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    "Yann Piat, chronique d'un assassinat" : rencontre avec l'équipe du film

    A l’occasion de la première diffusion du téléfilm « Yann Piat, chronique d’un assassinat », réalisé par Antoine de Caunes, nous avons pu rencontrer ce dernier, ainsi que l’actrice Karin Viard, qui tient le rôle-titre du film et la scénariste Dominiqu

    Le 25 février 1994, à Hyères dans le Var, Yann Piat, ancienne députée au Front National, puis à l’UDF, ayant mené une lutte sans merci contre les agissements mafieux dans le Var, est retrouvée morte dans sa voiture, tuée par balles.

    Partant de ce tragique fait divers, Antoine de Caunes nous livre Yann Piat, chronique d'un assassinat, une véritable autopsie des dernières années de cette femme politique, mais surtout un portrait de femme touchant, sincère et sans concession. Cette femme, c’est la talentueuse Karin Viard qui l’incarne, parvenant à mêler son charisme naturel à la détermination sans faille de Yann Piat. A l’issue de la projection du film, l’équipe du film s’est tenue à notre disposition pour répondre à nos question.

    -Pouvez-vous nous raconter le moment où vous avez découvert le scénario du film, et où vous avez commencé à vous intéresser au personnage de Yann Piat ?

    Antoine de Caunes : En lisant le scénario avec mon idée toute faite de Yann Piat, je me suis rendu compte que ce n’était pas la bonne et que très souvent, le préjugé l’emportait sur la réalité. Le destin de cette femme est passionnant. A la fois parce que cela raconte me semble-t-il des choses très contemporaines, mais aussi parce que d’un point de vue romanesque plus large, on est dans une pure tragédie. Une tragédie qui court sur quatre générations de femmes. D’abord sa mère, puis elle-même, qui ne peut pas échapper à son destin et qui finit sous les balles des tueurs, sa fille ainée qui meurt d’une overdose, et sa petite-fille qu’elle n’a jamais connue qui a été noyée dans une baignoire. Sur quatre générations ! Et j’aime beaucoup l’idée, non pas d’apporter une rédemption parce que je ne suis pas là pour réhabiliter la mémoire de Yann Piat, mais de dissiper au passage quelques malentendus. Et si le spectateur se retrouve dans la position dans laquelle je me suis retrouvé, c’est-à-dire à aller au-delà des apparences et à découvrir quelque chose derrière une image toute faite, ça m’intéresse.

    Karin Viard : Avant même de lire le scénario, c’était une histoire qui a priori m’intéressait, parce que je trouvais qu’elle était porteuse de fiction. Et puis c’est un personnage qui est tellement vaste, qui n’obéit à aucune chapelle, qui transcende les a priori, les frontières politiques.

    Je ne la connaissais pas du tout, je savais qu’elle avait été député FN, qu’elle était passée à l’UDF et qu’elle s’était faite sauvagement assassinée : c’étaient les seules choses que je savais. Déjà, ça m’intriguait, ça m’intéressait. Et puis j’ai lu le scénario, dont on n’a pas changé une ligne. J’ai trouvé que ce destin était incroyable. C’était une héroïne, elle était porteuse de fiction. Il y avait un regard sans jugement, sans a priori, qui donnait à voir l’histoire telle qu’elle était. J’aimais bien qu’elle ait un parcours de femme politique un peu à la "va comme je te pousse". Elle a au début une certaine naïveté et puis elle apprend à savoir se comporter, mais elle est mue seulement par ses convictions, profondes et viscérales. J’aimais bien ça. Et puis j’ai découvert le plaisir d’être dans un film de garçons, avec seulement des garçons. J’ai adoré ça, ça ne m’étais jamais arrivé. Ca alimentait aussi l’image du film dans lequel c’est une femme seule en politique, où elle n’a pas de copine, pas d’autre femme à qui demander conseil. Elle est seule, elle défriche une espèce de jungle de plus en plus dense, épineuse, et elle avance mue par un besoin de reconnaissance et une névrose fondamentale que j’ai trouvée vraiment intéressante.

    -Comment vous êtes-vous approprié le personnage ?

    Karin Viard : Antoine (de Caunes) et Nora (Melhli, la productrice) m’ont fait parvenir plein d’images d’archives, en me demandant de les regarder, ce que je n’ai jamais fait (rire). Je me suis dit que je ne lui ressemblais pas du tout. Je suis presque l’inverse, sauf qu’on a toutes les deux les yeux vert clair, et un peu brillants. Je me suis donc demandé ce que j’allais faire. J’allais la regarder, être obsédée par son image, essayer de lui ressembler dans un mimétisme : ça me semblait être une mauvaise piste. Donc je me suis dit que je devais travailler à la comprendre : comprendre pourquoi elle réagissait comme ça à tel moment, quel était son objectif, à quel moment elle était réellement naïve, et à quel moment elle construisait quelque chose, quelle était la relation avec ses enfants, pourquoi est-ce qu’elle était capable d’avoir une attitude à ce point suicidaire alors qu’elle était mère de deux enfants. J’ai donc essayé de la comprendre de l’intérieur en me disant que c’était le plus sûr moyen d’avoir une chance de lui ressembler. Et finalement, c’est ce qui s’est passé. Sa fille m’a fait un chouette compliment en me disant qu’à certain moments, elle avait l’impression de voir sa mère. Et pourtant je ne lui ressemble pas du tout. Donc, il y a sans doute quelque chose qui est passé de son énergie, de son humanité, et finalement c’est ce qu’il y a de mieux.

