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    "Les animateurs sont comme nos acteurs" : rencontre avec les papas de Shaun le mouton
    Thomas Imbert
    Thomas Imbert
    -Chef de rubrique - Infotainment
    De la Terre du Milieu aux confins de la galaxie Star Wars en passant par les jungles de Jurassic Park, il ne refuse jamais un petit voyage vers les plus grandes sagas du cinéma. Enfant des années 90, créateur des émissions Give Me Five et Big Fan Theory, il écrit pour AlloCiné depuis 2010.

    De passage à Paris pour présenter leur dernière pépite "Shaun le mouton", les réalisateurs Mark Burton et Richard Starzak nous dévoilent les coulisses des mythiques studios Aardman qui ont donné naissance à Wallace et Gromit...

    C'est au musée Arludik, peuplé par les créatures des studios Aardman le temps d'une passionante exposition, que se poursuit notre conversation avec les deux réalisateurs de Shaun le mouton. Très vite, on comprend que l'art de l'animation coule dans les veines de Mark Burton et de Richard Starzak. Leur toile ? Un bloc de pâte à modeler. Leur pinceau ? Une imagination débordante et un humour pince-sans-rire tout ce qu'il y a de plus british. De leurs premiers jours aux studios Aardman à la réalisation de Shaun le mouton, les deux artistes nous racontent leurs nombreux souvenirs...

    AlloCiné : Vous souvenez-vous de votre premier jour aux studios Aardman ?

    Richard Starzak : Je ne m’attendais pas à faire carrière. Je réalisais mon propre film en stop motion aux studios et j’ai rencontré David Sproxton et Peter Lord. Ils sont venus voir le film que j’étais en train de faire, et je suis rentré chez moi. Puis ils m’ont rappelé pour me demander si je cherchais du travail, et j’ai répondu "Oui ! Je vais travailler dans un vrai studio d’animation !". Mais je ne pensais pas que ça serait une carrière, je n’en avais pas la moindre idée. C’était vraiment une petite industrie familiale : deux gars, une caméra, et de la pâte à modeler. C’était à peu près tout.

    C’était vraiment une petite industrie familiale : deux gars, une caméra, et de la pâte à modeler. C’était à peu près tout.
    StudioCanal

    Mark Burton : Mon premier jour à Aardman, c’était il y a quelques années. A l’époque, je travaillais en tant que scénariste sur une comédie pour la télévision. On m’a appelé parce qu’Aardman réalisait un petit film appelé Chicken Run, et qu’ils voulaient quelques scénaristes britanniques selon un principe dans l’industrie du cinéma, qui consiste à relire le scénario et à le renforcer avec des blagues, à le rendre plus drôle. Donc on m’a appelé un week-end pour venir faire un essai. J’ai parlé avec Peter Lord et Nick Park, ils m’ont semblé très sympa. Ils m’ont dit : "Vas-y, écris des blagues marrantes !" Je suis sorti et j’ai essayé. Et ils m’ont rappelé pour me dire : "Tes blagues sont plutôt marrantes. Reviens, tu vas travailler sur Chicken Run !"

    Quels sont les ingrédients principaux pour faire un film aux studios Aardman ?

    Richard Starzak : Je pense qu’il faut être un peu provocateur, un peu malicieux. Donc quand on fait un film d’horreur chez Aardman, on en fait une version malicieuse, comme c’est le cas pour Le Mystère du Lapin-Garou, ou pour un film d’évasion comme Chicken Run. Je pense que le point fort d’Aardman est de raconter de très bonnes histoires, et d’une façon très drôle. 

    Je pense qu’il faut être un peu provocateur, un peu malicieux.
    StudioCanal

    Et la qualité principale d’un animateur chez Aardman ?

    Mark Burton : Il faut être patient, peut-être aussi légèrement obsessionnel, parce qu’il faut beaucoup de concentration. Mais je pense que les animateurs ont une compétence technique, et un don artistique derrière qui consiste à comprendre la performance des personnages. Pour nous, les animateurs sont comme nos acteurs. Nous les briefons et ils jouent au ralenti, à 24 images par seconde, pour donner vie à l’histoire et aux pensées des personnages.

    Les animateurs sont comme nos acteurs.

    Revenons aux origines de Shaun le mouton. Quand avez-vous eu l’idée de faire un long métrage à partir de ce personnage ?

    Richard Starzak : Comme on racontait les épisodes de la série sans dialogues, on a toujours eu l’impression de faire de petits films cinématographiques, parce qu’on devait raconter les histoires de façon cinématographique. Donc on avait toujours l’impression que c’était plus qu’une série télévisée. A mesure que le temps passait et que Shaun devenait de plus en plus populaire, on s’est rendu compte que cette relation entre les trois personnages principaux – le chien Bitzer, le fermier et Shaun – était une histoire pleine d’émotion et qu’on pouvait la raconter dans un format plus long.

