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    "Metro Manila" : rencontre avec le réalisateur Sean Ellis

    Dans "Metro Manila", le Britannique Sean Ellis ("Cashback") raconte l'arrivée d'une famille dans la capitale des Philippines où tout semble possible, même le pire... AlloCiné a rencontré le cinéaste à l'occasion de la sortie de ce thriller social primé à Sundance.

    Plusieurs réalisateurs britanniques ont tourné à l'étranger récemment : Gareth Evans ("The Raid"), Gareth Edwards ("Monsters"), et vous aujourd'hui...

    Sean Ellis : Oui, tous ceux dont le nom commence par un E en fait ! Mais lorsque j'ai commencé à envisager de tourner Metro Manila aux Philippines, Monsters n'était pas encore sorti. Les deux films que vous citez sont sortis avant le mien, mais je ne me suis jamais consciemment dit que j'allais faire la même chose. J'en ai eu l'idée en visitant les Philippines, et y découvrant un endroit assez vibrant et riche pour y tourner un film. Et ce qui a fait germer l'idée dans mon esprit, c'est une dispute entre deux convoyeurs de fonds, dont j'ai été témoin.  Je me suis demandé à propos de quoi ils se disputaient. Pour moi, il était évident que c'était quelque chose de grave. Peut-être qu'en tant que réalisateur, j'ai tendance à fantasmer un peu trop, mais je me suis tout de suite dit : “Wow, il y a un cambriolage dans le coup !” Je n'ai pas arrêté d'y penser, jusqu'à inventer un début et une fin à cette dispute : une sorte de synopsis de 20 pages de ce qu'allait devenir Metro Manila.

    J’ai cru comprendre que vous vouliez au départ un autre acteur pour le personnage d’Ong...

    Oui, on avait engagé Joel Torre, mais il y a eu un conflit d’emploi du temps entre mon film et Captive de Brillante Mendoza. Mais je crois très fortement au destin, et nous avons eu la chance de rencontrer John Arcilla, sans qui je n’arrive plus à imaginer le film. Il a apporté au personnage une complexité à laquelle je ne m’attendais pas – il arrive à le rendre sympathique, bizarrement ! Il a le rôle du méchant, mais on a vraiment envie qu’il s’en sorte lui aussi.

    "Il arrive à rendre son personnage sympathique" : John Arcilla dans "Metro Manila"

    Une scène me hante encore : lorsqu'une femme se fait enlever par trois hommes dans une rue bondée, sous le regard indifférent des gens présents...

    Cette scène témoigne du fait que là-bas, on peut disparaitre sans laisser de traces, sans que quiconque vous vienne en aide. Lorsqu’Oscar se lève, on pense immédiatement qu’il va essayer de l’aider, mais elle disparait si vite qu’il n’a le temps de rien faire, et on n’a en quelque sorte pas envie qu’il lui vienne en aide, car il est évident que ça va très mal tourner ! Je cherchais à souligner le danger constant qui accompagne la famille. On se sent vraiment concerné par leur sort, et l’interprétation des acteurs y est pour beaucoup. Jake Macapagal est très émouvant, tout se joue dans son regard. On voudrait lui acheter une maison, lui donner tout son argent et lui dire « Ecoute, installe-toi ici avec ta famille, ça va aller !»

    Dans vos film précédents, vous avez engagé des acteurs dont la carrière a décollé peu après, comme Michelle Ryan ou Lena Headey. Pensez-vous que la même chose se produira cette fois ?

    Jake (Macapagal) a le talent nécessaire pour trouver de la reconnaissance de notre coté de la planète. Je sais qu'il a signé un contrat avec l'agence américaine ICM après la projection du film à Sundance, et cela devrait lui donner plus d'opportunités là-bas une fois que le film sera sorti sur les écrans. Ce qui n'est que justice, car c'est un acteur merveilleux.

    "Tout se joue dans son regard" : Jake Macapagal dans "Metro Manila"

    "The Broken" a été tourné à Londres, tandis que "Metro Manila" se passe à Manille. Dans les deux films, la ville s’apparente à un personnage. Est-ce différent de filmer Londres, que tout le monde connait, et  Manille, rarement vue au cinéma ?

