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    Phoenix, de Christian Petzold : "Je voulais montrer ce que l'amour doit endurer..."

    Rencontre avec le réalisateur Christian Petzold et sa comédienne fétiche Nina Hoss à l'occasion de la sortie de "Phoenix", drame bouleversant situé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

    AlloCiné : Qu’est-ce qui vous a décidé d’adapter le roman "Le Retour des Cendres" d’Hubert Monteilhet ?

    Christian Petzold : En 1980, j’ai lu dans la revue de cinéma Film Critic un essai d’Harun Farocki sur le phénomène de Pygmalion. Cinq ans plus tard, je l’ai rencontré et il m’a donné ce roman que j’ai lu. A l’époque, je ne croyais vraiment pas possible d’adapter ce roman pour le cinéma.

    AlloCiné : Vous vous êtes également inspiré du récit d’Alexander Kluge "Une expérience d’amour", en quoi ce texte a-t-il été une influence ?

    Christian Petzold : Quand j’ai recherché ce texte pour le lire aux comédiens pendant la préparation du tournage, je ne me souvenais plus exactement dans quelle édition j’avais lu ce texte. J’ai donc retrouvé une revue qui datait de 1980 dans laquelle se trouvaient quatre textes au sujet d’Auschwitz : le texte d’Alexander Kluge, un poème, un texte de Peter Weiss et un discours d’Alexander Kluge. J’ai remarqué que cette page était d’ailleurs annotée par moi quand j’avais 19 ans et donc 34 ans plus tard, je suis revenu sur ces textes sur lesquels j’avais déjà travaillé à l’époque.

    AlloCiné : Vous [Le réalisateur Christian Petzold et la comédienne Nina Hoss] avez collaboré de nombreuses fois ensemble, comment en êtes-vous arrivés à travailler à nouveau ensemble sur ce film ?

    Christian Petzold : Pour moi c’est toujours ainsi quand je fais un film, il y a quelque chose que je transporte dans le film suivant. Quand j’étais à la table de montage de mon précédent film Barbara, j’ai trouvé qu’il y avait des portes qui permettaient d’entrer dans une nouvelle histoire. D’ailleurs, cinq ans avant Barbara, dans un accès de frime, j’avais prétendu ne jamais faire de film historique car je n’aime pas les carrosses et les costumes. Ça a tenu cinq ans et j’ai fait Barbara car j’ai pensé que quelque chose du présent pouvait être transporté dans le film historique. Mais c’est aussi grâce au jeu de comédienne de Nina que cela m’a semblé être possible et c’est ainsi qu’on est arrivés à faire d’autres films ensemble.

    Christian Schulz

    AlloCiné : Etait-ce un défi d’incarner un personnage en pleine reconstruction physique et psychologique ? Comment avez-vous appréhendé le personnage de Nelly ?

    Nina Hoss : D’abord, j’ai commencé par l’aspect physique, il fallait entreprendre un travail physique et j’ai pensé que c’était bien si on voyait ses os et sa fragilité. Il fallait que l’on voit le corps qui transparait à travers la peau. J’ai donc maigri. Ensuite, j’ai réfléchi à la façon dont elle devait marcher. En effet, au début du film, le personnage a des bandages et on ne voit pas son visage donc l’attention allait se reporter sur autre chose. Il fallait que cette démarche démontre le fait qu’elle a perdu sa personnalité et qu’elle est comme une créature, ni homme ni femme.

    Je suis énervé par tous les films, tableaux, chansons et livres qui prétendent que l’amour peut surmonter tout.

    AlloCiné : Comment expliquez-vous l’attitude de Nelly qui se voile la face quant à la vraie personnalité de son mari ?

    Nina Hoss : C’est une question que je me suis posée à moi-même, il fallait que je trouve la solution pour pouvoir en tant que comédienne l’accepter. J’ai pu l’accepter car je me suis dit que cette femme elle-même ne sait pas qui elle est. C’est donc tout à fait normal que l’homme le plus proche d’elle ne la reconnaisse pas non plus. Et si elle accepte la proposition qu’il lui fait, c’est pour être plus proche de cet homme qu’elle aimait mais également pour se retrouver elle-même.

    AlloCiné : Tentez-vous de dire avec ce film que l’amour peut survivre à n’importe quelle épreuve ?

    Christian Petzold : C’est exactement le contraire, je suis énervé par tous les films, tableaux, chansons et livres qui prétendent que l’amour peut surmonter tout. Je crois qu’il est beaucoup plus important et intéressant de montrer ce que l’amour doit endurer, les conditions de production en quelque sorte. J’ai toujours imaginé que Nelly pouvait survivre au camp de concentration parce qu’elle avait dans la tête un roman à l’eau de rose.

    Piffl

    AlloCiné : Comment avez-vous choisi la chanson Speak Low de Kurt Weill qui revient à plusieurs reprises ? Quelle est sa signification pour le personnage de Nelly ?

    Christian Petzold : Il y a un an et demi, six mois avant le début du tournage, j’étais à une soirée avec Nina et lors de cette soirée la chanteuse allemande Judy Winter chantait une chanson de Marlene Dietrich que j’ai choisie pour le film. Mais j’ai appris que cette chanson-là avait déjà été utilisée dans un film avec Charlotte Rampling Le portier de nuit. C’est un film que je méprise car je trouvais qu’il y a quelque chose d’absolument contraire à mon propre propos dedans, c’est de penser la sexualité et le fascisme ensemble. C’est une construction de pensée que je rejette absolument. Quelqu’un d’autre m’a ensuite parlé de la chanson de Kurt Weill, un compositeur qui a d’ailleurs dû émigrer et quitter l’Allemagne pendant la guerre. Elle m’a semblé plus adaptée mais c’est une heureuse coïncidence que j’ai pu trouver cette autre chanson pour la fin du film.   

    AlloCiné : Comment s’est passée la collaboration l’acteur Ronald Zehrfeld ?

    Nina Hoss : Ce n’était pas sans complications car il fallait se séparer de l’idée de fin de Barbara, le précédent film que nous avons fait ensemble, qui était que deux personnages puissent se retrouver. Ce n’était pas le cas avec Phoenix donc cela n’a pas été si simple.

    Christian Petzold : Dans le cinéma, on peut raconter difficilement le bonheur au début d’un film mais on peut peut-être parler du souvenir d’un bonheur passé. Et quand on a un si beau couple comme dans Barbara qui envoie vers le bonheur, j’avais envie de leur montrer ce qui se passe de l’autre côté de l’abîme, ce qui pouvait aussi leur arriver. Sur cet abîme qui sépare la fin de Barbara et Phoenix je ne pouvais jamais faire de film. 

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