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    Le Promeneur d'oiseau : Philippe Muyl "Je propose une réflexion, je ne prends pas parti"

    Premier film tourné en Chine par un Français, le réalisateur du "Promeneur d'oiseau" raconte son extravagante aventure sur le tournage de son film au fin fond de l'ancien Empire du Milieu, parallèle à celle de ses deux personnages principaux.

    Allociné : Pourquoi avoir choisi un oiseau et cette espèce en particulier, le huan mei, comme fil rouge du film ? 

    Philippe Muyl : L’oiseau, c’est un truc très chinois. Quand on se promène dans les grandes villes de Chine, il y a toujours plein d’endroits, de parcs où les vieux se retrouvent avec leurs oiseaux, comme on le montre dans le film. Ils ont tous des oiseaux en cage à la maison et ils les mettent sur leur vélo, se retrouvent au parc et accrochent leur oiseau à un fil ou dans les arbres. Puis ils discutent entre eux. C’est un rendez-vous, ça dure trois-quatre heures, souvent la matinée. L'oiseau, c’est surtout un animal de compagnie. Moi, je lui ai donné une symbolique mais c’est un animal de compagnie.

    Allociné : Vous avez choisi d'utiliser un animal comme fil conducteur de l’intrigue, ce que vous aviez déjà fait dans "Le Papillon" et dans "La Vache et le Président", ainsi que dans votre tout premier film, "L’arbre dans la mer", où il y avait un dauphin. Pourquoi prendre un animal, accompagné d’un enfant, comme personnages centraux ?

    Philippe Muyl : D’abord, on verra si je tiens mes engagements, parce que j’ai dit que j’arrêtais de faire des films avec des enfants. Il faut que je me renouvèle un peu. Mais ce sont deux choses différentes : les enfants, c’est parce que je pense que, inconsciemment, je revisite ma propre enfance en essayant de l’idéaliser ou de la rendre un petit peu plus communicante. L’animal, c'est parce que c’est un intermédiaire entre l’humain et la nature. Se servir d’un animal, c’est un peu, comme on dit en psychanalyse, un objet transactionnel : ça permet de faire la liaison entre deux mondes, l’humain, qui est peut être un petit peu trop dans sa bulle et la nature. On peut avoir tendance à oublier qu’entre les deux, il y a l’animal.

    Allociné : Vous parliez à l'instant de la nature : elle ressort ici de façon assez forte. Certaines zones de tournage ont-elles été difficiles d'accès ? Parce qu’on a l’impression par instants qu’il s’agit d’un véritable paradis perdu, d'écrin naturel caché de la civilisation….

    Philippe Muyl : On a passé beaucoup de temps en repérages et fait énormément de route, en train et en voiture, pour trouver ces endroits, et une fois qu’on les a trouvés, tout va bien. Au niveau du tournage, c’est pas compliqué, ce qui l’est, c’est le repérage. Ça se situe dans une province du sud de la Chine, le Guangxi. Les gens peuvent aller voir, s’ils tapent  Guilin sur Google map, ils vont se retrouver au centre du Guangxi, à la frontière du Vietnam et du Yunnan. C’est une très belle province, grande comme la France. Mais il y a tellement de beaux endroits en Chine, de belles provinces, qu’on aurait pu continuer de voyager encore pendant un an ou deux à chercher d’autres endroits magnifiques.

    Allociné : On voit dans le film que vous apportez un soin tout particulier à la photographie, à rendre ces paysages, et j’ai cru comprendre que votre directeur de la photographie était Chinois. Comment avez-vous travaillé ensemble ?

    Philippe Muyl : Mais en fait, même dans un film français, on ne parle pas beaucoup au chef opérateur, on lui montre des images. Ming Su, je lui ai montré un bouquin de photos fait par un Hollandais, j’oublie toujours son nom [Robert van der Hilst ndlr], un album magnifique qui est édité chez Gallimard, qui s’appelle "Intérieurs chinois". Je lui ai aussi montré des photos, des peintures, j’ai regardé un film qu’il avait fait, je lui ai montré un film que j’ai fait et après le principal du travail est fait avec le chef opérateur. Le gros du travail, je l’ai fait avec le cadreur. C’était un petit peu plus compliqué, j’ai été plus directif, c’est-à-dire je pouvais lui dire : "Attend, non, ça va pas… ". Je corrigeais souvent le cadre moi-même.

