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    Félix et Meira, de Maxime Giroux : "Je suis plus dans l’observation que dans la parole..."

    À l’occasion de la sortie du drame "Félix et Meira", sacré meilleur film canadien au Festival de Toronto, AlloCiné a rencontré le cinéaste Maxime Giroux.

    AlloCiné : Comment sont apparues l’idée et l’envie de faire un film sur la communauté juive hassidique de Montréal, communauté très fermée dont on ne parle que très peu ?

    Maxime Giroux : Pour faire un point, au départ sur la communauté à Montréal, il y a douze communautés juives hassidiques à Montréal, ici à Paris il y a des Loubavitch qui est probablement la communauté la plus ouverte des juifs hassidiques. Nous, à Montréal on en a plusieurs et on a les Satmars dont mon film parle. Moi j’habitais dans ce quartier-là, où y’avait des communautés hyper fermées et je les côtoyais tous les jours. Mes voisins immédiats, c’était des juifs hassidiques et malheureusement, je ne pouvais pas communiquer avec eux. J’essayais avec des femmes mais c’était un refus catégorique. Donc il s’est développé nécessairement une frustration. Et puis à un moment donné je me suis dit c’est impossible que cette communauté-là soit que négative à mes yeux, il faut qu’il y ait quelque chose de beau de l’autre côté et j’ai eu envie de faire le film pour cette raison-là.

    AlloCiné : Comment vous êtes-vous documenté sur les rituels et traditions des juifs hassidiques pour construire votre scénario ?

    Maxime Giroux : Au départ, on voulait avoir une certaine naïveté comme le personnage de Félix, donc on a décidé d’y aller juste avec les livres. Dans les écrits, on nous dit que c’est très complexe, qu’on ne pourra jamais vraiment connaître la vérité : il y a plusieurs communautés dans le monde et chaque communauté a ses traditions, chaque rabbin à sa vérité. Donc on a lu et ensuite on a commencé à parler avec des membres de la communauté : moi je me promenais en vélo dans le quartier, j’allais à leur rencontre, leur parler, je commençais à les reconnaître et déjà ils voyaient que j’étais plutôt ouvert contrairement à la majorité de mes concitoyens, donc ils m’ont accueilli chez eux, j’ai bu avec eux, j’ai appris à les connaître.

    AlloCiné : Plusieurs acteurs du film sont d’anciens membres de la communauté juive hassidique : vous ont-ils aidé à rendre votre histoire crédible grâce à leur expérience personnelle ?

    Maxime Giroux : En parallèle, j’ai rencontré des gens qui sont sortis de la communauté, pour qu’ils me racontent leur histoire et certains d’entre eux sont dans le film : comme le mari, joué par Luzer Twersky. Lui m’a vraiment aidé sur le film. C’est, entre autre, lui qui a traduit en yiddish les dialogues. Sans ces personnes je n’aurai jamais pu faire le film. Je dois avouer que quelques mois avant le départ du tournage, j’étais convaincu que je n’allais pas y arriver. Parce que je savais que quand ils se lèvent, ils se lavent les mains et font la prière, je l’avais lu, mais je n’avais jamais vu. Alors que Luzer, lui, l’avait fait, tous les jours de sa vie pendant vingt ans. Quand j’ai dit action, c’est la première fois de ma vie que je le voyais. Il jouait mais pour lui, c’était naturel.

    AlloCiné : C’est la deuxième fois que la communauté juive hassidique est évoquée dans un film en 2014/2015. En effet, Apprenti Gigolo, sans que ce soit le sujet central du film, évoquait le cas de Vanessa Paradis, qui de la même manière que Meira, découvrait au contact d’un homme une nouvelle culture, remettant en cause sa foi. Comment expliquez-vous que l’on parle de plus en plus de ce sujet ?

