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    Cannes 2014 - Rebecca Zlotowski : "C'est égalitaire de mettre des femmes à la tête de jurys"
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Cette année, les jurys de la Semaine de la Critique sont présidés par Andrea Arnold et Rebecca Zlotowski. Deux réalisatrices remarquées à Cannes et qui se sont confiées sur ce statut et le festival en général.

    Maximilien Pierrette / AlloCiné

    "Je m'appelle Andrea Arnold, et je suis alcoolique" : en matière de présentation, la réalisatrice de Fish Tank fait fort, ce sur quoi Rebecca Zlotowski embraye avec un "Oui c'est vrai." Présidentes des jurys de la Semaine de la Critique (Grand Prix Nespresso pour la première, Prix Découverte Sony CineAlta du Court Métrage et Prix Révélation France 4 pour la seconde), elles se sont entretenues avec la presse ce jeudi 15 mai, jour de l'ouverture.

    AlloCiné : Vous avez toutes les deux été découvertes à la Semaine de la Critique. Quel souvenir en gardez-vous ?

    Andrea Arnold : J'ai une histoire assez amusante à ce sujet : mon premier court métrage, Milk, était projeté à Clermont-Ferrand, et une Française était venue me voir pour en avoir une copie à montrer au comité de sélection de la Semaine de la Critique. Je n'y croyais pas vraiment, mais bon, je n'y ai plus repensé par la suite. Et quelques mois plus tard, en avril ou mai, j'étais au travail et je reçois un appel d'une personne avec un accent français : "Bonjour Andrea. C'est pour Cannes, nous avons sélectionné votre film pour la Semaine de la Critique." Moi je croyais que c'était mon ami Nick, un acteur qui aimait bien me faire ce genre de blague.

    Comme ne j'y croyais toujours pas, la personne a proposé de m'envoyer un fax en me promettant de ne parler de cette sélection à personne. Mais une fois que je l'ai reçu, je suis sortie de mon bureau en criant : "Je suis sélectionnée à Cannes !" C'était quelque chose d'énorme et ça l'est toujours. Et ça m'a fait comprendre que si j'étais bonne pour réaliser des films et que je voulais continuer, je devais abandonner mon travail de l'époque. Cette sélection m'a aidé à m'engager dans cette voie.

    Rebecca Zlotowski : Ça va être difficile de passer après ça, mais j'ai aussi une anecdote sur la Semaine de la Critique. Je présentais mon premier long métrage, Belle épine, et le jury de la Caméra d'Or, qui fait un peu peur lorsqu'on présente un premier film, était assis juste devant moi. La projection était à 11h du matin, donc j'avais encore de l'alcool dans le sang et je pouvais dire que je suis bronzée là, par rapport à mon état de pâleur ce jour-là. Et après 10-15 minutes de film, les membres du jury sont partis aux toilettes et ne sont jamais revenus comme s'ils n'aimaient pas le film.

    Du coup j'étais nerveuse et en très mauvaise forme, et j'ai appris ensuite qu'ils avaient tous attrapé une intoxication alimentaire en mangeant des huîtres. Ils ont donc dû revoir le film à une autre projection. Une projection pas vraiment concluante puisque je ne suis pas sûre qu'ils aient aimé le film. Pour moi, la Semaine de la Critique est un mélange entre quelque chose de chaleureux et familial, car il n'y a que 7 films et que le mien a été très apprécié puis présenté au public avec les bons mots. Ceux-ci sont très importants et j'ai eu de la chance de faire partie de la Semaine de la Critique et que le film ait été apprécié pour de bonnes raisons.

    Cette année, 4 femmes sont à la tête de jury. Est-ce le début d'une nouvelle ère ?

    AA : Ça fait juste partie du spectacle (rires)

    RZ : Je pense que c'est une bonne chose et…

    AA : Tu penses qu'ils se sont réunis dans un bar un soir en disant "Mettons des femmes à la tête des jurys" ? (rires)

    Vous pensez que c'est une coïncidence ?

    AA : Non, car Cannes est un show au même titre que les films le sont.

    RZ : Et puis nous sommes plus sexy (rires)

    Est-ce que ça peut faire changer le réprésentation des réalisatrices dans cette industrie ?

    AA : Peut-être. On me pose souvent la question mais je ne suis pas dans les bureaux de ceux qui prennent les décisions. Je ne sais pas comment ils procèdent.

    RZ : Ce qui est bien c'est que nous sommes des réalisatrices. Pas des actrices ou des productrices. C'est important d'affirmer que nous pouvons lire les films de façon solidaire et exigeante, de pouvoir voir le travail de collègues. Et quand on regarde la Compétition officielle, très peu de femmes montent les marches avec un film qu'elles ont réalisé. Pour moi c'est important, en tant que jeune réalisateur, de voir qu'il existe des femmes réalisatrices.

