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    Cannes 2014 - Quentin Tarantino : "La Palme d'Or est mon prix le plus important"
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    La Palme d'Or obtenue par "Pulp Fiction" en 1994, Sergio Leone, le numérique face à la pellicule... Revivez la conférence de presse donnée par Quentin Tarantino à Cannes ce vendredi 23 mai.

    Universal Pictures International France

    QT, Cannes et son cinéma

    La Palme d'Or est mon prix le plus important

    Quentin Tarantino : Le plus important quand on obtient la Palme d'Or, c'est que ça vous confère un certain prestige car vous faites partie des réalisateurs de ce monde. Nous sommes au XXIème siècle donc les réalisateurs sont nombreux, comme au XXème. La Palme d’Or vous couronne de lauriers. Je l’ai obtenue il y a 20 ans, et c’est toujours mon prix le plus important. C’est très présent. Il y a les réalisateurs qui n’ont pas eu la Palme, et ceux qui l’ont eue.

    J'ai influencé le cinéma d'une certaine manière

    Au début, quand je voyais ces films basés sur Reservoir Dogs ou Pulp Fiction, j’étais trop timide pour en parler car ça me semblait trop présomptueux de dire que c’était des copies de mes films. Il y avait, à l’époque, une certaine ambiance qui fait que certains films ont pu être inspirés des miens. C’est comme au temps de l’expressionnisme, donc j’en ai profité aussi. Comme Sergio Leone a lancé un genre, je pense que j’ai influencé le cinéma d’une certaine manière.

    Je veux que les gens attendent beaucoup de moi

    Je n’ai pas l'impression d’être sous pression car il en faut toujours. Je veux que les gens attendent beaucoup de moi, qu’ils attendent avec impatience mes nouveaux films. J’étais comme ça avec les nouveaux De Palma : deux semaines avant la sortie, je comptais les jours. C’était le cas pour Scarface, alors que j’avais vu celui d’Howard Hawks, donc je savais à quoi m’attendre. Quand un De Palma sortait, j’étais insupportable, et j’y allais dès la première séance. Puis je pensais au film toute la journée et le soir j’autorisais des amis à retourner le voir avec moi. Mais je ne pense pas qu’il y ait trop de pression. Au contraire, je serais embêté si les gens n’attendaient pas mes films.

    Je pense que j'aime bien le Diable

    Comme de nombreux réalisateurs, je pense que j’aime bien le Diable, donc (...) j’aime présenter des personnages à un public et leur monter une histoire en soulignant le pire, le côté le plus violent de l’être humain, et chercher à faire en sorte que vous soyez de leur côté. Je crois que quand un réalisateur fait un film ou un auteur un roman, les 10 années qui ont précédé son 1er film sont sans doute les plus importantes de sa vie.

    Pour moi c’était les années 80, donc le cinéma le plus répressif aux Etats-Unis depuis les années 50, car l’industrie du cinéma à Hollywood répétait une sorte de mantra que tout le monde devait suivre : on devait pouvoir aimer les personnages. Si le public ne les aimait pas à 100%, le film était un échec. Et s’il était un salopard, il fallait qu’il suive une rédemption dans les 15 dernières minutes pour qu’on l’apprécie. Moi je n’aimais pas ça. A côté, les romans de l’époque, comme ceux d’Elmore Leonard [que Tarantino a adapté avec Jackie Brown, ndlr], ne faisaient pas ça : les personnages avaient leurs faiblesses mais on les aimait quand même. D’une certaine façon, mon cinéma - et celui d’autres - au début des années 90, a été une réaction au cinéma qui a précédé. Depuis j’explore les personnages ainsi.

    Je ne fais confiance qu'à peu de monde sur mes films

    Je ne fais pas de bande-originale car je ne veux pas engager un compositeur que je n’ai jamais rencontré dans le passé pour lui confier l’âme de mon film. Je ne fais d’ailleurs confiance qu’à peu de monde sur mes films. Du coup je choisis moi-même mes musiques. Pour ce qui est de celles d'Ennio Morricone, je ne lui ai rien volé car j’ai payé les extraits.

    Je revois souvent mes films

    Quand j’entends des réalisateurs dire qu’ils ne peuvent plus regarder leurs films car ils n’y voient que les erreurs, j’en suis désolé pour eux. Comment peut-on se lever le matin en se disant que ce qu’on a fait n’est pas bien ? Si je pensais que je faisais un mauvais travail, j’arrêterais tout de suite. Leur vie n’est peut-être pas assez riche. Moi je revois souvent mes films. Même quand je tombe dessus : ça peut être juste un extrait, puis un autre, et parfois je vais jusqu’au bout. Mais je revois mes films. Je n’avais pas vu Kill Bill depuis longtemps et je suis retombé dessus récemment. J’ai commencé, et bon sang, si je n’avais pas revu ce foutu film du foutu début à la foutue fin…

    Sergio Leone et le cinéma italien

    Le genre action est né avec Pour une poignée de dollars

    Quand on organise une telle projection en clôture du festival, on célèbre plus que le 50ème anniversaire du western. Pour une poignée de dollars représente la naissance du western spaghetti, mais aussi du genre action tel qu’on l’appelle aujourd’hui, notamment grâce à son utilisation de la musique. Avant elle ne faisait pas partie du film de façon intégrante. Quand on pense au genre action, ce genre est né avec Pour une poignée de dollars.

