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    "Bellflower" : rencontre avec Evan Glodell !

    Evan Glodell nous parle en toute décontraction de son premier film, la balade chaotique et poétique "Bellflower", nouvelle sensation du cinéma indépendant US, en salles ce mercredi. Faites vrombir les moteurs !

    AlloCiné : Vous avez attendu plusieurs années pour réaliser ce film. Je crois qu’entre la première version du scénario et le tournage, il y a presque 8 ans. Pourquoi cela a-t-il pris tant de temps ?

    Evan Glodell : J’ai commencé à écrire le scénario en 2003, et je l’ai terminé très vite, en quelques mois. Le reste du temps, je l’ai laissé de côté, j’ai commencé à travailler sur d’autres projets, des courts-métrages… Et puis je me suis dit que l’histoire pourrait faire un bon court-métrage, tout en ne sachant pas comment m’y prendre. A l’époque j’avais emménagé en Californie, et, comme beaucoup, je voulais réaliser des films, mais ça n’avançait pas. Et un jour, j’ai eu un déclic, une angoisse, celle de ne pas voir se réaliser la vie dont je rêvais. J’ai alors été sur-motivé, je me suis mis à parler frénétiquement à plein de gens, et on a commencé à former une petite bande, tout en se fixant un point de non-retour : l’été 2008. On s’est fixé cette date de début de tournage, et on devait s’y tenir, même si tout n’était pas prêt. On a alors vendu toutes nos affaires, acheté un peu de matériel, commencé à mettre en place des choses, et après beaucoup d’attente, et grâce à cette motivation soudaine, on a réussi ! On a commencé le tournage pendant l’été 2008, et le film a été envoyé à Sundance à la fin 2010. Ce n’était qu’une version "work in progress", il manquait encore le mixage, et un peu de montage. Nous avons livré la véritable version finale du film en juin 2010, pour la sortie aux Etats-Unis.

    Le film a été réalisé avec une caméra que vous avez construite vous-même, un budget plutôt restreint (17 000 dollars ndlr), et l’image a un aspect rouillé, assez vintage, qui est pour beaucoup dans l’identité de "Bellflower". Pensiez-vous dès le début que l’image prendrait une place si importante dans le projet ?

    Absolument ! Joel (Hodge, le directeur de la photographie) et moi avons énormément parlé des nombreuses caméras que nous avions construites, et de l’image et du rendu final, peut-être plus que de tout autre aspect du film. Je savais que l’image était très importante sur un tel projet, et qu’elle pouvait à la fois nuire à l’histoire, ou l’améliorer. Et c’était important pour moi que l’image dise quelque chose de l’histoire. Cet aspect particulier renvoie à une sorte d’univers onirique, un peu abstrait, qui renvoie à la mémoire… Ce qui est en cohérence avec l’origine du projet, qui est basé sur un des souvenirs les plus marquants de mon existence.

    Dans le film, Woodrow et Aiden, les deux amis, sont comme des enfants, ils s’amusent des explosions, construisent des armes et des voitures, et c’est finalement Mily qui vient briser tout ça. De cette manière, le film se fait une métaphore du passage de l’enfance à l’âge adulte. Mais c’est une vision un peu pessimiste, non ?

    J’ai beaucoup entendu ça. On m’a aussi dit que mon film était nihiliste. C’est drôle parce que malgré la noirceur du film, il ne m’a jamais semblé ainsi. L’histoire n’est pas des plus joyeuses il est vrai, mais au final les deux personnages principaux décident d’avancer dans leur vie. Au bout du compte, leur amitié est toujours là, malgré ce qu’ils ont vécu, et ils ont appris de cette expérience, sans que cela soit forcément une fin pessimiste.

    Le personnage de Woodrow change beaucoup dans le film. Au début, il est bien propre sur lui, naïf, timide, et au final, après sa rencontre avec Mily, il devient "badass", un voyou. C’est ça, l’effet de l’amour pour vous ?