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    Allociné : Et avec vos acteurs, qui sont tous Chinois, comment s'est passé le tournage ?

    Philippe Muyl : Ils ont proposé des choses, sur leur jeu. Moi, quand je disais "On va faire ça", ils me répondaient que non, qu'en Chine ce n’était pas possible. Par exemple, un truc tout bête, j’aurai dit au grand-père de faire une bise sur le front de sa petite-fille, on m’aurait répondu que cela ne se faisait pas. Le même problème se pose dans la problématique de résolution du conflit entre le père et son fils, sans qu’il soit ouvert. A un moment, je les vois marcher l’un à côté de l’autre dans la rue du village et moi, je pensais qu’ils marcheraient tout près l’un de l’autre, alors qu’ils ont marché à deux mètres de distance l’un de l’autre. Je leur demande pourquoi et ils me disent "c’est comme ça qu’il faut faire".

    Allociné : C’est plutôt vous qui avez amené un savoir-faire cinématographique français, votre expérience, ou avez-vous dû vous adapter aux techniques de tournage chinoises ?

    Philippe Muyl : Eux ont amené leur connaissance, leur nature chinoise. Ils savent comment il y a de la pudeur entre les gens, comment on n’élève pas la voix, comment on doit se comporter. Moi, j’ai amené un savoir-faire français qui est plus qualitatif, en terme de finitions, que les films chinois, c’est-à-dire qu'il y a beaucoup de soins apportés à tout, à l’image, au son, à la musique. Parce qu’eux ont tendance à dire : "Voilà c’est fait, c’est bon" et à ne pas fignoler, à aller au plus efficace, alors qu’il faut refaire. L’acteur, le grand-père, il ne comprenait pas pourquoi je refaisais les prises dix fois mais moi je sais pourquoi. 

    Moi, j’ai amené un savoir-faire français qui est plus qualitatif en terme de finitions que les films chinois, c’est-à-dire qu'il y a beaucoup de soins apportés à tout, à l’image, au son, à la musique.

    Allociné : A propos de la musique, j’ai été étonnée de voir que vous n’aviez pas repris Nicolas Errera, du fait que vous aviez appris, après "Le Papillon", que la musique du film avait eu un énorme succès en Chine. J’ai pensé que vous le reprendriez pour la musique de ce nouveau film et finalement non. Pourquoi ?

    Philippe Muyl : Nicolas, tout simplement, n’était pas libre. Il avait déjà des films en cours. Mais j’y ai pensé, c’est le premier à qui j’en ai parlé, bien sûr. Parce que je trouve que ce qu’il a fait sur "Le Papillon" c’est très joli, et il a fait des films chinois entre temps, donc c’était tout naturel que je lui propose le film. Il ne pouvait pas le faire, tant pis. Après je suis allé voir Armand Amar, compositeur d’une grande notoriété, qui fait aussi une musique très intéressante parce qu’il a une grande connaissance des musiques du monde, de leurs couleurs et de leurs instruments. Il fait des mélodies mais qui ne sont pas envahissantes. Moi j’aime bien les mélodies dans les films, je n'ai pas peur de la mélodie mais il ne faut pas que ce soit vampirisant. Je pense qu’il a fait un très beau travail : il a regardé le film quand il était mixé et il ne fait pas partie de ces compositeurs qui disent "Attend j’ai fait une musique, on l’entend pas assez !". Non, lui, il était content du mixage et pourtant, on a effacé la musique, on l’a mise en dessous.

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    Allociné : Même si vous n’avez pas volontairement fait de critiques dans votre film, il y a un constat de la société chinoise à travers les écarts de générations. Le père est ingrat envers son propre père qui s’est sacrifié pour lui et à qui il en veut pour une faute mineure, la petite fille est carrément acculturée…N’est-ce pas malgré tout une critique de la société chinoise ?

