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    "36 vues du Pic Saint-Loup" : interview avec Jane Birkin

    Comment tenir sur un fil de fer ? Que faire d'un koala tombé trop tôt de la poche de sa maman ? Jane Birkin a des réponses à ces questions ! Elle parle aussi à AlloCiné de "36 vues du Pic saint-loup", beau film de Rivette en salles ce mercredi.

    Dans "36 vues du Pic Saint-Loup", vous jouez les funambules le temps d'une scène. Mais ce n'était pas la première fois...

    Oui, j'avais fait ça pour le Gala de l'Union des Artistes [en 1973, Ndlr]. C'était magnifique. Il y avait tout le monde : Michel Simon, Belmondo qui se jetait dans le vide, Serge en clown, Claudia Cardinale découpée dans une boite, Leslie Caron en patins à roulettes... Moi, c'était le fil de fer. J'avais essayé avec un morceau de tuyau à Londres, ensuite j'ai pris des leçons avec un monsieur russe formidable du cirque de Moscou.

    J'y suis arrivée en même pas 2 semaines. Ils m'avaient mis des oreilles et une petite queue de lapin, ce qui était un peu humiliant. Il fallait que je ramasse des carottes sur le fil de fer... et j'ai réussi ! Donc quand Rivette m'a parlé d'un film sur le cirque, je lui ai dit : "Je ne sais rien faire, sauf éventuellement le fil de fer mais je ne sais pas ce qui m'en reste." Il a gardé l'idée, et, très maladroitement, j'ai pu le faire. Tout repose en fait sur le parapluie : si tu as le bon parapluie (ce qui n'était pas notre cas), ça t'équilibre, comme un oiseau.

    Comme votre film "Boxes", 36 vues du pic Saint-Loup" est un film peuplé de fantômes...

    Oui, décidément... Mais je savais pas du tout ce que j'allais jouer. J'ai dit oui parce que c'était un rêve de faire 3 films avec Rivette, avec de longs intervalles. Je mesure le temps qui passe à travers mes enfants : le premier film, c'était L'Amour par terre, Charlotte avait 9 ans, Lou était bébé, Pour La Belle Noiseuse, Lou avait 7 ans, elle s'amusait avec les enfants de Piccoli parce qu'on était tous dans la même maison. Cette fois, Lou a 27 ans... Rivette m'avait parlé de ce projet il y a quelques années. Il m'a juste dit "C'est sur un cirque". J'ai dit " Super, j'adore les animaux !", mais il a ajouté : "Ah non, il n'y aura pas d'animaux." Puis il a tourné Ne touchez pas la hache.

    Et il est revenu à cette idée qui lui était chère sans doute, et qui date peut-être de l'époque de La Belle Noiseuse, parce que ça se passe au même endroit, dans cette région du Pic Saint-Loup. J'étais si heureuse de savoir que ce serait avec Sergio Castellitto, je l'avais tant aimé dans Va savoir. J'avais même pensé à lui pour jouer dans Boxes. J'étais aux anges, mais je ne savais rien du tout, pas même si ce serait un personnage principal ou secondaire. Avant le tournage, il m'a juste donné la moitié du monologue du cimetière. C'est d'ailleurs pour ça que je le dis si vite ! Là, j'ai deviné que mon personnage, Kate, était amoureuse de quelqu'un qui est mort et qu'elle pense que c'est de sa faute.

    Après 3 films avec lui, en savez-vous plus sur l'énigmatique Rivette ?

    Non, je ne le connais pas mieux. Sa façon de travailler, je la connais, mais lui-même reste énigmatique pour moi aussi.

    Le film nous dit que le fait d'être sur scène permet de panser ses blessures... Avez-vous observé cela ?

    Je ne sais pas... Parfois, en tant que spectateur, on se sent moins seul en voyant certains films. Et puis il y a des films qui changent les lois, comme un film de Ken Loach qui a changé une loi anglaise sur les familles très pauvres auxquelles on arrache les enfants. Pareil en France avec les Harkis [Indigènes, ndlr]. J'aime aussi beaucoup un film comme The World, où tu vois des Chinois qui sont exactement comme toi. Le monde devient si proche et si tendre. Et puis il y a des films qui nous font devenir une meilleure personne, comme Parle avec elle. On m'a dit qu'il y avait plus de dons d'organes en Espagne qu'en France et que c'était peut-être dû à ce film. Dans 36 vues du Pic Saint-Loup, Sergio Castellitto vient juste pour panser les blessures des clowns qui ne font plus rire. C'est un ange, il ne vient ni pour l'argent ni pour la séduction. Ca me plait qu'il ne tombe pas amoureux de moi ou de la petite Parmentier, qui est pourtant délicieuse. Je trouve exquise cette façon d'être un guérisseur. Et quand son travail est fini, il part. A mon regret, parce que dans ma mesquine petite tête j'avais espéré qu'à la fin, je lui ouvre la porte de ma caravane Mais non, Rivette a voulu que ce soit aussi énigmatique que lui l'est, aussi étrange que tout le film.

