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    Pierre Salvadori : "J'ai trouvé une réponse à Dans la cour dans The Wire..." [INTERVIEW]

    Catherine Deneuve et Gustave Kervern sont les héros de "Dans la cour", le nouveau film de Pierre Salvadori ("Hors de prix", "Après vous...") sur l'amitié inattendue d'un musicien qui se fait embaucher comme gardien d'immeuble et une jeune retraitée angoissée. Ensemble, ils tentent de lutter contre la dépression et la folie qui les guettent...

    Roger Arpajou

    "Dans la cour" semble être votre film récent le plus sombre et le plus intime...

    Pierre Salvadori : C'est celui où ça se voit le plus en fait. J'ai toujours fait des films avec un postulat de départ assez sombre (Comme elle respire sur une mythomane qui sort d'asile, Les Apprentis qui sont en dépression et se retrouvent à la rue...), mais c'est le traitement de la suite qui était plus ou moins affirmé dans la comédie. Avec Dans la cour, j'ai essayé de distiller de la drôlerie mais le côté sombre ressort plus car c'est une chronique, il n'y a pas de grandes intrigues. C'est plus à hauteur d'homme. Quant à l'intime, il a toujours existé dans tous les films que j'ai faits et dans tous les personnages que j'ai ai imaginés. Ils partent d'expériences ou de sensations personnelles.

    La cour est un micocosme avec le personnage de Catherine Deneuve au centre. Que vouliez-vous exprimer à travers ce dispositif et cette femme ?

    C'est une métaphore de notre société. On vit dans un monde terrifiant, inquiétant. Le flux d'information est agressif et omniprésent, pas toujours légitime en plus. C'est anxiogène et ça finit par peser sur tout le monde. Donc j'ai imaginé ce personnage qui n'arrivait plus à tenir, qui devenait folle d'inquiétude. Mais folle au vrai sens du terme ! Elle a peur que l'immeuble s'écroule comme d'autres ont peur que le soleil ne se lève plus. Il y a une part de superstition, de dépression, de fragilité et d'humanité en elle.

    Est-ce que vous pensez qu'une comédie peut être aussi intime qu'un drame ?

    Oui. En tout cas une comédie peut être aussi personnelle qu'un drame. Ce sont celles-là les meilleures d'ailleurs, parce qu'elles témoignent de quelque chose de vrai.

    Dans tous vos films, vous aimez prendre des acteurs à contre-pied, comme dans "Dans la cour". C'est l'occasion de les passer en revue...

    Ils m'ont surpris l'un comme l'autre. Catherine est une actrice immense et on le sait. Elle m'a étonné. Je ne pensais pas qu'elle accepterait d'aller aussi loin. En fait, elle est toujours d'accord et partante. Elle a un instinct et une curiosité fascinants. J'ai pensé à elle dès l'écriture. Je voulais la voir péter un plomb, je trouvais ça intéressant. Gustave, je ne savais pas qu'il pourrait être aussi efficace et émouvant. Il est très concentré, très physique. C'est ma grande fierté d'avoir pu réveler cet aspect-là de son talent dans le film.

    Hors de prix, on avait jamais vu Audrey Tautou sexy, troublante.. sexuée, alors que c'est une actrice magnifique, douée, mélancolique. J'ai adoré travailler avec elle. Les gens la voyaient trop comme une femme-enfant. Personnellement, je la voyais plus femme qu'enfant !

    Je ne suis pas certain que José Garcia aime beaucoup Après vous... Je le trouve excellent dedans. Il est très émouvant, à la fois enfantin, poétique et doux. Je ne l'ai pas revu comme ça après. Comme s'il refusait cette part de lui. Je ne sais pas... J'adorais sa voix aussi. C'était une super expérience. Quant à Daniel Auteuil, il était souvent dans films très austères à l'époque et moi j'avais envie de le voir dans un registre plus burlesque, comme dans du Scapin comme il l'avait fait magnifiquement pour le théâtre.

    "J'ai trouvé une réponse à Dans la Cour dans The Wire"

    Vous avez travaillé pour AB Productions au début de votre carrière...

    Oui et je l'assume ! J'assume tout. J'ai aussi écrit des horoscopes pour France 3 à une époque, plus de 200 sketchs pour La Classe... Et donc j'ai fait deux épisodes de Salut les Musclés. Et j'ai fait en sorte qu'ils soient bons ! Ce n'était pas évident. On était très surveillé. Des gens réécrivaient derrière vous, ils vous piquez vos droits d'auteur au passage : ils ajoutaient trois lignes pour récupérer de l'argent. C'était des sales trucs... Mais toutes ces expériences m'ont beaucoup appris, m'ont construit. Je n'ai jamais voulu les faire avec légèreté. J'ai toujours voulu y croire.

    Le format série vous intéresse-t-il aujourd'hui ?

    Beaucoup. J'ai un projet, mais dont je ne serais que le réalisateur. D'autres ont conçu cette histoire. Je pense que si je le fais je m'impliquerais dans l'écriture des épisodes. J'adore les séries. Quelques-unes sont fascinantes. Tout en haut : The Wire et Les Soprano. Puis Breaking Bad, The Shield... Plus récemment j'ai découvert The Newsroom. C'est très ambitieux. Tout ce que ça dit autour de l'information est passionnant. La réalisation est très étonnante. Les épisodes dirigés par Greg Mottola sont vachement bien.

    Ces séries que vous regardez ont-elles influencé votre film d'une façon ou d'une autre ?

    J'ai trouvé une réponse à Dans la cour dans The Wire. A la fin de la série, il y a un personnage qui s'appelle Bubble, un toxicomane à qui l'on demande de raconter son histoire pour en faire un article dans le journal. Il a peur. Son parrain aux narcotiques anonymes lui dit "Je comprends que tu veuilles te retirer, le monde est dur, on n'a pas envie de parler de soi... mais est-ce que le retrait n'est pas la pire chose à s'infliger ?" Et quand j'ai entendu cette phrase, j'ai soudainement eu l'impression de trouver la réponse à plein de questions que je me posais dans ma vie, dans le film que j'étais en train d'écrire aussi. Je me suis dit qu'il fallait absolument que ce soit dit à un moment donné dans Dans la cour. L'idée que même quand on en a marre, il ne faut surtout pas se retirer. The Wire, quoi !

    Propos recueillis par Jean-Maxime Renault le 15 avril 2014 à Paris

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