    Filmer Londres a été délicat, car j’y habite et j’ai dû trouver de nouvelles facettes de la ville, intéressantes à filmer. Alors qu'aux Philippines, absolument tout me semblait merveilleux ! "Oh regardez, un homme qui mange dans la rue !", "Là-bas, un homme qui se fait couper les cheveux ", "Un immeuble en feu !", "Un homme qui pêche avec une arme à feu !" J'ai tout filmé ! A chaque fois que je pointais ma caméra quelque part, il se passait quelque chose d’extraordinaire.

    Vous avez écrit le scénario en anglais. Les acteurs ont-ils eux-mêmes transposé leurs répliques dans leur propre langue ?

    Oui. A l’origine, on voulait traduire tout le script en tagalog, mais on a eu des soucis de temps., et puis je me suis rendu compte que traduire tout le script imposerait une unique voix, un unique auteur. Les Philippines étant une ancienne colonie des Etats-Unis, leur seconde langue nationale est l’anglais. Lors du casting, j’ai donc demandé aux acteurs de lire leurs répliques en les traduisant eux-mêmes devant la caméra.

    Vous avez réalisé deux films en anglais ("The Broken", "Cashback") et un court métrage en français ("Voyage d'affaires")...

    J’adorerais continuer à faire des films dans plusieurs langues, même si je ne suis pas doué pour les langues ! J'ai essayé d'apprendre le français pendant quatre ans, mais la véritable stimulation, c'est lorsqu'on va dans le pays pour discuter avec des gens comme vous. Ma fille est française, et j'attends qu'elle se mette à parler pour que je puisse apprendre d'elle. Pour le moment, elle ne dit que “Dadadada”, ce qui peut être un peu lassant ! J'aurais plutôt pensé qu'elle dirait “Papapapa”, car ma compagne est française, et nous lui parlons dans les deux langues...

    Althea Vega dans "Metro Manila"

    Le film a-t-il déjà été diffusé aux Philippines ?

    Nous avons organisé une projection pour l'équipe du film et leurs familles, et les réactions ont été formidables. Comme l'a été la réponse des distributeurs philippins présents à Sundance. Il se sont battus pour en obtenir les droits de diffusion, et ils ont réussi à sécuriser une cinquantaine ou une centaine de cinémas. Mais la France est le tout premier pays à le diffuser, donc vous nous aiderez à prendre la température.

    La bande originale a par ailleurs été composée ici, en France.

    Tout à fait. Et Richard Mettler, le chef monteur, est français. Robin Foster, qui a composé la musique, est anglais mais vit en France. Il a fait un travail fabuleux. D'ailleurs, son nouvel album (Peninsula) devrait bientôt sortir. C'est quelqu'un de très talentueux. Nous avions déjà travaillé ensemble pour des publicités, mais il s'agit là de son premier film. Sa démarche a d'abord été d'en visionner un extrait, et il s'est rendu compte que le thème des enfants était central - ces enfants que Jake essaie de protéger à tout prix. Il est revenu vers moi avec une boite à musique, et m'en a fait écouter la mélodie en m'expliquant qu'il allait la reprendre avec différents instruments, tout au long du film. Nous avions notre bande-son.

    Vous avez réalisé plusieurs clips avant de tourner des longs métrages...

    C'était très éprouvant. Sans doute car il s'agit d'oeuvres visuelles, et que leur rapidité ne permet pas d'y incorporer une narration. A quel groupe serait-il impossible de refuser un clip aujourd'hui ? Je dirais Sigur Ros, Radiohead, les Rolling Stones, ou David Bowie.

    Vous avez une formation de photographe de mode. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

    Je crois que j’ai toujours voulu être réalisateur, mais c’est un métier très difficile, car ça implique - ou impliquait, en tout cas - une grande équipe, et du matériel très cher et peu aisé à obtenir. La photographie, on pouvait s’y adonner tout seul : sortir de chez soi, faire une séance photo, puis rentrer, la traiter et nous voilà avec une image ! Mais j’ai toujours voulu, dans un coin de mon esprit, voir cette image bouger. Je suis content de ne pas avoir changé de voie trop tôt, car il faut du temps pour se développer en tant que personne, et accumuler des expériences – je n’aurais pas pu faire Metro Manila à 20 ans, ni même à 30. Il faut être capable de raconter une histoire, car c'est ce que recherchent les gens au cinéma. C’est peut-être l’erreur que j’ai faite avec The Broken d’ailleurs : le film se base sur les suggestions visuelles, et ça finit par lasser le public, je pense.