    Votre premier film avec Rivette, "L'Amour par terre" (photo), avait déjà été présenté à Venise. Et le Président du jury cette année-là était Antonioni, qui vous a quasiment fait débuter au

    cinéma...

    Oui, et j'ai su ce qu'il avait pensé du film... Il était intervenu dans une émission de radio qui m'était consacrée. Il avait dit qu'il avait voulu me donner le Prix d'interprétation, et qu'il avait suivi toute ma carrière. Ca m'a tellement touchée, moi qui n'avais eu qu'un rôle de figurante dans Blow Up... C'était un sublime compliment. Plus tard, alors qu'il était devenu un très vieil homme, je suis allée à la Cinémathèque pour l'embrasser.

    Pendant que vous tourniez "36 vues du Pic Saint-Loup", votre fille tournait "Antichrist" en Allemagne...

    Oui, ça a donné des correspondances hilarantes. Moi, contrairement à elle, j'avais beaucoup de temps, parce que parfois, à 4 heures de l'après-midi, Rivette a tout ce qu'il veut et dit "C'est bon." Alors je me mettais à l'ordinateur et j'écrivais à Charlotte. Et elle aussi m'écrivait quand elle rentrait à son hôtel. Ce qu'elle avait à faire dans la journée, c'était une autre affaire ! " Aujourd'hui, je me masturbe contre un arbre. " Ou : " Demain je me fais étrangler et je ne sais pas quelle expression avoir, il me semble que les yeux doivent être exorbités... ". Alors je lui répondais : "Bonne chance ! Moi, je ne sais pas ce qui m'attend demain... " Ces formidables, ces correspondances qu'on a par mail, c'est un peu comme à l'époque de Virginia Woolf, quand les gens utilisaient peu le téléphone. Je garde les lettres de mon père dans ma chambre à coucher, comme s'il les avait envoyées hier, même des "Coucou, this is an in touch letter"... Charlotte a imprimé tous nos e-mails, au cas où on les perdrait...

    Maintenant qu'elle est en Australie, c'est le seul moyen que j'ai pour lui dire comment son film a été reçu ici à Venise, comment vont ses soeurs... Elle m'a raconté hier qu'elle était à Brisbane dans une clinique pour animaux blessés : un serpent qui avait perdu sa queue et avait des points de suture le long de son corps, des koalas qui avaient perdu un bras... Quand un koala tombe trop tôt de la poche de sa maman, il faut le mettre entre ses seins pour le garder au chaud. Du coup toutes ces dames de la clinique mettaient les bébés koalas entre leurs seins. Ca me fait rêver !

    Avez-vous des nouveaux projets de chanteuse, après cet album, "Enfants d'hiver", entièrement écrit par vous ?

    J'ai fait une trilogie : d'abord Oh pardon ! tu dormais..., un téléfilm qui est devenu une pièce de théâtre. Puis Boxes, mon plus grand souvenir d'aboutissement grâce aux acteurs. Mes mots devenaient magnifiques grâce à eux, à Lou qui pleurait à la première prise le premier jour, à Tchéky Karyo qui arrivait le lendemain, à John Hurt qui arrivait le 3è jour, puis tous les autres. J'étais ravie. Je ne sais même pas si je serais capable de faire un autre film. J'ai tout mis dans Boxes, peut-être trop –Rivette m'a dit : " Tu as mis un peu trop... ", mais j'avais tellement de choses à dire que je n'avais pas pu dire avant ! Ma trilogie s'est conclue avec ce disque qui parle de mon quotidien de personne très ordinaire qui s'inquiète pour ses enfants et aimerait avoir un dernier amour. Je fais une tournée jusqu'à fin janvier. J'aurai alors fait 7 ans de tournée ! Après, j'arrête. J'ai tourné dans une comédie qui va sortir bientôt, et après ce sera plutôt du théâtre. Mais je sais déjà qu'en 2013 je chanterai Arabesque à Marseille !

    Propos recueillis à Venise le 8 septembre par Julien Dokhan

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