    J’ai fait allusion au fait que ce sont des gens comme Leone, et l’autre Sergio [Corbucci, ndlr], qui ont été les premiers réalisateurs à faire beacoup au niveau de la musique et des séquences qui se succèdent, pour que ce ne soit pas juste de la musique pour film, mais de vrais opéras. Depuis que ce génie est sorti de la bouteille, on ne l’a jamais remis dedans. Regardez un film de 3 heures comme Le Bon, la Brute et le Truand, que j’ai vu quand j’avais quelque chose comme 4 ans : je l’ai adoré et je le projette quand j’invite des amis, qui amènent leurs enfants.

    Sergio Leone a eu une influence sur MTV

    Car les hommes aiment montrer le film à leurs fils, et les enfants adorent : même s’ils ne connaissent pas Clint Eastwood, ils aiment la musique et ce qu’ils voient. Le montage aussi. La scène finale est un de mes moments de cinéma préféré : il faut un sacré voyage pour y arriver, mais nous ne sommes pas fatigués, au contraire. Sergio Leone a aussi eu une influence sur MTV car la musique est devenue un vrai vocabulaire. On peut montrer ses films à des étudiants en cinéma, qui réagissent très positivement à ses films, car c’est un réalisateur moderne.

    J'ai toujours réagi au cinéma italien

    Je ne sais pas si mon origine italienne a influencé ma culture car je n’ai pas grandi dans un milieu italien, même si j’ai toujours réagi positivement au cinéma italien. Pour son flair notamment, sa façon de présenter quelque chose de façon extraordinaire. Même les films italiens réalisés comme des œuvres de seconde zone ont quelque chose de plus que certains films américains. Pareil avec Mad Max ou le cinéma philippin de l’époque : il y a quelque chose de grand, un courage. Peut-être que c’est mon ADN italienne qui me parle.

    Le numérique, c'est pas fantastique

    La projection numérique représente la mort du cinéma

    La projection numérique représente la mort du cinéma tel que je l’entends. La plupart des films ne sont aujourd'hui pas projetés en 35mm, donc la guerre est déjà perdue. Mais la projection numérique, c’est comme à la télévision, donc pourquoi se déplacer ? Pour moi le cinéma ça n’est pas ça.

    Je n’ai jamais compté le nombre de copies sur pellicule que j’avais. Mais une collection assez impressionnante de 35mm, mais aussi de 16mm. J’en projette et regarde toujours. Ce qu’il y a d’impressionnant dans ma vie, c’est que je m’en suis bien sorti dans le cinéma, donc ça m’a permis de vivre une vie d’universitaire. Je fais actuellement comme des études, et le jour de ma mort sera celui de ma remise de diplômes.

    Je ne comprends pas quand un réalisateur établi veut tourner en numérique

    J’ai beaucop parlé du cinéma et du numérique : celui-ci a un aspect positif, car un jeune réalisateur peut aujourd'hui acheter un téléphone portable. Et avec un peu de ténacité, il peut réunir quelques personnes, écrire une histoire intéressante et faire un film, qui pourra suvire le circuit des festivals. A mon époque, il fallait du 16mm, donc c’était déjà un Everest à conquérir. Aujourd'hui c’est plus simple, même si beaucoup de choses ne valent rien et sont juste bonnes à mettre à la poubelle. Ça c’est le positif. Mais quand un réalisateur déjà établi veut tourner en numérique, ça je ne comprends pas.

    Cette génération est sans espoir

    Maintenant que tout est numérique, pouvoir projeter des films à 24 images par seconde chez moi, c’est un luxe que je peux me permettre. Si un nouveau Godard sort en salles, vous allez le voir car c’est un plaisir. Mais si c’est en numérique, pas la peine d’y aller, autant le regarer chez soi car la qualité est la même que sur un DVD.

    J’espère que nous sommes en train de vivre une période romantique à l’eau de rose avec le numérique. Et puisque cette génération est sans espoir, j’espère que la suivante reviendra à l’essentiel, sera plus intelligente que celle-ci et comprendra ce que nous avons perdu.

    Pour terminer, Quentin Tarantino a rappelé son amour pour Cannes, un festival qu'il considère comme "important pour le cinéma", a révélé que, pour lui-même et son entourage, David Fincher et Richard Linklater étaient les réalisateurs les plus passionnants du moment.

    La bande-annonce de "Pulp Fiction" :

     

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