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    Gérardmer 2015 : comment sont choisis les films ? Le directeur Bruno Barde répond !
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    Bruno Barde, directeur général du festival de Gérardmer a accepté de dévoiler à Allociné les coulisses de la sélection, et la façon dont un événement comme celui-ci a une réelle importance pour le devenir des films.

    Quelques heures avant la révélation du palmarès du festival international du film fantastique de Gérardmer, AlloCiné a pu rencontrer le directeur général de l'événement, Bruno Barde. Outre Gérardmer, Bruno Barde chapeaute l'organisation du festival américain de Deauville, celui du film policier de Beaune ou encore le festival international de Marrakech. Il a accepté de répondre aux questions que beaucoup se posent lorsque l'on se demande comment doit fonctionner l'organisation d'un festival de cinéma, en particulier celui de Gérardmer.

    Parmi tous les festivals dont vous avez la charge, quelle est la place qu’occupe le festival de Gérardmer ?

    Gérardmer est une convention du genre. Nous avons réussi à faire que tous les aficionados, tous les adeptes du genre se retrouvent dans les séances de nuit, dans la compétition, la hors compétition et dans les courts-métrages. C’est vraiment un genre qui fédère, d’où le fait que l’on fait aussi une sélection multi-genres. Vous avez des films fantastiques, des films gores, et tous nos festivals sont ouverts au public. Mais Gérardmer a la particularité de fédérer toute une population qui ne se fédère que sur le cinéma fantastique. C’est pour cela qu’entre nous on appelle cela une « convention ».

    On se fait plaisir ici, c’est un festival que j’apprécie énormément, où les gens parlent dans les salles, attendent à deux heures du matin avec des moon boots et du vin chaud. Après ils vont boire un verre, ils discutent et le metteur en scène est là, il y a tout un mélange que j’aime beaucoup.

    Car les festivals sont des actes de cinéma très importants, et qui sont dans la culture française. La culture française, c’est la plus grande cinéphilie : la Cinémathèque, les Cahiers du Cinéma, Positif, c’est le festival de Cannes qui est le plus grand festival du monde… Donc c’est important qu’en France, les festivals fassent  découvrir des films et des auteurs.(…) Le cinéma est un art qui n’existe que par le regard des autres. Et à Gérardmer, tout le monde s’accapare les films : les journalistes, les producteurs, les distributeurs, les metteurs en scène qui voient les films des autres et le public.

    Comment opérez-vous votre sélection des films ?

    Depuis vingt ans que je gère des festivals et que je fais les sélections, j’ai un regard sur le cinéma qui est très précis. J’ai des certitudes plus que des convictions. Truffaut disait : « un bon film c’est un film qui a un point de vue sur le monde et sur le cinéma », et je dirais que ça je l’applique partout mais un peu moins à Gérardmer. Parce que ce qui y préside c’est le genre. Donc il m’arrive de prendre des films moyens, que je n’aime pas énormément, mais qui représentent des codes du genre. Parce que pour moi le cinéma doit élever l’homme, et souvent le film de genre le rabaisse. Mais à Gérardmer je ne fais pas la sélection pour me faire plaisir mais pour faire plaisir au public.

    Universal Pictures

    Quels critères vous font trier la compétition de la hors compétition ?

    Alors qu’est-ce qui fait que [cette année, NdlR] Cub est en compétition et pas Pool ? Eh bien il fallait bien choisir, car les deux films sont à peu près sur le même sujet, et Cub est plus transgressif pour moi, donc il est en compétition. Mais Pool est un film intéressant, c’est pour cela que je l’ai gardé. C’est comme ça que ça marche.

    It Follows, je l’ai déjà présenté à Deauville, il était à la Semaine de la critique, mais je trouve que c’est un film exceptionnel. J’avais déjà pris le premier film –The Myth of the American sleepover- de son réalisateur à Deauville. Mon travail c’est de suivre les cinéastes, je trouve It Follows si bon que je ne pouvais pas faire le festival du film fantastique et ne par prendre ce film sous prétexte qu’il était ailleurs. (…) Ex Machina n’était nulle part, Jupiter, le destin de l’univers c’était une première mondiale.(…) Dans le mot festival, il y a le mot fête, ça doit être festif. Ça veut dire qu’il faut qu’il y ait à manger et à boire, et dans le cinéma à manger et à boire, ça s’appelle des films.

    Un film de genre aujourd’hui a-t-il besoin des festivals pour exister ?

