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    "Battle for Haditha" : rencontre avec Nick Broomfield

    Documentariste reconnu ("Kurt & Courtney", "Biggie & Tupac"), l'Anglais Nick Broomfield est parti en Irak pour tourner caméra au poing son premier film de fiction, "Battle for Haditha". Le film est particulièrement marquant. AlloCiné est allé à la rencontre du cinéaste.

    AlloCiné : Le film s'appelle "Battle for Haditha" mais décrit un massacre, pas une bataille. Le titre du film est-il un hommage à "La Bataille d'Alger" de Gillo Pontecorvo, un film qui raconte des évènements similaires à ce qui se passe en Irak aujourd'hui ?

    Nick Broomfield : Il s'agit d'une sorte d'hommage à La Bataille d'Alger, un film vraiment brillant qui m'a sans doute plus influencé que n'importe quel autre film. Je pense que le mot "bataille" fait d'abord référence à la bataille des idées, à la confrontation des désillusions, et au regard différent que chaque camp dans cette guerre porte sur la réalité de ce conflit, la façon dont ils se regardent. C'est de ces batailles là dont il est question.

    Initialement, êtes-vous parti en Irak pour tourner un documentaire ou aviez vous déjà dans l'idée de réaliser votre premier film de fiction ?

    Je savais que je ferais le film de cette manière. Je voulais essayer de raconter cette histoire dans un nouveau style. J'ai fait beaucoup de recherches, comme je l'aurait fait pour un documentaire, et j'ai ensuite écrit un scénario en me basant sur le résultat de ces recherches. J'ai aussi essayé de convaincre beaucoup de personnes, qui ont été marines ou qui ont vécu le conflit de l'intérieur, de participer au film. Ils pouvaient apporter quelques chose que les gens étrangers à tout ca n'ont peut-être pas. Je pense qu'il y a une nouvelle manière de faire du cinéma qui utilise la réalité mais d'une manière cinématographique, par les moyens visuels ou par l'action. C'est différent des docu-dramas qui tente de reconstituer les évènements et c'est une nouvelle façon de faire du cinéma.

    Est-ce que vous aimez les films de Michael Winterbottom ou Paul Greengrass ?

    Certains des films de Paul Greengrass sont très intéressants. Je pense que l'on travaille un peu de la même manière, il tourne d'ailleurs avec l'un des opérateurs avec qui j'ai fait plusieurs films. Les films de Michael Winterbottom sont également très intéressants. Je pense en particulier à In This World, qui est sans doute celui qu'il ait fait qui est le plus proche dans le style de ce que j'ai fait pour Battle For Haditha.

    Votre casting est composé d'acteurs amateurs qui, pour l'essentiel, ont participé de près à la guerre d'Irak. Comment avez vous travaillé avec toutes ces personnes et étaient-ils en accord avec votre vision personnelle des faits ?

    Ils n'avaient pas besoin d'être d'accord avec moi. Ce qui était important c'est qu'ils soient en accord avec leurs personnages.

    Y a-t-il eu des difficultés pendant le tournage, nées du fait qu'une partie du casting est composée d'ex-marines, et l'autre partie d'Irakiens qui ont vécu la guerre ?

    Quand les marines ont rencontré pour la première fois les Irakiens, il y avait beaucoup de tension mais à mesure que le film avançait ils sont devenus amis. Ils étaient tous surpris finalement d'arriver à s'apprécier. Les Marines pensaient sans doute que les Irakiens ne sont pas civilisés mais ils ont passé du temps avec eux, ont appris à se connaître et ils ont changé d'opinion. Les Irakiens avaient les mêmes sentiments et beaucoup de méfiance par rapport aux Marines. C'était très intéressant et surprenant de les voir s'entendre bien au final.

    Les enjeux de la guerre d'Irak sont régulièrement évoqués dans de nombreux films américains récents ("Jarhead", "Dans la vallée d'Elah", "Le Royaume", "Redacted", "Lions et Agneaux", etc.) Les cinéastes se sont-ils, de votre point de vue, substitués aux journalistes, souvent décriés dans leur travail sur la guerre d'Irak ?

    Oui. Dans cette guerre en particulier, peu de journalistes sont vraiment allés sur le terrain. Ils ont surtout répété les communiqués de la Maison Blanche. Sur le terrain, ils sont encadrés par l'armée et n'ont pas une vraie liberté de parole, ou la possibilité de voir et de discuter avec les Irakiens pour mieux comprendre ce qui se passe. Mon film est sans doute le premier à montrer le point de vue des irakiens. Je pense que la presse américaine est très ignorante par rapport à cette guerre, par rapport à la vie en Irak, la culture irakienne. Il y a vraiment peu d'information sur ces sujets. Ce que j'espère que le film permet, c'est de montrer ceci, cet autre point de vue. Je ne crois pas que cette guerre oppose d'un côté les bons et de l'autre les méchants, je pense qu'il s'agit d'abord de comprendre les différents points de vue des uns et des autres. Le film est donc une tentative de représenter la situation d'un de vue humaniste, de trouver l'humain dans tout ça. Je pense que c'est à partir de là que l'on pourra sortir de cette guerre et commencer à voir plus loin devant. En se comprenant les uns les autres.

    Le film montre une situation inextricable dans lequel tout le monde est perdant : l'armée américaine autant que les insurgés, avec une population en otage...

    Je crois qu'il s'agit aussi d'une célébration de la bonté qu'il y a dans toutes ces personnes. Aucun n'est un tueur diabolique, ils croient tous en ce qu'ils font. D'une certaine manière, le film est optimiste.

    Le film montre une armée dépassée par les évènements et paranoïaque. Or c'est cette paranoïa qui explique en partie le massacre d'Haditha...

    Je crois que c'est vrai. Les Marines en Irak sont complètement renfermés sur eux même. Ils ne voient personne, n'ont aucune interaction avec l'extérieur. Ils ne voient pas leurs petites amies. La seule chose qu'ils essayent de faire, c'est survivre. Ces Marines sont aussi très jeunes. Ils ont a peine 17 ans, n'ont jamais vu un autre pays que les USA avant, ils n'ont pas fini leurs études... Je pense qu'ils se retrouvent de plus en plus isolés et ca les rend vraiment paranoïaques. De nombreux soldats développent des troubles psychiatriques. Ils sont stressés, n'arrivent pas à dormir. Tout ceci rend la situation très difficile.

    Le massacre d'Haditha, comparé au scandale de la prison d'Abou Ghraib, a-t-il eu un impact plus fort sur l'opinion publique américaine ?

    Le peuple américain ne veut pas avoir à faire à ça. Je crois que cela s'explique par le fait que, depuis la guerre du Vietnam, les enfants de la classe moyenne ne s'engagent pas pour partir au combat en Irak. Ce sont principalement des jeunes défavorisés qui partent là-bas : des Afro-américains, des Latinos, des Portoricains. Le grand public américain s'intéresse très peu à ce qui se passe en Irak.

    Propos recueillis par Benoît Thevenin à Paris, le 3 décembre 2007

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