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    Radu Jude nous présente "La fille la plus heureuse du monde"

    Sur la liste des nouveaux réalisateurs roumains, il faudra désormais ajouter Radu Jude, qui nous offre avec "La fille la plus heureuse du monde" un film proche du documentaire sur une jeunesse sans repères et matérialiste.

    Cette jeune fille est-elle représentative de la jeunesse roumaine ?

    Radu Jude: Je ne suis pas trop sûr... Elle a cet intérêt pour la vie quotidienne, les choses matérielles, ce désir de pragmatisme qui est, je pense, la marque de cette génération. Ce n'est pas une critique de ma part. Je me suis inspiré de personnes que j’ai pu croiser dans ma vie. Nous avons évoqué avec ma co-scénariste nos problèmes avec nos parents, qui n’étaient pas les mêmes que pour cette jeune fille mais proches. Il y a bien sûr un rapport entre le film et notre vie mais de façon indirecte.

    Qu’avez-vous souhaité montrer en faisant ce film ?

    J’ai voulu rendre un hommage aux tournages et aux équipes de films, à l’image de François Truffaut avec La Nuit américaine. Parfois, un tournage semble ridicule et mesquin. Beaucoup de personnes y sont prétentieux, arrogants : c’est aussi cette réalité que je voulais retranscrire. Cela m’a d’ailleurs donné une meilleure idée de mon travail (rires). J’ai surtout utilisé les choses que j’ai connues et que j’ai souhaité partager avec le public.

    Quelles ont été vos influences ?

    Truffaut bien sûr mais aussi le néo-réalisme italien, le cinéma taiwanais récent comme les films de Hou Hsiao Hsien, le cinéma d’Abbas Kiarostami. J’aime aussi le documentaire, ceux de Jonas Mekas qui a par exemple réussi à donner une grande signification aux petites choses. Beaucoup d’autres d’influences proviennent de la littérature moderne, des nouvelles d’Ernest Hemingway à Milan Kundera. J’aime surtout les petites histoires.

    Comment s’est passée la conception du film ?

    Je considère que les paroles sont très importantes au cinéma, le poids des mots prédomine donc tout était écrit même si on a laissé place par moments à de l’improvisation. Ce qui m’intéresse est de voir ce qui se cache derrière les mots. Je voulais faire une fiction qui ait l’air d’un documentaire. Durant le tournage, nous n’avons pas réfléchi à l’avance aux placements de caméra car je n’aime pas quand tout est planifié. J’aime la surprise, arriver sur le plateau et suivre mon instinct. Le film a été tourné en 20 jours. J’ai essayé de le tourner de façon chronologique mais je n’ai malheureusement pas pu le faire pour des problèmes de disponibilité des comédiens ou de météo. Il fallait que l’histoire se déroule en été : les étés sont généralement chauds en Roumanie, ce qui permet d’avoir une belle lumière. C'est un paradoxe ici puisque le présent n’est pas si magnifique pour cette jeune fille. Concernant le lieu de l’action, nous avons tourné sur la place de l’Université qui est en fait une métaphore : toutes les manifestations historiques importantes depuis les 20 dernières années ont eu lieu sur cette place. Elle est au centre de la ville.

    Pourriez-vous nous décrire la ville de Bucarest : son atmosphère, sa culture, ses habitants ?

    Si je vous demande comment est Paris, vous allez me dire qu’il y a plusieurs Paris, celui de la Tour Eiffel, de Montmartre etc… C’est pareil pour Bucarest. Cependant il y a un grand contraste entre le centre de la ville et la banlieue. Cette partie est en pleine construction, devient de plus en plus moche. Bucarest est une ville très dense, on y sent la nervosité des gens, je trouve que c’est un vrai cauchemar avec beaucoup d’hystérie et un manque total de politesse. Je vous avoue que je ne le supporte pas même si je lui trouve tout de même beaucoup de charme. La ville a évolué à travers le temps mais négativement il me semble, à cause de la surpopulation mais aussi des nouvelles constructions totalement chaotiques. Il y a de moins en moins d’espaces verts. Je circule en vélo et croyez moi, ce n’est pas le transport le plus sûr à Bucarest. Le problème est que les gens de la campagne viennent habiter à Bucarest car c’est ici que l’on trouve tous les métiers, là où se situent toutes les industries.

    Vous sentez-vous appartenir à la nouvelle vague du cinéma roumain ?

    Je pense que oui. Nous partageons tous ce goût pour le réalisme qui est vraiment l’élément commun. A côté de cela, il n’y a pas de vraie conscience de groupe, d’amitié particulière. Chacun émet sa propre voix. Nous ne pouvions pas dans le passé retranscrire cet intérêt pour la réalité. Vous y êtes arrivé dans les années 50 et 60 en France et en Italie alors que nous ne le découvrons que maintenant. Les réalisateurs roumains d’aujourd’hui ne se croisent pas autant ou n’agissent pas en groupe comme cela a pu être le cas à l’époque d’André Bazin et des Cahiers du Cinéma. Comme il n’y a pas vraiment de conscience commune, je ne sais pas si on peut parler de Nouvelle Vague…

    La Palme d’Or remise au film "4 mois, 3 semaines et 2 jours" de Cristian Mungiu fut une grande découverte. Quel impact cette Palme d’Or a-t-elle eu en Roumanie ?

    Le film a eu un grand succès auprès des journalistes, des intellectuels et des cinéphiles mais pas auprès du grand public. Ce n’est pas le genre de cinéma qui les intéresse. Par exemple, le film Che de Steven Soderbergh n’a fait que 1000 entrées en Roumanie ! Il y a de plus en plus de multiplexes en Roumanie mais il n’y a malheureusement que des films hollwoodiens. Il y a une crise évidente pour des films plus indépendants comme le mien. On n’offre pas assez au public ce genre de film, on préfère leur proposer des films en 3D, en numérique ou en Imax.

    Est-il difficile de financer son film en Roumanie ?

    Depuis un certain temps, la taxe qui permettait de financer les films roumains a été supprimée par le gouvernement. Conséquence : il n’y a eu aucun appel à proposition pour des tournages de nouveaux films en 2010 ! Nous sommes en période de crise. Je ne sais pas comment nous en sommes arrivés là mais à mon avis, il y a dû y avoir des arrengements politiques… Il faut aussi dire que le Centre National de la Cinématographie finance quelques bons projets, dont la Palme d'or, mais le plus souvent ce sont de très mauvais projets. Le CNC roumain a gagné plus de force grâce à la Palme, mais du coup, il se vante et n’accepte plus aucune critique...

    Propos recueillis à Paris le 23 novembre 2009 par Edouard Brane

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