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    5 questions à Florence Colombani, auteur de "Anatomie d'un acteur : Marlon Brando"

    Les Cahiers du cinéma lancent une collection de livres autour des comédiens. L'un des premiers volumes est consacré à l'indomptable Marlon Brando. AlloCiné a posé 5 questions à son auteur, Florence Colombani.

    Il y a vingt ans, le critique et cinéaste Luc Moullet s'intéressait à la carrière de James Stewart ou Cary Grant dans un ouvrage malicieusement intitulé Politique des acteurs -en référence à la fameuse "politique des auteurs". Déjà responsables de cet ouvrage, les Editions des Cahiers du Cinéma lancent à présent une collection tout entière consacrée au parcours de grands comédiens.

    Chaque volume s'attache à décortiquer le parcours d'un acteur, en mêlant sérieux et glamour, mythologie et anecdotes. Marlon Brando et Al Pacino sont les premiers objets d'étude, Jack Nicholson et Meryl Streep suivront. Pour chacun, dix rôles-clés ont été sélectionnés : dix performances analysées avec précision, dix films dont la genèse nous est racontée en détail. Ces dix chapitres du livre sont autant de portes d'entrées pour tenter de cerner ce qui fait la singularité du comédien.

    AlloCiné a posé cinq questions à Florence Colombani, journaliste au Point et réalisatrice, qui a signé l'ouvrage consacré à Brando.

    AlloCiné : Qu’avez-vous appris sur Brando en travaillant sur ce livre ?

    Florence Colombani : A quel point son génie, sa grandeur dépassent l’idée qu’on s’en fait a priori. On résume souvent Brando à la fameuse « méthode » de l’Actor’s Studio, on suppose que ce qu’il a apporté à l’histoire du cinéma, c’est ce goût de la métamorphose qui poussera plus tard De Niro à prendre vingt kilos pour "Raging Bull" par exemple. Or quand on étudie ses films, on découvre à quel point Brando était un acteur intérieur et minimaliste. Il était obsédé par les philosophies orientales, notamment par le zen, ce qui explique sans doute que dans beaucoup de films, notamment Les Révoltés du Bounty, La Vengeance aux deux visages et Reflets dans un oeil d'or, il travaille une impassibilité très pensée. Chaque geste, chaque mimique devient un événement. L’apogée de cette tendance, c’est Apocalypse Now où il est comme une statue, un dieu vivant. Il se contente d’exister à l’écran, et le spectacle est fascinant. On est dans le mythe absolu.

    Sur les quais

    Le choix des dix rôles a-t-il été évident ?

    Certains s’imposaient bien sûr : Brando accède à la célébrité avec Un Tramway nommé désir, personne ne peut jouer Stanley Kowalski sans convoquer aussitôt son fantôme, il était impossible de ne pas étudier ce film-là. De même, Le Parrain ou "Apocalypse Now" font partie intégrante de l’histoire du cinéma en général et de celle de Brando en particulier. Pour d’autres rôles, c’est davantage un choix personnel. Par exemple, j’ai exclu L' Equipée sauvage, un film dont on se souvient surtout pour le look tout en cuir que Brando y arbore et qui inspirera Elvis. Je ne trouve pas que son jeu soit dans ce film particulièrement intéressant, alors que dans Desirée » d’Henry Koster – qui est loin d’être un chef-d’œuvre de mise en scène -, il est passionnant à observer : c’est un mythe en devenir – la jeune star Brando – qui se collette à un mythe de la grande Histoire – Napoléon Bonaparte.

    Quel regard portez-vous sur les liens entre la vie chaotique de Brando et son parcours de comédien ?

    Brando a en effet eu une vie chaotique qui a commencé dans la souffrance – entre un père destructeur et une mère alcoolique - et s’est terminée dans la tragédie absolue, avec le meurtre commis par son fils Christian et le suicide de sa fille Cheyenne. Les liens existent, bien sûr. Ainsi, il privilégie les rôles d’humiliés et offensés, les personnages qui finissent battus à mort ou tournés en ridicules, comme un Christ aux outrages et ce de Sur les quais au Dernier Tango à Paris en passant par La Vengeance aux deux visages, "Reflets dans un œil d’or", La Poursuite impitoyable et j’en passe. Ce masochisme qui semble gouverner son choix de personnages correspond à l’évidence à une profonde haine de soi, qui a des conséquences dans sa vie privée. Et puis c’est difficile de voir "Les Révoltés du Bounty", le film où il s’éprend de l’utopie tahitienne et de sa partenaire à l’écran, Tarita, sans penser aux drames à venir.

    Le Parrain

    Quel peut être l’héritage d’un acteur hors normes tel que Brando ?

    Brando est en effet hors normes par son alliage très particulier de virilité et de vulnérabilité, par son formidable instinct du texte (il rend justice à la langue de Tennessee Williams comme à celle de Shakespeare), et par sa capacité de donner l’impression d’inventer ses répliques au moment où il les prononce. Tout ceci lui appartient en propre. Et pourtant il est indéniable qu’il a un héritage. On ne joue pas de la même façon avant et après Brando. Ce que lui doit le cinéma américain du « Nouvel Hollywood » dans les années 1970 est évident : c’est le culte de l’imprévisibilité dans l’interprétation et la recherche d’une virilité électrique.Harvey Keitel, Robert De Niro, Al Pacino pour ne citer qu’eux sont les héritiers directs de Brando. C’est ce qui rend "Le Parrain" si beau : on y voit le passage de relais entre Don Corleone et son fils, mais aussi entre Brando et Pacino. La jeune génération des acteurs hollywoodiens – les Joaquin Phoenix et Ryan Gosling – est exactement dans la même quête. En ce sens, l’héritage de Brando est toujours visible aujourd’hui.

    Brando est l’un des premiers titres d’une collection consacrée aux acteurs, éditée par les Cahiers du Cinéma. Les comédiens sont-ils devenus un objet d’étude aussi « légitime » que les réalisateurs aux yeux des cinéphiles ?

    Ils sont en train de le devenir, lentement mais sûrement ! Etudier les acteurs comme des créateurs à part entière est plus courant dans le monde anglo-saxon, mais on y vient aussi en France, où la théorie des auteurs a longtemps empêché de considérer les autres protagonistes de la fabrication d’un film. Christian Viviani, de « Positif », travaille sur cette question depuis longtemps. Et la collection « Anatomie d’un acteur » des « Cahiers du cinéma » se propose précisément d’aborder l’acteur comme un objet d’étude sérieux, et pas seulement comme une icône à contempler. Au fond, il s’agit d’explorer un vrai mystère : de quoi parle-t-on quand on dit que quelqu’un joue bien ? On a tous l’instinct de ce qui sonne juste, mais il est plus complexe d’essayer de mettre des mots sur cette sensation.

    Recueilli par Julien Dokhan

    Marlon Brando, Florence Colombani, Editions des Cahiers du cinéma, Collection "Anatomie d'un acteur"

    VIDEO : la bande-annonce de "Un tramway nommé désir"

    Un Tramway nommé désir

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