    Aujourd’hui, pour exister, un film a besoin de marketing. Et un festival c’est deux choses : d’abord une niche marketing. Etre à Beaune, ça veut dire que vous êtes un polar, vous dites quelque chose au public (…). Deuxième chose : dans un festival on parle des films. Et ça fait le buzz. Et on a besoin du buzz. Je peux vous dire qu’aujourd’hui il y a un film à Sundance qui a fait le buzz et on en parle déjà ici. C’est ça un festival. Il faut comprendre que pour les Américains, la France c’est le pays de la cinéphilie et donc de la reconnaissance (…). Et ils savent que Gérardmer c’est vénérable. Il y a les autres, mais y a Gérardmer.

    Droits réservés

    Organiser financièrement un festival de cinéma est-il devenu plus difficile qu’auparavant ?

    Il n’y a pas photo, et pour plusieurs raisons. Parce qu’il y a une crise, les collectivités territoriales ont des problèmes, c’est évident. Que la politique agit toujours sur la culture, en bien comme en mal. Souvent les oppositions dans les villes font que les festivals s’arrêtent, l’argent est cher. Trouver des sponsors devient difficile. Les médias s’intéressent plus aux célébrités qu’aux talents. Nous vivons une époque où l’on confond célébrité et talent, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans. Il ya aussi une multiplication des festivals, la presse est de plus en plus sollicitée, les acteurs et les metteurs en scène également. L’explosion des chaînes de télé et de l’internet fait qu’on voudrait que ça se passe partout en même temps, donc c’est vraiment plus difficile.

    On l’a vu avec l’annulation, faute de financement, du festival asiatique de Deauville en 2015. Pensez-vous qu’une édition 2016 verra le jour ?

    Sincèrement, je ne crois pas. Et je le regrette car je suis né avec le cinéma d’Ozu et de Mizoguchi, c’est pour cela que ce festival j’y tenais énormément.(…) Mais l’économie du cinéma asiatique en Europe est une catastrophe. En France c’est un peu mieux, mais ça représente à peine 0,5% de l’exploitation.  Je le dis sans acrimonie de ma part, mais la presse a une grande responsabilité de ma part. Si au lieu de faire des couvertures sur Nabilla on parlait de cinéma asiatique, peut-être qu’il y aurait plus de sponsors. (…) Le cinéma asiatique a considérablement souffert de tout ça, et mon groupe Public Système Cinéma (…) a accepté pendant des années de perdre de l’argent pour que ce cinéma-là soit mis en avant. La mairie de Deauville a aussi accepté de perdre de l’argent, mais il y a un moment où il faut que cela s’arrête.

    Vous avez apporté la compétition au festival de Deauville, Gérardmer lance sa billetterie, quelles nouveautés voudriez-vous apportez aux festivals que vous gérez ?

    (…) On se renouvelle régulièrement, nous sommes créatifs car nous sommes à l’écoute du monde. On ne cherche pas l’originalité à tout crin, mais on a le désir de créer des choses. Mais il me manque de l’argent sur tous les festivals. Parce que faire venir Robert Rodriguez ça coûte très cher. Un billet Los Angeles-Paris aller-retour en première classe coûte entre 14 et 18 000 euros. Et pourquoi Robert Rodriguez viendrait en France 24 heures en classe éco ? Il ne faut pas exagérer. Donc c’est comme ça. Les équipes de films viennent aussi : un réalisateur vient d’Australie, il y a des producteurs, tout cela coûte de l’argent.

    A part ça, je rêve de faire un festival sans générique. Ça donnerait « as-tu vu le film numéro 1 ? Non, j’ai vu le numéro 4 », et le prix est attribué au film 1 et là on dévoile le metteur en scène. C’est un rêve car cela ferait tomber les égo. Je dis toujours aux jurés « soyez vierges de toute information sur le film. Ne regardez pas le producteur, le distributeur, s’il est sorti pas ou non etc… » ; lorsque vus êtes au Louvres devant un Botticelli, vous ne vous demandez pas combien il a coûté, vous admirez la beauté (…). Par exemple, These final hours [présenté cette année en compétition, NdlR], comment savoir quel film c’est et qu’il est australien.

    Que peut-on vous souhaiter cette année 2015 ?

    De rester en bonne santé. De garder intacte ce désir, cette passion, cette joie que j’ai de donner et de recevoir. Et d’arriver à surmonter toutes les difficultés car il y en a beaucoup.

    Découvrez "Cub", présenté en compétition au festival de Gérardmer 2015 :

    Propos recueillis par Corentin Palanchini à Gérardmer le 1er février 2015.

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