    Maxime Giroux : J’ai vu le film après avoir tourné Félix et Meira, j’ai trouvé que Vanessa Paradis avait un bon look de juive hassidique, mais je ne pense pas qu’ils parlent yiddish dans le film. C’est peut être un film un peu moins documenté. Je pense que de plus en plus on s’intéresse aux communautés qu’on ne comprend pas et je pense que ce sont des communautés qui sont tellement fermées qu’on veut essayer de les comprendre.

    Je suis plus dans l’observation que dans la parole. Je pense que les non-dits laissent place à l’interprétation du spectateur.

    AlloCiné : Comment avez-vous choisi les deux acteurs principaux du film, Martin Dubreuil, Hadas Yaron ?

    Maxime Giroux : Martin Dubreuil (Félix), je le connais depuis maintenant quinze ans. Il était venu me voir dans une fête et il m’a dit « j’aimerai jouer dans un de tes films un jour ». On a tourné des courts-métrages mais on voulait absolument faire un film ensemble, donc il est là depuis le début. Hadas Yaron a joué dans un film israélien où elle jouait une juive hassidique et je voulais pas qu’elle joue dans mon film parce qu’elle avait déjà joué le rôle, même si c’était en hébreu. J’avait dit non à mes producteurs. Mais elle voulait faire le film et mes producteurs lui ont fait faire une audition filmée. Après quinze secondes, c’était un oui catégorique. Elle a appris le yiddish et le français pour le film, elle est extraordinaire.

    AlloCiné : Si l’on regarde l’ensemble du film, on remarque que les dialogues ne sont pas si nombreux que ça et que les deux personnages principaux échangent leur culture par l’observation : pourquoi avoir fait ce choix d’une sorte de « contemplation », alors que le sujet aurait pu donner lieu à des débats ?

    Maxime Giroux : Je pense que c’est à l’image de ce que je suis. Je suis plus dans l’observation que dans la parole. Je pense que c’est un trait assez québécois, on est moins développé au niveau de la pensée et de la parole. Je pense que les non-dits laissent place à l’interprétation du spectateur. Ça m’intéressait plus d’être dans ce non-dit. Je pense qu’on en dit autant mais on le dit juste différemment. Mais c’est aussi parce que c’est quand même deux personnes qui ne parlent pas la même langue. Et par expérience, à un moment donné tu dois communiquer différemment, tu dois trouver un moyen.

    Urban Distribution

    AlloCiné : Le film met également en scène le fait que deux cultures cohabitent ensemble dans une ville, Montréal, sans jamais se fréquenter. Comment expliquez-vous cela ?

    Maxime Giroux : C’est un peu comme en France, il y a Paris et le reste de la France. Au Québec, il y a Montréal, et le reste du Québec et bizarrement, on ne fait pas beaucoup de films sur cette communauté là, sur « les autres ». Et pourtant je côtoie ces gens tous les jours. Et le film n’est pas sorti mais déjà il est considéré comme un film important pour le Québec parce que c’est comme si il découvrait que ces communautés sont là, alors qu’on le sait depuis 1920 qu’ils sont là. Mais on ne les avait jamais regardés, parce qu’ils ne nous regardent pas et c’est pour ça que les deux cultures cohabitent mais sans jamais se mélanger. Mais pour que ça fonctionne une société, il faut qu’il y ait un échange. Il y a maintenant une curiosité de la part des Québécois, qui veulent apprendre qui sont ces gens.

    AlloCiné : Comment expliquer l’intérêt soudain de Félix pour Meira, au premier regard, alors qu’il ne la voit qu’assise dans un café avec sa fille ? Et comment expliquez-vous que Meira soit si réceptive ?

    Maxime Giroux : Je pense que Meira est une adulte qui n’a pas eu d’adolescence et c’est le cas de ces jeunes juives hassidiques à qui, à douze/treize ans, passent du statut d’enfant à adulte. On leur dit « ta vie ça va être d’avoir des enfants et on va te montrer comment être mère ». Et lui c’est un éternel adolescent, comme bien des mecs. Et au final, c’est un éternel adolescent qui rencontre une femme qui veut retrouver son adolescence. Donc c’est un peu pour ça.

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