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    Bande de filles, ou "la fin d'un cycle" pour Céline Sciamma
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Après "Naissance des pieuvres" et "Tomboy", Céline Sciamma signe son troisième long métrage : "Bande de filles". Une nouvelle exploration de la jeunesse qui marque "la fin d'un cycle" pour sa réalisatrice.

    "C'est l'avenir d'un film qui se joue ici", nous dit Céline Sciamma au lendemain de la présentation triomphale de Bande de filles en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs du 67ème Festival de Cannes, en mai dernier. Forte de ce succès, c'est donc une réalisatrice plutôt soulagée qui se présente à notre micro, pour évoquer son troisième long métrage.

    AlloCiné : L'un des gros points forts du film, c'est son casting, et vous nous faites encore découvrir des jeunes actrices formidables. Vous a-t-il été compliqué de trouver celles de "Bande de filles" ?

    Céline Sciamma : Le casting a été assez fleuve en tout cas, parce que c'est un casting sauvage. Ma directrice de casting et ses deux assistantes ont d'ailleurs dû sillonner Paris et sa périphérie pour chercher les filles. Beaucoup de filles, car il y a beaucoup de rôles dans le film, beaucoup de visages. Ça dure 3 à 4 mois et on rencontre des centaines de filles. C'est très impliquant, très engageant, et en même temps très joyeux, puisqu'on a rencontré une génération de jeunes filles vraiment exceptionnelle.

    Je dois dire que c'est incroyable de faire autant de fortes rencontres et voir autant de talents lors d'un casting. C'est un vivier cette génération : pour le cinéma, certes, mais c'est anecdotique en réalité. C'est un vivier pour la vie et la société. Moi ça m'a vraiment galvanisée de les rencontrer, ça m'a donné beaucoup d'espoir.

    L'autre point commun avec vos autres films, c'est le thème de la jeunesse, et notamment l'adolescence, comme dans "Naissance des pieuvres". Pourquoi aimez-vous tant explorer ce sujet ?

    C'est un âge frontière qui permet des sujets de fiction très impliquants : la première fois, c'est évidemment palpitant, on est dans la découverte, donc ce sont des propositions de fictions engageantes. Et comme j'aime beaucoup travailler autour de la façon dont on s'invente ou l'on éprouve différentes identités, ce sont des âges parfaits car on change et que j'ai une passion pour les récits d'initiation.

    Il y a bien sûr des points communs entre mes films, mais ce qui fait que celui-ci est singulier, c'est qu'il est, pour la première fois, ancré dans une forme de modernité : aussi bien dans le récit, châpitré et elliptique, que les visages, les corps et la langue qu'il filme. Bande de filles est donc une synthèse de mes gestes précédents, avec cette grande nouveauté.

    "Ce film marque la fin d'un cycle"

    Est-ce que vous comptez continuer à explorer le sujet, ou vous estimez en avoir fait le tour avec cette "trilogie" ?

    Je crois que ce film marque la fin d'un cycle et que je vais ensuite aller explorer d'autres territoires. Après je pense que je travaillerai toujours autour des personnages féminins et de ces constructions, mais j'ai mis un point final sur la jeunesse.

    Est-ce que vous songez à vous essayer à d'autres genres ? La comédie musicale, vous qui êtes fan de Jacques Demy, ou le cinéma fantastique par exemple ?

    J'aimerais bien. Le cinéma fantastique et d'horreur m'intéresse beaucoup. C'est un territoire complètement nouveau à arpenter (rires) Mais j'y songe. Autant que le format sériel, le feuilleton. J'aimerais toujours écrire une série télévisée. Ou webisée, mais une narration en épisodes.

    Je ne crois pas que je ferai de la comédie musicale. C'est un genre que j'adore, qu'il s'agisse bien sûr de Jacques Demy, mais aussi de Fred Astaire et Gene Kelly. Mais c'est pour moi un genre que j'ai du mal à m'envisager aborder dans mon travail aujourd'hui. Ça fait partie de ce paradoxe qui veut qu'on ne fasse pas toujours les films que l'on aime voir. J'ai une grande affection pour ce genre, mais je ne pense pas que ce soit le mien.

    Pyramide Distribution

    Puisque l'on parle de musique : vous retrouvez ici Para One, qui avait composé la bande-originale de "Naissance des pieuvres". En quoi ces retrouvailes ont-elles influencé votre travail ? Aviez-vous en tête une ambiance musicale particulière qu'il pourrait apporter lorsque vous écriviez "Bande de filles" ?

    Oui. C'est sûr qu'il y a une grande intimité, une grande proximité entre nous, et je songeais, dès l'écriture de ce projet, à la musique et la place qu'elle aurait, ainsi qu'à sa texture. J'avais dès le départ envie d'un thème progressif, qui évolue mais qui soit la même ligne mélodique et grandisse au fur et à mesure que le personnage principal [Vic, jouée par Karidja Touré, ndlr] grandit lui aussi.

    C'était une contrainte assez ludique dont il s'est emparée. Assez brillamment je dois dire, car j'aime énormément le travail qu'il a fait. Et puis on avait envie de musiques synthétiques, mais il y a aussi des vrais instruments qui sont rentrés dans l'orchestre pour la première fois. On a passé un cap dans notre collaboration.

    Les bandes de filles ont toujours existé

    Vous parliez tout à l'heure de modernité, et le film s'inscrit dans le présent à travers ce phénomène des bandes. Est-ce que l'idée du film vous est venue en lisant des articles ou en regardant des reportages liés à ce sujet ?

    Non car c'est un faux phénomène. Ça n'existe pas vraiment. En réalité, les bandes de filles ont statistiquement toujours existé dans l'Histoire du XXème siècle, et elles existent toujours. Ce n'est pas un phénomène de société comme on essaie parfois de nous le faire croire dans des reportages sur M6. Il y a des groupes d'amies mais pas un phénomène de bandes de filles qui viendraient foutre la zone.

    Il y a des filles qui sont dans l'espace public et qui s'y expriment, mais nous ne sommes pas dans une chose organisée qui aurait ses rituels. Moi je suis vraiment partie de ces personnalités que je croisais dans la rue et que l'on croise tous, mais pas d'un sujet de société que j'aurais voulu explorer.

    En matière de sujet de société, vous avez été coeur de l'actualité à travers la polémique autour de la diffusion de "Tomboy" [le 19 février 2014]. Comment avez-vous vécu tout cela ?

    Je l'ai vécu en retrait car je n'ai pas souhaité m'exprimer. J'estimais que le film était instrumentalisé par des gens qui ne l'avaient pas vu, et qu'il allait se défendre tout seul en passant à la télé une semaine après pour que l'on puisse constater ce qu'il était. Moi je me concentre sur le fait que, quand il est sorti, il n'y avait absolument pas eu de polémique et que c'est le fruit de l'actualité qui l'a mis au centre d'un jeu de cartes dans lequel il pouvait trouver sa place.

    Quand la polémique a éclaté, ça faisait déjà un an qu'il était projeté dans le cadre des dispositifs scolaires. Ça se passait extrêmement bien, les professeurs le sollicitaient beaucoup et les élèves étaient contents. J'avais des témoignages de ça, donc cette frange d'extrêmistes qui l'a instrumentralisé a été remise à sa place.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 16 mai 2014

    La bande-annonce de "Bande de filles" :

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