    C’est une question délicate. Je dirais qu’il se transforme à travers le regard de Mily. A la base c’est quelqu’un d’assez innocent, qui n’a pas eu beaucoup de copines, et il reçoit sa nouvelle situation de couple un peu naïvement. Il est heureux car il ne voit que les bons côtés, puis il se rend compte des mauvais vôtés, et il ne comprend pas, notamment lors de la fin de la relation. Son changement d’attitude vient de là, d’une réaction incontrôlée, irréfléchie, et purement pulsionnelle qu’il n’a jamais connue. Et sa virilité est remise en question, c’est aussi pour cela qu’il la réaffirme de la sorte, assez violemment.

    Bellflower

    L’histoire de "Bellflower" sort des schémas narratifs traditionnels, le film suivant plutôt les humeurs de son personnage principal. Ceci confère au film une sorte d’esprit organique très fascinant. La partie "mentale" semble d’ailleurs symbolique de ce lien entre les sentiments des personnages et la forme même du film. Cet aspect du film était-il prévu ?

    Tout à fait. C’est d’ailleurs comme cela que j’essaie d’expliquer le film aux gens. Bellflower a une structure émotionnelle plus que simplement narrative. Pour la partie "mentale" du film, on y a beaucoup réfléchi, et on avait décidé d’utiliser notre caméra la plus perfectionnée et la plus élaborée, pour rendre la séquence vraiment différente du reste du film. Avant le tournage, nous avions d’ailleurs établi un plan de travail avec les différentes caméras. Nous pensions commencer le tournage avec une caméra qui fait des images plus "arty", plus "jolies", puis passer à une autre caméra pour les séquences plus particulières de la fin du film. Mais finalement, on a tellement aimé tourner avec cette dernière caméra qu’on est un peu sorti des rails prévus et on a tourné nettement plus de scènes avec.

    Votre film semble partager des similarités, dans son ton, avec certains films des années 60 et 70, comme "Easy Rider". Il rappelle une sorte d’époque de rejet du conformisme, d’une génération désabusée… Pensez-vous qu’un film comme ça trouve encore une résonance aujourd’hui ?

    Beaucoup de personnes me disent ça, même mon père ! Mais j’avoue que je n’ai jamais vu de liens entre ces films et le mien. Je ne me souviens même plus de la dernière fois où j’ai vu Easy Rider ! Ces références sont peut-être inconscientes, ou elles témoignent vraiment d’une époque. Il doit y avoir aujourd’hui la même envie de tout envoyer balader que dans les années 70. L’apocalypse dont je parle dans mon film montre bien qu’il y a cette envie de tout détruire, et de recommencer à zéro, avec un nouveau système, et de faire ce qu’on veut !

    Vous-êtes vous senti restreint à cause du petit budget du film ? Avez-vous des regrets par rapport à vos envies de réalisation ?

    D’une certaine manière. Enfin, c’est vrai qu’on me dit souvent que ça aurait été cool d’avoir une course-poursuite en voiture, plus d’explosions… Mais même avec un budget plus conséquent, l’histoire aurait été la même ! Il n’y a rien qui manque réellement, et rien que plus d’argent aurait pu arranger. Evidemment, par moments on manquait de matériel, on avait des problèmes de lumière, et quelques scènes ont souffert de ces problèmes techniques… Après, je dois avouer un regret. Au moment d’un plan sur le dérapage de la muscle-car au ralenti, la voiture aurait dû cracher des flammes par ses pots d’échappement, et ça n’a pas fonctionné. On manquait de temps et on n’a pas pu refaire le plan, qui marche par ailleurs très bien. Mais c’est mon seul regret sur le film, c’est vrai.

    En parlant de la voiture, je crois savoir que vous en êtes le propriétaire. A quel moment du projet est-elle devenu un élément si important du film ?

    Dès le scénario. C’était important pour moi d’avoir une vraie voiture, qui crache de la vraie fumée et des vraies flammes. Il aurait été facile de faire des effets par ordinateur, mais ça n’aurait pas rendu pareil, et il n’y aurait pas eu la même ambiance dans le film. Donc la voiture a été pensée d’entrée. Après, ce ne fut pas facile de l’imposer à l’équipe, qui a véritablement dû mettre de sa poche pour l’acheter, la remettre à neuf et la transformer, et jusqu’au tournage, l’équipe m’en voulait un peu d’imposer un budget serré en raison du coût de la voiture. Mais dès qu’on a commencé à tourner, et à la vue des images, toute l’équipe a compris qu’elle était importante pour la personnalité du film, elle apportait vraiment ce côté "badass" et apocalyptique primordial.