    Philippe Muyl : C’est pas une critique, c’est un reflet. Je propose une sorte de miroir parce que ce qui est montré est juste. Je propose une réflexion, comme je ne prends pas vraiment parti pour un bord ou pour l’autre, en me demandant s’il n’y a pas un équilibre à trouver entre l’hyper technologie et la pollution de ces grandes villes et la campagne qui est quand même un peu désolée, un peu délaissée. La proposition d’équilibre, d’harmonie, c’est très chinois. Il y a toujours un risque d’avoir un obstacle avec la censure chinoise mais je n’ai eu que deux-trois remarques sur le scénario, j’ai changé deux-trois bricoles… Par exemple, il y avait deux enfants qui parlaient d’argent et on m’a dit que ce n’était pas bien, qu’on ne parlait pas d’argent ainsi. C’est toujours un peu délicat.

    Il y a toujours un risque d’avoir un obstacle avec la censure chinoise mais je n’ai eu que deux-trois remarques sur le scénario…

    Allociné : J’ai lu que vous ne vouliez pas faire un remake du "Papillon", mais on retrouve malgré tout une base scénaristique parallèle, avec un vieil homme qui part en voyage accompagné d’une fillette. L’idée venait de vous ou des producteurs ?

    Philippe Muyl : On a gardé ce pilier parce que "Le Papillon" est très connu en Chine, mais n'est pas pour autant sorti commercialement. Il n'a été que piraté. Les gens connaissent les films à travers les DVD piratés et Internet. C’était un accord avec la production de dire que, comme le film n’est pas sorti commercialement mais qu’il est connu, et comme le schéma grand-père/petit-enfant, c’est encore un truc extrêmement chinois, on allait garder cet élément mais on allait l'inclure dans une histoire totalement différente en parlant des trois générations. Finalement, oui, il y a ce point de départ commun mais la thématique n’est pas du tout la même : il y a la question de l’abandon dans "Le Papillon", d’une mère qui ne s’occupe pas de son enfant, alors que là, ce n’est pas du tout la même histoire.

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    Allociné : Comment ça s’est passé dans les villages, avec les acteurs non professionnels, les autochtones ?

    Philippe Muyl : On sent qu’il n’y a pas d’enjeu, ils ne vont pas se dire "Est-ce que je vais être bien ?". Je leur demande s’ils peuvent tourner un truc avec nous le lendemain matin, ils acceptent, et sont bien plus naturels que nous le serions. Dans le film, il y a deux rôles qui fonctionnent sur ce principe : l’ami du grand-père qui l’appelle lorsqu’ils arrivent au village, celui qui n’a qu’une dent, lui c’est un amateur absolu. Plus tard, le grand-père va visiter son ancienne maison et  la jeune femme lui dit qu’avec son mari, ils veulent déménager parce qu’il travaille loin. Quand je suis arrivé, je ne savais pas qui j’aurai comme actrice et je vois cette jeune femme qui doit tenir le rôle. Je demande si on ne l’a pas déjà vu quelque part. On me répond que c’est la patronne du restaurant dans lequel on avait dîné le soir précédent ! Elle est là, je lui indique quoi jouer et elle le fait très simplement.

    Allociné : Vous disiez que vous ne vouliez plus tourner avec des enfants mais pensez-vous continuer à réaliser ce genre de feel-good movie, sur des relations fortes entre deux personnages, ou avec un animal ?

    Philippe Muyl : J’ai un projet, un mélo romancé, une grande histoire d’amour avec du souffle mais ce n’est pas du tout un feel-good movie, d’ailleurs ça ne finit pas bien. Ce sera sans enfants et sans animaux, une grande première. Après on verra...Il faut déjà que j’arrive à le faire, à en faire un film. Le scénario est écrit, c’est déjà ça.

    Propos recueillis par Claire Lefranc, à Paris le mercredi 30 avril 2014

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