    A Cannes, tout le monde se débat pour ressembler à autre chose que ce que nous sommes

    On peut éditorialiser là-dessus, et je trouve d'ailleurs qu'on nous pose un peu trop la question, mais dans un climat de régression tel que celui-ci, il faut revenir à cette idée que l'injustice sociale est partout, qu'elle existe encore dans le milieu du cinéma, comme dans toutes les industries, et que c'est quelque chose d'égalitaire que de mettre des femmes à la tête de jurys. Après je reconnais que les réalisatrices ne correspondent pas vraiment à l'image glamour que renvoie le Festival de Cannes.

    AA : Oui, il n'y a qu'à voir le tapis rouge : la plupart des femmes misent tout sur leur apparence. Certaines sont très talentueuses mais il y a une vraie pression autour de ça. Et Cannes leur rend hommage. Tout le monde s'y débat pour ressembler à autre chose que ce que nous sommes.

    Pensez-vous que le but d'autres sections, comme la Semaine de la Critique, est de plus mettre en avant la créativité que le glamour ?

    AA : C'est aussi celui de la Compétition. Pour moi les films constituent toujours le cœur de Cannes, et ce dans toutes les sections. Le tapis rouge attire l'attention et certains films en ont besoin, donc je suis contente qu'ils puissent en avoir.

    RZ : De mon côté, j'ai participé à Un Certain Regard et la Semaine de la Critique, en plus d'aider à la Quinzaine des Réalisateurs à la sortie de mon école. J'ai donc eu la chance de voir plusieurs sections - mais pas la Compétition - et ce que j'aime avec Cannes, c'est que le festival permet la rencontre entre réalisateurs et critiques. Toutes les sélections vont dans ce sens et chacune à sa façon de le faire : la Quinzaine n'a, par exemple, pas de compétition, et elle se distingue ainsi.

    Je sors tout juste de Bande de filles de Céline Sciamma, qui est un film incroyable, et j'ai été très impressionnée par le débat qui a suivi la projection. J'étais même en empathie avec elle car c'est très difficile de répondre à des questions à ce moment, alors qu'on est très nerveux puisque c'est là que le destin du film se joue aussi.

    À la Semaine de la Critique, on voit des premiers et seconds films. "Belle Épine", mon premier long métrage, a été un gros échec commercial. Mais j'ai pu en réaliser un autre grâce à la Semaine de la Critique. Et je me dis que je n'aurais jamais pu avoir ce joker s'il n'était pas passé par Cannes. Cette section peut donc avoir un impact sur des films qui n'ont pas de portée ou de carrière commerciale. Et le côté international d'Un Certain Regard ou de la Compétition fait que votre film pourra être vendu dans le monde entier.

    Quel impact le Festival de Cannes a-t-il eu sur votre carrière, Andrea ?

    AA : Un énorme impact. J'ai déjà eu l'impression d'être prise au sérieux (rires) C'était une sacrée expérience que d'avoir son premier film [Red Road, ndlr] projeté dans ce grand cinéma, où l'on est assis sur un fauteuil au milieu. Ça c'est assez effrayant et massif. Après j'aurais du mal à juger l'étendue de l'impact, mais je suis extrêmement fière d'avoir pu présenter des films dans un festival qui les considère aussi sérieusement.

    Quelles présidentes comptez-vous être, et comment allez-vous travailler avec les membres de vos jurys ?

    AA : Avec mes petites chiennes ? (rires)

    RZ : Moi j'aimerais faire partie de son jury (rires)

    AA : J'ai déjà fait partie de plusieurs jurys, et celui dont je garde le meilleur souvenir, sans dévoiler duquel il s'agit, est celui dans lequel nous avons pu parler de tous les films en ayant la possibilité de chacun dire ce que nous en avions pensé. Si les membres de mon jury sont d'accord, j'aimerais que nous procédions de la sorte car je sais à quel point c'est dur de faire un film et quel effort cela demande. Nous devons donc faire preuve de soin à leur égard et prendre le temps d'en parler. Et s'ils ne veulent pas, je les fouette (rires) Je plaisante bien sûr. Parfois on fait des blagues comme celles-ci en interview, mais ça ne ressort pas ainsi (rires)

    RZ : Il faut mettre un smiley avec.

    Je fouette mon jury

    AA : Oui, je fouette mon jury et je porte une tenue de dominatrice.

