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    "Slovenian Girl": rencontre avec le réalisateur Damjan Kozole

    Damjan Kozole revient sur son film "Slovenian Girl" et nous parle de prostitution estudiantine, de capitalisme et de son pays, la Slovénie. Rencontre...

    "Slovenian Girl" parle d’une jeune étudiante contrainte de se prostituer. Pourtant, selon vous, le film ne parle pas de prostitution… Quel est donc le message exact ?

    Vous dites qu’elle est contrainte de se prostituer. En réalité, je ne suis pas sur qu’elle y soit réellement contrainte. Je me suis demandé ce qui pousse une étudiante normale à se prostituer et je crois que tout repose sur la cupidité : en réalité, elle n’a pas besoin de tout cet argent pour survivre, mais elle en a besoin pour garder son niveau de vie, supérieur à celui des autres étudiantes de son âge. À seulement 22 ans, elle veut être propriétaire de son propre appartement et utilise son corps pour arriver à ses fins.  Comment une étudiante normale, comme il y en a des dizaines à Ljubljana ou à Paris, peut-elle en arriver là et en l’espace de quelques secondes, passer du statut de jeune fille normale à celui de prostituée et croire que personne ne réalisera ce qu’elle est en train de faire ? La Slovénie est un petit pays, et quand quelqu’un sort du rang, cela se sait très rapidement.

    Vous deviez appeler votre film "Dark side of the Earth". Pourquoi avoir finalement opté pour “Slovenian Girl”?

    Dans mon pays, on est persuadé que les jeunes filles slovènes ne font pas cela, que la prostitution vient d’Ukraine, de Russie ou des pays voisins de l’Est. Or, selon moi, nous ne sommes pas une nation plus vertueuse que les autres et c’est l’idée que j’ai voulu faire passer en choisissant le titre « Slovenian Girl » pour mon film : la Slovénie est elle aussi concernée par tout ça. D’ailleurs, cela a été difficile d’imposer ce titre dans mon pays, et ce même si mon film est tiré d’un fait divers paru dans nos propres journaux !

    Comment savoir de quoi on parle quand on traite d’un tel sujet ?

    J’ai rencontré quelques filles qui menaient cette vie, j’ai longuement discuté avec elles, et je me suis rendu compte qu’elles ressemblaient beaucoup à mon héroïne : le visage fermé, le caractère affirmé… Mais au bout de quelques minutes, les masques tombent. En réalité, on découvre des jeunes filles douces, fragiles et chaleureuses. Tout ceci n’est qu’une façade qui leur permet d’affronter la société, de tenir le coup. Le personnage d’Aleksandra est à leur image.

    J’ai lu que vous parliez d'Aleksandra comme d’une jeune fille froide, vénale et manipulatrice, comme si elle était plus coupable que victime.

    Mon idée était de construire un personnage qui n’avait pas de caractéristiques positives. C’est une menteuse, elle hait sa mère, elle manipule son prof, ses amies, son ex petit ami... Mais malgré ça, je voulais que les spectateurs ressentent de l’empathie pour elle. De même, lorsque l’on a un enfant turbulent, faiseur de troubles, on l’aime envers et contre tout. C’est ce que j’ai voulu faire avec le personnage d’Aleksandra, et au vu des réactions du public, je crois que cela fonctionne.

    Le film repose sur les non dits : son père, sa meilleure amie... Tout le monde sait qu'elle se prostitue, mais personne n’en parle. Pourquoi avoir pris le parti du silence ?

    C’est vrai, son père sait qu’elle se prostitue, mais sa fille représente toute sa vie ! Il est parfois plus facile de faire semblant… Nous avons tous nos petits secrets, d’autant plus dans une relation parent/ enfant. Et même si vous savez, il est parfois préférable de ne pas le montrer parce qu’au final, quand votre enfant grandit, tout finit par rentrer dans l’ordre. C’est pour ça que je pense que la fin du film est optimiste et qu’Aleksandra a une chance de s'en sortir.

    C’était une volonté d’avoir une parfaite inconnue dans le rôle principal ?

    Je cherchais une jeune fille à mi-chemin entre la femme et l’enfant, quelqu’un avec un corps fragile qui colle à cette image de femme-enfant, comme Nina Ivanisin. Au moment du tournage, elle n’avait que 22 ans et était étudiante en 3ème cycle d’école de cinéma. Slovenian Girl est son premier film mais elle commence à se faire connaitre en Slovénie ! Elle a eu deux ou trois rôles après. Ce film a vraiment été un bon point de départ pour elle.

    Vous semblez aimer les sujets politiques : l’immigration clandestine dans « Spare Parts », la prostitution aujourd’hui. Etes-vous perçu comme un cinéaste social en Slovénie ?

    Bien sûr, je vis avec mon temps et donc je traite de sujets de mon époque. Même si je réalisais un film sur Robinson Crusoé, je dirais quelque chose de social. Car il y a toujours une connotation sociale, surtout lorsque l’on parle du monde contemporain dans un petit pays comme la Slovénie. Mais je parle du monde d’aujourd’hui et j’essaie de poser un commentaire sur la réalité que j’observe.

    Le film se déroule lors de la présidence slovène de l’Union européenne. Vous-même, comment avez-vous vécu cette période ?

    Ljubljana est une petite ville, assez calme, et durant la présidence européenne, il y avait des voitures partout, on se serait cru à New York ! C’est cette atmosphère que j’ai voulu faire passer dans mon film. Mais c’est la seule différence notoire que j’ai pu ressentir durant cette période. Il n’y avait ni bon, ni mauvais côté à tenir la présidence de l’UE.

    Vous-même, vous vous sentez européen ?

    Je suis slovène je suis né en Slovénie mais j’ai développé un vrai sentiment européen, une conscience européenne. Sauf pour le sport ! Je suis un grand fan de mes équipes nationales. Hormis ça, je me sens plus européen que slovène.

    Quel est le cinéma que vous aimez ? Le cinéma étranger vous inspire-t-il ?

    J’ai découvert le cinéma avec la Nouvelle Vague. Quand j’étais jeune, je passais mon temps à la Cinémathèque, à voir des films de Godard, Truffaut, Rohmer, etc. Puis j’ai découvert le néoréalisme italien. Aujourd’hui, j’essaie de voir un maximum de films, surtout pendant les festivals. C’est une bonne opportunité de voir des longs-métrages venant de tous horizons.

    Comment se porte le cinéma en Slovénie ?

    On est une petite industrie du cinéma, nous produisons 3, 4 parfois 5 films par an. Ça parait peu mais nous sommes un petit pays. Nous sommes limités par la langue : seuls les Slovènes parlent slovénien. Je pense que le plus important est d’être présent lors de festivals, car c’est le seul moyen de promouvoir nos films. C’est lors d’un festival que le distributeur français, Epicentre, a vu mon film et a décidé de le distribuer en France, ce dont je suis très fier car c’est le premier film slovène distribué en France.

    Quels sont vos projets ?

    Je viens juste de finir le script de mon prochain film, Night Life, que j’espère venir présenter à Paris, le moment venu.

    Propos recueillis le 28 janvier à Paris par Mathilde Degorce

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