    -Pourquoi avoir fait le choix d'aborder seulement ces quelques années de la vie de Yann Piat, sans revenir sur son enfance, sur son passé ?

    Dominique Granier : On aurait pu commencer quand elle avait 5 ans, et faire une espèce de petite chronique, en racontant ceci et cela… On a fait le choix de parler des quelques années ou ça bascule. Et à partir de ce moment-là, finalement, on comprend ce qui s’est passé avant, on n’a pas besoin de traiter ça sur 20 ans. C’est un choix. Pour que ce soit tendu, qu’on soit vraiment dans la sensation d’un destin, il fallait prendre les moments charnières : quand elle quitte le FN, et qu’on la stigmatise totalement là-dessus, quand elle quitte son mari, et qu’on la stigmatise aussi là-dessus, et quand elle décide de prendre la mairie de Hyères, parce qu’à ce moment-là, elle a un pouvoir sur le terrain. Et elle va gêner tellement qu’elle va mourir. C’était ce moment où tout fout le camp. C’était vraiment un choix dramaturgique.

    Antoine de Caunes : Je n’aime pas les biopic, les vrais biopic qui vont de l’enfance sur le pavé miséreux, jusqu’à la fin, à l’hospice. Mais en revanche, dans la vie d’un personnage très emblématique, je m’intéresse au moment de bascule. Le moment où ce personnage échappe à sa propre image pour se révéler tel qu’il est. Dans le cas de Coluche, c'est le paradoxe du clown. Le clown que l'on prend au sérieux, qui cesse de faire rire, ce qui est la pire chose qui puisse arriver à un clown. Ou dans le cas de Yann Piat, cette espèce de péché originel du Front National, dont elle va finir par se remettre, pour retrouver non pas le droit chemin mais en tout cas sa propre vérité à elle, son besoin de vérité, de justice, de reconnaissance et d’amour.

    -Vous avez pu entrer en contact avec la fille de Yann Piat, qui a été une aide au moment de l'écriture. Comment cette rencontre s'est-elle déroulée ?

    Dominique Granier : Elle m’a raconté des choses que je pressentais. Quand je lui ai dit que je pressentais ça et que ça correspondait, elle s’est ouverte. Elle m’a raconté des choses sur Yann Piat en tant que mère. Elle m’a donné des petits détails, mais qui tout d’un coup font toucher la vérité. Par exemple, Yann Piat était très superstitieuse, elle se tirait les cartes, elle était consciente qu’elle allait vers la mort. Et elle prenait sa fille comme confidente, ce qui donne une certaine idée de sa solitude, et en même temps du traumatisme de cette fille, qui s’en sort très bien d’ailleurs. Des petites choses comme ça, qui font que d’un coup, ce n’est plus simplement Madame la Députée. Et je dois dire que sa fille a été extraordinaire, elle est d’une lumière formidable, elle nous a donné sa confiance. Elle ne voulait ni lire le scénario, ni voir le film, ce qu’elle a fait finalement. Elle nous a laissé carte blanche, c’est quelqu’un d’assez étonnant.

    -Pensez-vous qu'un tel fait divers pourrait encore se reproduire aujourd'hui ?

    Dominique Granier : On fait un peu plus attention, mais vous n’avez qu’à voir ce qui se passe à Marseille pour vous dire qu’on est en pleine actualité, quand même. Aujourd’hui il y a les téléphones portables, Internet, Facebook, etc.… Il y a des choses qui se transmettraient plus vite par ces biais-là. Mais bien sûr, ce qui se passe à Marseille, en Corse, dans le Sud, n’a pas tellement changé. La collusion en mafia et élus est peut-être parfois un peu plus discrète, on n’irait peut-être pas assassiner une femme aujourd’hui. Mais tout ce qui se passe en ce moment dans l’actualité laisse penser que oui. Le seul intérêt à ce moment-là c’est que ceux qui étaient mouillés se sont retrouvés devant la justice à devoir rendre quelques comptes, mais cela ne veut pas dire que le système s’arrête. Il ralentit un peu.

    -A l'approche des élections présidentielles, quels sont les messages que peuvent délivrer le film et l'histoire de Yann Piat ?

    Antoine de Caunes : Je m’oppose très violemment à l’idée répandue que les politiques sont tous pourris. Je ne crois pas du tout ça. Il y a beaucoup de corruption dans la politique, mais il y a aussi des gens qui font de la politique pour de bonnes et saines raisons. Et il y a beaucoup de préjugés sur les personnages en fonction de leur obédience politique. Et je trouve que c’est un film qui va contre ça. La première fois que j’ai entendu parler de Yann Piat, c’était une députée FN - même pas une ex-députée FN - qui s’était pris deux balles sur une route. Le jugement était fait. Mais derrière ce "no comment", il y a une histoire, qui montre qu’il y a des gens qui font de la politique parce qu’ils ont besoin de faire bouger les lignes, d’améliorer les choses et de "changer le monde". En tout les cas, de ne pas laisser les choses en l’état. Et je trouve ça intéressant de partir du mauvais pied, c’est-à-dire du pire exemple qui soit, une femme qui vient du FN, pour faire cette démonstration-là.

    Propos receuillis par Thomas Imbert

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