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    "Zero Dark Thirty" : Reda Kateb passe aux aveux [DVD/Blu-ray]

    Le comédien français est au cœur de deux scènes très intenses du film de Kathryn Bigelow sur la traque d'Oussama ben Laden. A l'occasion de la sortie DVD/Blu-ray, il revient sur son expérience.

    Autour de Zero Dark Thirty, beaucoup de choses ont été évoquées : sa réalisatrice Kathryn Bigelow, son sujet sulfureux (la traque d'Oussama ben Laden), son tournage remanié suite au raid sur Abbottabad, ses cinq nominations aux Oscars, son casting impressionnant (Jessica Chastain, Jason Clarke, Joel Edgerton, Mark Strong, Edgar Ramírez, Kyle Chandler), la polémique concernant les scènes de torture... On avait par contre un peu (trop) occulté la présence au générique d'un Français, Reda Kateb, impressionnant dans deux scènes intenses (de torture, justement) où un agent de la CIA tente de le briser pour extirper ses renseignements. Pour AlloCiné, il revient sur ce tournage pas comme les autres.

    AlloCiné : est-ce qu'on hésite avant de s'engager sur un rôle tel que celui-ci ?

    J'ai lu les scènes après avoir rencontré Kathryn Bigelow et après avoir passé une première semaine sur le tournage sans avoir été choisi pour ce rôle-là. Quand j'ai lu les scènes, j'avais déjà confiance dans la réalisatrice, je savais avec qui j'allais le tourner. Du coup, je n'ai pas hésité, dans la minute j'ai accepté le rôle. J'avais envie de le faire. Mais effectivement, c"est le genre de scènes qui ne se tournent pas n"importe comment et avec n'importe qui. Et derrière ce qui est écrit, tout dépend ce que le réalisateur ou la réalisatrice veut dire… Avec Kathryn, j'avais toute confiance

    J'ai l'impression, au-delà de la polémique qui a été faite autour du film, que Kathryn Bigelow utilise surtout ces scènes physiques pour matérialiser un affrontement psychologique entre deux hommes et plus largement entre deux camps…

    Oui. En tout cas c'est une approche humaine, une approche qui va plus loin que les réductions polémiques qui peuvent être faites. Et effectivement, ce n'est pas la peine d'alimenter cette polémique… Ce qui est étonnant, c'est qu'en France on s'en est parfois un peu fait l'écho, alors qu'elle ne concernait pourtant que les Etats-Unis. Kathryn savait qu'un tel sujet allait faire des vagues, mais elle était loin de s'imaginer ces histoires par la suite... Elle, son but, c'était vraiment d'avoir une approche humaine de ces personnages et de faire du cinéma avec un grand C. Et de poser plus de questions que de donner de réponses.

    Kathryn Bigelow sur le tournage de Zero Dark Thirty © Universal Pictures

    En quoi consiste la préparation pour un rôle comme celui-ci ? Est-ce qu’il est préférable d’être dans une préparation intense… ou plutôt dans la réaction du moment ?

    J'ai eu très peu de temps pour me préparer. J'ai un peu sauté à pieds joints dedans car je tournais un autre film juste avant. J'ai fait du sport car les scènes allaient être très physiques, et j'ai travaillé sur la langue, sur l'accent moyen-oriental en répétant mon texte avec un professeur d'anglais : on a travaillé sur cet accent-là, à partir de textes sur internet lus par des gens de cette région. Finalement, pour moi, le corps et la langue sont souvent de très bons premiers pas pour aller vers un rôle. En ce qui me concerne, c'est très peu psychologique. En général, ce ne sont pas des choses que je creuse avant d'être en contact avec le réalisateur.

    Vos deux scènes sont très violentes, choquantes même. Quand on tourne de telles scènes, où se situe le plaisir pour un acteur ? On est presque dans le masochisme, ici !

    C'est tout sauf un plaisir masochiste ! (Rires) Ce sont des scènes de violence mais on ne se fait pas mal. Tout est chorégraphié par un chorégraphe de cascades. Il faut une grande confiance pour pouvoir jouer ces scènes, pour la personne qui donne les coups comme pour la personne qui les reçoit. On les représente, on joue à les représenter. Donc pas de plaisir masochiste. Le plaisir c'est d'être avec une équipe extraordinaire, une réalisatrice qui pour moi est une véritable rencontre, des acteurs d'une précision et d'une exigence maximales… et aussi d'avoir représenté quelque chose qui dépasse un peu le cinéma et qui a un lien avec l'Histoire.

    Jason Clarke dans Zero Dark Thirty © Universal Pictures

    Et comment est l'ambiance après une journée de travail sur des scènes comme les vôtres ? On a du mal à imaginer une fête de fin de tournage ou des acteurs qui se tapent dans la main à la fin de la journée !