    "Un exercice de style" : "The Broken"

    Votre vision de photographe a tout de même influencé votre cinéma...

    Oui, bien sûr. Nos expériences et apprentissages nous accompagnent toujours, quoi qu'on fasse. Et peut-être plus encore sur ce film, car j'ai aussi endossé les casquettes de caméraman et directeur de la photographie – je me suis occupé de la lumière et des réglages des caméras. The Broken s'apparentait plus à un exercice de style. Je suis fier de sa qualité visuelle, mais Metro Manila a bien plus de coeur et d'âme. C'est la somme de tout ce que j'ai appris sur mes précédents longs et courts métrages.

    Parlez-nous de votre collaboration avec David Lynch.

    Nous avons fait des photos de mode pour un magazine. Il fait partie des personnes les plus créatives que j'ai rencontrées. Il a cette incroyable capacité à tout observer comme un enfant le ferait, comme s'il découvrait tout pour la première fois. Avec l'âge, on a pourtant tendance à devenir cynique et blasé, et c'était mon ressenti sur la mode lorsque j'ai rencontré David. J'étais persuadé qu'en m'alliant à lui, j'allais produire les plus belles images de ma carrière, mais il m'a conseillé de ne pas les considérer comme un sommet à atteindre, mais simplement comme des images produites un jour comme un autre. Ni plus, ni moins. David m'a appris à ouvrir les yeux, et à "écouter" l'image que je m'apprêtais à travailler, plutôt que de la fausser en la voulant plus incroyable que jamais. Avec le cinéma, c'est pareil : il faut laisser le film nous guider et nous dire quelle forme lui donner. C'est là que ça touche à l'intime, comme peut l'être la peinture sur une toile. Ca s'apparente à jouer avec un savon : il ne cesse de nous échapper, mais plutôt que de chercher à l'attraper par tous les moyens, il vaut mieux le laisser filer et jouer avec jusqu'à lui faire prendre la direction qu'on désire.

    "Il m'a appris à ouvrir les yeux" : David Lynch

    Il n'a pas tourné depuis un bon bout de temps...

    David refuse toute pression. Il ne fait de film que lorsqu'il se retrouve captif d'une idée. Il ne ressent pas le besoin de faire un film tous les ans, comme certains, et c'est bien mieux ainsi, il ne se banalise pas. Certains de ses films sont très accessibles, d'autres moins, mais tous sont incroyablement créatifs et portent sa patte. C'est un véritable artiste.

    Vous êtes-vous inspiré de certains réalisateurs pour réaliser vos films ?

    Pas vraiment, non. Bien sûr, en tant que cinéaste, vous vous intéressez au travail de vos pairs, et avant de devenir réalisateur j'ai été inspiré par ce que faisaient David Lean, Michael Mann… ou David Lynch ! Ils font partie de mes modèles. Mais pour faire Metro Manila, je me suis plus appuyé sur mes propres acquis et essayé de trouver ma propre créativité. Avant de faire le film, nous avons tout de même regardé Training Day, car nous étions particulièrement intéressés par la dynamique entre le personnage expérimenté, celui de l'inspecteur (Denzel Washington), et le petit nouveau (Ethan Hawke).

    Une inspiration : "Training day"

    Des projets ?

    Je suis à la recherche d'un nouveau projet. J'ai dans l'idée de plus me diriger vers Hollywood cette fois-ci, et j'y ai peut-être trouvé quelque chose d'intéressant à faire. Je développe également plusieurs projets, qui prendront forme à la fin de l'année, et viens aussi de terminer une publicité pour Cartier, mais je pense surtout à me reposer ! Une pause de six mois me ferait du bien. De quoi passer du temps avec ma fille, voyager et recharger mes batteries. C'est important.

    Propos recueillis à Paris le 29 avril 2013 par Pauline Delestre

    Metro Manila

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