    Vous êtes à la fois le réalisateur, le scénariste, l’acteur, le producteur et le monteur de "Bellflower". C’était important pour vous d’être à ce point à toutes les étapes de la création du film ?

    Pas vraiment, je n’y avais même pas pensé au début, je savais juste que je voulais être le scénariste et le réalisateur du film. Et puis quand il a fallu faire le film, j’ai commencé à auditionner des gens, sans jamais trouver ce que je recherchais. J’ai donc commencé à jouer le rôle, tout en pensant que ce serait temporaire, et je pensais vraiment que mon piètre jeu d’acteur condamnerait le film ! Mais on a eu beaucoup de temps et ça s’est bien passé, heureusement ! (rires) Tout au long du projet, j’ai cru qu’on allait pouvoir trouver un bon monteur, un bon producteur, un bon acteur…Mais ça ne fut pas le cas ! Et j’ai ainsi dû multiplier les rôles, et ce fut pareil pour tous les membres de l’équipe. Cette manière un peu artisanale de tout faire a vraiment rendu le film plus fidèle à mon idée de départ. Je l’ai fait sans forcément le vouloir à la base, mais ça m’a apporté beaucoup d’expérience, et le film s’en trouve grandi.

    Le film a fait forte impression partout où il a été projeté. Pensiez-vous avoir autant de si bons retours ?

    Pas du tout ! J’ai été très surpris, comme toute l’équipe d’ailleurs, de la bonne réception du film. Bien sûr, on savait que notre film était fauché, et qu’il serait à peine vu, mais secrètement on espérait qu’il puisse être acheté. Et on se disait que s'il était distribué dans un magasin de location, ce serait un succès suffisant pour nous. Mais ce qui nous arrive est complètement fou, je suis en France en train de faire des interviews, le film est sorti aux Etats-Unis… C’est fou ! (rires)

    Bellflower

    "Bellflower" est évidemment un pur film indépendant, dans la plus grande logique du terme. Avec la création de branches dites "indépendantes" par les grands studios, et présentes à Sundance par exemple, pensez-vous que cette notion signifie toujours quelque chose aujourd’hui ?

    C’est vrai que malheureusement, "indépendant" est devenu un style de film, plus qu’une condition économique et artistique. Et c’est vrai aussi que les studios sont de plus en plus présents dans ce secteur, mais il reste encore et toujours des véritables réalisateurs et des vrais films indépendants ! J’en suis la preuve ! A Sundance, j’ai pu voir qu’il y avait toujours énormément de films qui venaient du monde entier, fait par des groupes de gens passionnés, et qui étaient vraiment bon ! Donc oui, je pense que le terme "indépendant" a encore de beaux jours devant lui, d’autant plus avec la nouvelle génération de caméra de vraiment bonne qualité qui existe sur le marché.

    C'est votre premier long-métrage en tant que réalisateur, pouvez-vous nous dire quel fut votre parcours avant "Bellflower" ?

    Un désastre ! (rires) Non, mais c’est vrai que j’étais un peu comme Woodrow dans le film, vivant de boulots occasionnels, avec une bande de potes, vendant mon sang pour me faire de l’argent… Je n’ai même jamais vraiment travaillé pour le cinéma ! Mon seul vrai travail a été en tant que caméraman sur quelques films, comme je construis moi-même mes caméras, ou alors sur un film d’horreur tourné sur 10 jours, un peu à la va-vite, et qui était un peu bordélique, il faut l’avouer. Bellflower est mon vrai premier film, et ma véritable première expérience de cinéma.

    Quels sont vos prochains projets ?

    Juste avant d'entamer la promotion du film, je me suis mis à écrire pendant 2 jours ininterrompus, et j'ai donc ce scénario, une histoire qui ressemble par certains aspects à Bellflower, mais qui en reste très éloignée. Grâce au modeste succès de mon premier film, j'ai rencontré des producteurs et des gens qui vont me permettre de monter ce prochain projet plus rapidement, et que j'espère réaliser sous peu. Mais pour ce qui est de faire l'acteur, je pense que c'est fini pour moi ! (rires)

    Propos recueillis à Paris le 13 mars 2012 par Thibaud Gomès-Léal

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