    Le plaisir, ce n'est pas de se taper dans main et de rigoler tous ensemble. C'est très professionnel, et en même temps à l'intérieur de ça il y a une approche des comédiens qui évacuent les histoires de star-system. Le plateau est une espèce de chantier sur lequel tout le monde a un casque jaune et travaille ensemble, et on peut parler de la même manière avec le maquilleur, le rôle-titre, … En tout cas c’est l’impression que j'ai eue sur ce film. Effectivement, les journées étaient très intenses et je les terminais avec un room-service à l’hôtel à me reposer pour le lendemain. Et c'est le dernier jour qu’on a fait un petit pot. C’était très sympa. Mais les choses se font sur un mode de travail et en même temps de légèreté. Ce n'est pas évident à imaginer mais pourtant parfois, deux secondes avant de tourner, on était en train de blaguer. Et puis on y va. C’est un jeu en fait tout ça.

    Comment s'est déroulée votre relation avec votre "tortionnaire", Jason Clarke ? Êtes-vous resté distants comme le souhaitent parfois certains comédiens ou metteurs en scène pour profiter de cet antagonisme ? Ou avez-vous été proches ?

    On a totalement fraternisé dès le début, on a pris un verre ensemble… Il avait besoin de sentir lui aussi que j'étais à l’aise avec ça. Moi-même, j'ai joué des personnages qui répercutent la violence sur les autres, et je sais à quel point c'est très dur de pouvoir jouer avec ça si la personne qui doit recevoir les coups n'est pas bien. Il fallait qu'on se rencontre avant et le courant est extrêmement bien passé tout de suite. Concernant votre question, sur les metteurs en scène qui veulent que des acteurs ne se rencontrent pas, je suis content de n'avoir encore jamais travaillé avec ce genre de metteurs en scène… Finalement, le reste, c’est notre cuisine. C’est une manière d'intervenir dans la vie des acteurs et de ne pas avoir confiance dans le jeu et dans ce qu'il peut se passer sur le tournage. Moi je n'ai pas besoin qu'on me dise qui je dois voir, ce que je dois manger… Le rôle du metteur en scène ne doit pas déborder. Le rôle de Kathryn Bigelow, justement, c'est qu'elle était à sa place. Elle a confiance en ses acteurs : ce ne sont pas des marionnettes mais des partenaires créatifs.

    Reda Kateb dans A moi seule © Pyramide Distribution

    Pour incarner un personnage, beaucoup de comédiens disent qu'il faut l'aimer sinon au moins le comprendre… C’est difficile quand on incarne un terroriste ?

    Oui et non. Dans A moi seule, j'avais joué un homme qui enlève une enfant et qui la séquestre durant plusieurs années, et la question morale s’était plus posée. Dans Zero Dark Thirty, ce n'est pas tant l'image d'un terroriste. C’est l'image d'un homme dépouillé de son humanité, et c'est cette situation à l'instant T. Evidemment, je ne peux pas m'empêcher d'avoir un jugement moral vis-à-vis de ce qu'il a fait si je prends du recul, mais pour le jouer, je retourne au noyau : un être humain. Il n'est question ni d'excuser ni de juger. Ce n'est pas le rôle d’un acteur. Le rôle d'un acteur c’est d'incarner. Et pour l'incarner je dois retourner à qui est cet être humain, à ce moment-là, en partant de la scène et de l'histoire qu'on est en train de raconter. Si au moment où on joue on juge le personne, il y a quelque chose qui ne va pas… C’est un peu compliqué mais je n'irai pas jusqu'à dire qu'il faut aimer un terroriste pour pouvoir le jouer. Je dirais qu'il faut représenter un être humain dans toute sa complexité. Essayer en tout cas.

    Kathryn Bigelow sur le tournage de Zero Dark Thirty © Universal Pictures

    Quand on regarde votre filmographie, de Léa Fenher à Kathryn Bigelow en passant par Fabienne Berthaud, Catherine Corsini ou Hélène Fillières, on constate que vous êtes plutôt un "acteur de réalisatrices". Les femmes ont une approche du cinéma qui vous intéresse ?

    Forcément, elles ont une sensibilité qui est la leur. Mais je ne choisis pas les projets parce qu'ils sont réalisés par des femmes : ce sont vraiment les scénarios et les rencontres qui m'amènent sur des films. Si on parle de Kathryn Bigelow, elle a une manière très particulière de diriger le plateau, qui est une forme d'autorité mais une autorité calme, tout sauf nerveuse et hystérique. Elle a une manière de protéger son équipe, aussi. Après ces choses-là sont peut-être liées à sa féminité, mais je ne me pose pas trop la question. Je travaille avec des réalisateurs ou des réalisatrices mais ce sont surtout les scénarios qui me font partir sur des projets.

    Avec la mort d’Oussama ben Laden, la réalité a finalement rattrapé le film et "Zero Dark Thiry" a dû être remanié en cours de tournage. Que impact cela a eu sur le scénario et sur votre rôle ?

    Je n'ai pas lu le scénario complet, uniquement mes scènes : le scénario était secret au moment du tournage. Et puis mes scènes, je les ai lues alors qu'on avait déjà trouvé Ben Laden. Je suis arrivé sur le projet alors que le tournage avait déjà commencé : ils avaient justement laissé de l'espace au niveau de certains rôles pour pouvoir travailler dans le moment en trouvant l'acteur nécessaire. Et ça s'est passé comme ça pour moi.

    Propos recueillis par Yoann Sardet le 17 mai 2013 – Remerciements à Marion Doré

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