    RZ : Moi je viendrais comme je suis : tyrannique et autoritaire (rires) Smiley (rires) Je me sens très solidaire des réalisateurs car je suis proche d'eux, en terme d'âge ou de travail : j'ai seulement deux longs métrages à mon actif donc je n'ai pas le sentiment d'en savoir plus qu'eux. J'ai parfois l'impression d'avoir le même niveau de connaissance, parfois d'être en-dessous car certains ont réalisé des courts métrages avant, contrairement à moi. Je pense que c'est délibéré, de la part de la Semaine de la Critique, de mettre ce genre de profil à mon poste, donc je serai solidaire mais pas indulgente pour autant.

    Je suis également très contente d'être une réalisatrice et d'être entourée de critiques dans mon jury Révélation, car je vais enfin pouvoir trouver un moyen de leur parler (rires) Quand vous montrez votre propre film, la conversation n'est pas si facile. Ça me plaît de pouvoir parler d'autres films, de cinéma et de pouvoir apprendre d'eux. Dans mon autre jury, il y a des professionnels qui ne sont pas des réalisateurs, mais savent ce que cela demande de faire un film, donc ils peuvent comprendre, respecter et apprécier ces travaux, en sachant que chaque chose résulte d'un choix du metteur en scène.

    Allez-vous parler des films entre vous pendant la semaine ?

    RZ : Ce que Charles Tesson et Rémi Bonhomme n'ont sans doute pas manqué de remarquer, c'est que je suis confiante dans mes goûts : quand je n'aime pas un film, je ne l'aime vraiment pas, et quand j'en aime un, je suis une inconditionnelle. Mais je suis toujours ravie de pouvoir débattre…

    AA : … et de faire ce que tu veux quand même ? (rires)

    RZ : Non, je peux parfois être convaincue et je peux donc parler avec l'autre jury pour en retirer le meilleur. Mais je ne veux pas les influencer non plus.

    AA : J'ai remarqué qu'on ne pouvait justement pas influencer les autres dans cette situation. Il est parfois nécessaire de débattre sur un film, surtout lorsque nous n'arrivons pas à nous fixer, mais j'ai appris qu'il fallait se battre pour ce à quoi l'on tient ou savoir expliquer pourquoi on aime quelque chose. Je ne suis parfois pas bonne pour parler, mais il faut savoir se battre quand c'est nécessaire.

    RZ : Ceci étant dit, je n'aime pas trop le mot "juger" car c'est un terme de tribunal, et je n'ai pas l'impression d'être une avocate ou une juge. J'ai la chance de pouvoir donner un coup de projecteur sur un film que j'aime et c'est exactement ce que je veux quand l'un des miens et en compétition. Quand j'obtiens un prix, ce qui arrive rarement, je ne suis pas forcément contente car je suis parano et que je me dis que 49% du jury a pu voter contre.

    Mais c'est bien pour les films sélectionnés à la Semaine de la Critique, qui ont besoin d'être soutenus par un festival comme Cannes, et pour moi le Grand Prix est une chance supplémentaire car il nous permet de mettre un coup de Stabilo dessus.

    Comment avez-vous été approchée pour être présidentes de ces jurys, et comment avez-vous réagi ?

    AA : J'ai reçu un e-mail. C'était complètement dingue (rires) Ce n'était pas la première fois qu'on me le proposait mais je n'avais pas encore pu alors que j'en avais envie, car la Semaine de la Critique a été ma première expérience cannoise. À l'époque je dormais sur le sol d'un hôtel à 20 kilomètres d'ici mais cette fois-ci je suis au Majestic. Par terre dans le couloir (rires) Je me souviens que, la première fois que je suis venue, j'étais tellement excitée que je me cognais partout donc je suis rentrée couverte de bleus.

    RZ : Ça vient de ton problème avec l'alcool (rires)

    AA : Pas que ça, j'étais vraiment sur-excitée et je voulais revenir. Donc j'ai répondu au mail, ce qui est tout aussi dingue, en disant "Oui s'il vous plaît."

    RZ : Pour moi c'était un peu pareil sauf que j'ai dit oui tout de suite (rires) Parce que je pensais avoir une dette envers la Semaine de la Critique et que c'était le meilleur moyen de l'honorer. Mais aussi pour prendre une revanche car quand on présente un film à Cannes, c'est très stressant.

    Il y a donc une part de sadisme…

    RZ : Ah non, c'est juste profiter de l'instant et de la possibilité de voir des films de manière plus douce, sans enjeu, même si on a une vraie responsabilité car ça joue sur le destin d'un long métrage. Mais c'est comme si j'allais faire la bonne part du Festival de Cannes.

    Cannes 2014 : quelle place pour les femmes ?

     

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