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    Cannes 2015 : avec Le Fils de Saul, "on ne voulait pas faire un film beau"

    Rencontre avec László Nemes, le réalisateur hongrois du drame Le Fils de Saul, présenté en Compétition, qui plonge le spectateur dans l'horreur du camp d'Auschwitz.

    Avec Le Fils de Saul, présenté ce vendredi en Compétition, le réalisateur hongrois László Nemes, disciple de Bela Tarr, plonge le spectateur dans l'horreur du camp d'Auschwitz en suivant le personnage de Saul Ausländer, membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. AlloCiné a rencontré le cinéaste pour évoquer cet ambitieux long métrage.

    AlloCiné : Le plan-séquence en ouverture du "Fils de Saul" est un morceau de bravoure. Mais surtout, il laisse le spectateur dans un état de choc sensoriel et psychologique, propice au déroulé du film...

    László Nemes : Ce plan-séquence donne les règles, non seulement de l'environnement mais aussi du personnage. Et en plus, on donne les règles de la réalisation. Par ailleurs, au bout d'un certain temps, ce plan a un effet hypnotique. En tout cas, si on a de la chance. C'est ce que j'espérais.

    Le flou est l'une des grandes thématiques stylistiques du film. Il permet de montrer l'horreur sans la montrer.

    Il fait partie de cette stratégie filmique. Et je savais qu'on ne pouvait pas faire un film comme les autres. Le flou est une idée cinématographique très intéressante mais assez peu utilisée dans la narration. Il permet de créer des choses beaucoup plus riches dans l'esprit du spectateur. L'image nette simplifie, alors que le flou enrichit. Les contours sont moins nets, le spectateur est toujours dans un état d'imagination. Cinématographiquement, j'essaie de ramener les images au niveau de l'être humain, et pas plus, et de faire travailler son imagination.

    Ramener les images au niveau de l'être humain, pas plus, et faire travailler son imagination

    Le but était aussi de se focaliser sur l'humain, Saul, représenté de manière nette, en suggérant l'horreur autour de lui, en flou. Je ne nie pas que c'était problématique de recréer cette horreur, mais une image nette la simplifierait, et du même coup en simplifierait également la portée. Le flou est une réduction visuelle pour une augmentation de l'imagination et de l'émotion.

    Surtout pour un sujet comme celui-là vient pour un réalisateur la question de la stylisation de l'horreur. Jusqu'où pousse-t-on la mise en scène d'une telle atrocité ?

    C'est une question très intéressante. Au début du film, avec le chef opérateur, on a fixé une série de règles, dans laquelle on a inscrit : "Cela ne peut pas être beau." Le Fils de Saul n'est pas un film iconique. A tel point que j'ai eu beaucoup de mal à choisir une photo du film pour la presse. En sachant que ce sera de toute façon toujours réducteur, que prend-t-on ? On ne voulait pas faire de belles choses pour la lumière, pour la composition, pour le cadrage... On ne voulait pas faire un film beau. Il fallait rester au plus près de Saul, d'où cette caméra à l'épaule et l'utilisation d'un objectif quasi unique. Il fallait faire le film le plus simple possible. Souvent les films sur la Shoah peuvent se révéler esthétisants. Il a fallu faire attention à ne pas être amoureux de nous-mêmes et de nos images. D'où aussi ce choix d'avoir cassé nos plans-séquences. Dans ce sens, nous n'avons pas voulu "faire" du Bela Tarr...

    Ad Vitam

    L'autre grande thématique stylistique du "Fils de Saul", c'est le son. Là encore, vous l'utilisez pour suggérer ou hypnotiser. La scène de la chambre à gaz en est un parfait exemple...

    Il a fallu donner des règles de l'environnement. D'une certaine manière, dans le film, le son est aussi un élément subjectif. Les cris étaient tout le temps là. Si on avait voulu être "réaliste", les sons auraient été omniprésents dans le film. Mais ce n'est pas possible. Le son donne donc une note de référence. Pas besoin d'en montrer autant tout le temps. On peut faire retentir à nouveau une petite note pour que cette horreur revienne. Mais il fallait donner une note de référence au début.

    Le flou comme le son laissent penser que vous avez adopté la maxime "Less is More" ("moins = plus) pour ce film...

    "Less is more", c'est justement ce que je disais pendant tout le tournage ! C'était notre devise avec l'équipe. C'est aussi un appel à faire des films qui suivent cette règle pour ne pas tomber dans la surenchère.

    "Less is more"

    Cela fait deux fois que vous dites que le cinéma perd son imagination et en fait trop. C'est réellement le constat que vous faites ?

    Oui. Et il est vrai que la numérisation et l'accès facile aux trucages numériques contribuent à tuer le cinéma. D'une part, cela donne un cinéma avec une esthétique créée par des réalisateurs d'effets visuels. D'autre part, c'est aussi une stratégie de monstration et de surenchère. Et à un moment donné, je suis persuadé que l'on ne peut plus suivre émotionnellement. J'ai rencontré le cinéaste Garret Brown (ndlr: l'inventeur du Steadicam) pour ce film, parce qu'on pensait faire du Steadicam. Il m'a avoué qu'il l'aurait fait avec plaisir mais que Le Fils de Saul n'était pas un film de Steadicam. Brown a contribué comme personne à la mobilité au cinéma et pourtant, il dit que les effets visuels dématérialisent la caméra. Avec les effets numériques, la caméra passe à travers des murs, des corps... Et à ce moment-là, on perd le côté physique de l'appareil. Le spectateur ne peut plus se projeter émotionnellement. Personnellement, je veux que le cinéma reste au niveau de l'être humain.

    Quels sont vos projets après "Le Fils de Saul" ?

    J'ai un projet actuellement, que je développe en Hongrie. Cela se déroule en 1910 mais je ne peux pas en dire plus aujourd'hui... Simplement vous dire que c'est un film sur la fin d'une civilisation. Je n'ai pas envie de faire des drames historiques habituels. Les civilisations qui se tuent, cela m'intéresse tout particulièrement. Pour moi le présent se reflète dans le passé. Et je crois que c'est d'actualité.

    Propos recueillis par Thomas Destouches à Cannes le 15 mai 2015

     

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