    StudioCanal

    Les personnages du film ne parlent jamais. Est-ce que ce n’est pas la forme ultime de l’animation, qui nous oblige à exprimer les sentiments des personnages uniquement avec des mouvements et des images…

    Mark Burton : Oui, et aussi avec l’histoire. Si vous racontez l’histoire correctement, vous pouvez montrer un personnage, et le spectateur sait ce que pense ce personnage. Vous n’avez pas à faire grand-chose. Parfois, on a juste à montrer un personnage qui ne fait rien de particulier, et le spectateur remplit le vide.

    Quel serait votre conseil pour réaliser une telle chose ?

    Mark Burton : On a appris tout ça en regardant Nick Park et les autres. Mais la première chose, c’est de raconter l’histoire de telle façon que vous savez toujours ce qui se passe dans la tête des personnages. Si vous ne savez pas ce que pensent les personnages, vous vous désengagez. Donc c’est la première chose. Et je pense aussi qu’il faut essayer de trouver des manières d’exprimer une idée qui soient simples mais visuelles.

    StudioCanal

    Quelles ont été vos inspirations majeures pour ce film, et pour le personnage de Shaun ?

    Richard Starzak : Quand on faisait la série animée Shaun le mouton, on avait toujours une photo de Buster Keaton accrochée au mur, parce que Shaun a autant d’expressions que lui. Il peut seulement utiliser ses yeux, son visage ne change pas beaucoup. Donc c’était une source d’inspiration. J’ai grandi en regardant des comédies muettes le dimanche après-midi. Après le déjeuner en famille, il y avait toujours un moyen métrage de Laurel et Hardy, et des cartoons de la Warner, comme Bip-Bip et Coyotte ou Bugs Bunny. C’étaient des influences majeures, et je pense que beaucoup de gens qui travaillent chez Aardman partagent des influences similaires.

    Quand on faisait la série animée Shaun le mouton, on avait toujours une photo de Buster Keaton accrochée au mur.
    StudioCanal

    L’animation semble donner le meilleur d’elle-même quand elle ne parle pas. On pense à l’introduction de Là-haut, et au début de WALL-E…

    Mark Burton : Oui, la première demi-heure de WALL-E nous a beaucoup inspirés. Je pense qu’on peut dire la même chose de tous les films. On peut regarder un bon film en coupant le son, parce que les grandes idées de l’histoire sont là en images. Je ne pense pas qu’on doive se forcer à le faire. Il y a beaucoup de très bons dialogues en animation comme dans les films en prises de vues réelles, mais il faut les utiliser avec modération, et en aucun cas pour développer l’intrigue à outrance. Si vous ne pouvez pas utiliser vos personnages pour raconter l’intrigue, vous devez trouver une meilleure solution. Donc ça vous oblige à travailler plus dur. Je suis plutôt d’accord avec vous, j’adore voir des séquences sans aucun dialogue. On adore le comique de geste, nous aussi. Je pense que tout le monde dit qu’il adore la première demi-heure de WALL-E et qu’il ne se souvient pas vraiment du reste. (rires)

    On peut regarder un bon film en coupant le son, parce que les grandes idées de l’histoire sont là en images.

    Richard Starzak : Peter Lord et Nick Park nous ont beaucoup inspirés. Peter Lord avait travaillé sur Morph, son petit personnage en pâte à modeler. Les histoires parlaient d’elles-mêmes, il n’avait qu’à les story-boarder. Quant à Nick, il avait story-boardé entièrement le moyen métrage Un mauvais pantalon avec Wallace et Gromit sans utiliser un seul mot. C’était la bande dessinée la plus incroyable à lire, c’était brillant ! Ils pensent toujours à l’histoire de façon cinématographique en premier, et s’ils ont besoin d’utiliser des mots, ça vient plus tard. Mais ce n’est pas construit autour de conversations, contrairement à beaucoup de films américains.

    StudioCanal

    Aardman est aussi l’un des derniers bastions de l’animation traditionnelle à ne pas céder pas aux sirènes du CGI…

    Mark Burton : C’est drôle que vous employiez le mot "traditionnel", ça implique un côté démodé. Je pense que le stop motion a une place dans l’animation moderne. On voit tellement de films en CGI un peu partout… C’est assez dur pour ces films-là d’être uniques, alors que les films en stop motion ont une apparence différente, une note différente. On n’a aucun problème avec le CGI, les studios Aardman eux-mêmes ont fait des films en CGI. Mais je pense qu’on préfère le stop motion, ça convient mieux aux histoires qu’on raconte.

    On préfère le stop motion, ça convient mieux aux histoires qu’on raconte.

    Richard Starzak : Tous les gens qui vont voir des films d’animation savent pertinemment que ça n’est pas réel. Donc que ça soit fait avec de la pâte à modeler ou avec des pixels sur un ordinateur, tant que l’histoire est bonne, rien d’autre ne compte vraiment. Mais je pense que cette technique qu’on expose ici à Arludik, dans cette magnifique exposition, plait aux gens et particulièrement aux enfants. Ils aiment voir des choses authentiques et réelles qui existent pour de vrai. C’est comme un grand coffre à jouets.

    Un coffre à jouet dans lequel on peut désormais trouver... un certain mouton !

     

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