apparaissent, se mettent à flotter, à venir à l'horizon. Je travaille juste sur la matière que j'ai devant les yeux. A moins que mon personnage ait un métier particulier...

    Par exemple pour Au coeur du mensonge, j'ai travaillé pendant quelques jours avec un peintre pour trouver mon geste, pas pour l'imiter mais pour accrocher une évidence, ne pas me tromper. Je me souviens toujours de mon père. Quand il voyait des acteurs qui jouaient des paysans, il me disait : t'as vu comment il tient sa fourche, il la tient à l'envers ! Cette phrase m'a marqué. Donc je veux toujours avoir une crédibilité quand il s'agit d'actes professionnels. Là, ce n'est pas le cas.

    D. O. Ce qui m'a fasciné en voyant Jacques Gamblin travailler, c'est l'attention au détail. Choisir le briquet du personnage, ou sa chemise, c'était l'occasion de discussions sur : est-ce que c'est un frimeur, etc. Pas des grandes conversations fumeuses sur le parcours métaphysique du personnage, non : du concret.

    Recueilli à Cannes le 18 mai 2007 par Julien Dokhan

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