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    Qui c’est les plus forts ? : Rencontre avec Charlotte De Turckheim, Alice Pol et Audrey Lamy

    A l’occasion de la sortie de "Qui c’est les plus forts ?", la nouvelle comédie humaine et sociale de Charlotte de Turckheim, Allociné a rencontré la cinéaste ainsi que ses deux comédiennes, Alice Pol et Audrey Lamy.

    AlloCiné : Votre film est une adaptation de la pièce de théâtre « Sunderland » de Clément Koch, qu’est ce qui a raisonné en vous au moment où vous avez découvert cette pièce et vous a donné envie de l’adapter au cinéma ?

    Charlotte de Turckheim : J’ai eu un coup de foudre immédiat tellement j’ai ri alors que le texte traitait de sujets tellement profonds. C’était un genre de spectacle auquel j’avais très rarement assisté. C’est-à-dire qu’il parlait avec légèreté de choses graves et avec gravité de choses légères. On retrouve cela également dans une pièce comme « Le Père Noel est une ordure » du Splendide, même si c’est plus grinçant, on y rit aussi de gens qui sont tous au bord du suicide. Mais dans « Sunderland », il y avait également une humanité qui m’a touché et m’a donné envie de l’adapter.

    AlloCiné : Qu’est-ce qui vous a attiré sur ce projet après avoir lu le scénario ?

    Audrey Lamy : J’ai trouvé l’histoire très riche, avec des sujets forts, aussi bien sociaux qu’humains et des personnages très bien définis. Des filles modernes, qui se battent et qui agissent plutôt que de subir. Il y avait beaucoup de positif qui était véhiculé dans le script et puis c’est une belle palette de jeu qui nous était offerte.

    Alice Pol : Pour ma part, je trouve que c’est important de pouvoir traiter des sujets aussi essentiels sous le prisme de la comédie. Et puis, c’est surtout le courage et la volonté d’aller toujours de l’avant de ces personnages qui m’a emballé.

    AlloCiné : Est-ce que cela ne comporte pas un risque de mélanger les genres (l’humour, le social, l’émotion) ?

    Charlotte de Turckheim : Je ne raisonne pas vraiment en termes de risque. En fait, on ne choisit pas un sujet, c’est le sujet qui vous choisit. Je pensais si souvent à cette histoire que je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté. Du coup, je ne me pose pas la question du risque. De toute façon, c’est risqué de faire un film, tout comme c’est risqué de vivre. Si on s’arrête au risque, on n’avance plus. Et il ne se passe rien d’intéressant dans la zone de sécurité. Je choisis toujours l’inconnu plutôt que la facilité car on ne peut avoir que des bonnes surprises.

    Christophe Brachet

    AlloCiné : Esthétiquement, le film contraste avec des images très grises et d’autres très colorées, c’était important pour vous cet effet de stylisation ?

    Charlotte de Turckheim : C’est une chose à laquelle je tiens beaucoup car je pense que quand la vie est douloureuse, elle ne va jamais l’être complètement. Ce n’est pas parce qu’on traverse des moments difficiles que tout est moche autour de nous. Il peut y avoir des choses magiques ou merveilleuses. Et justement, la petite sœur du personnage interprété par Alice Pol s’est créée son propre monde, où elle se retrouve hors du temps et de la réalité… Un monde de papillons et de couleurs. Cela contraste avec les moments très cash et la réalité sociale dépeinte dans le film.  J’aime cette âpreté dans le montage.

    AlloCiné : On entend souvent sur ce film, qu’il dresse un portrait d’héroïnes ordinaires ainsi que de « la France d’en bas »… Etes-vous en accord avec ce discours ?

    Charlotte de Turckheim : Je suis très gênée par ce terme car le film va contre toute forme d’exclusion et je n’apprécie pas le fait que n’importe quel individu ne puisse pas avoir les mêmes chances dans la vie qu’un autre. Ce qui était important pour moi, c’était de montrer qu’il peut y avoir des moments très douloureux dans tous les milieux sociaux et que c’est ça qui nous unit… Tous. Ce film parle de la crise mais aussi de la solidarité, de l’amitié et surtout d’une famille qui, après avoir eu son lot de douleurs, s’est reconstruite… Et même simplement construite car en dehors des deux sœurs, les autres personnages n’ont aucun lien de parenté. Autant de thèmes qui sont propres à n’importe quels milieux sociaux.

    Si on s’arrête au risque, on n’avance plus. Et il ne se passe rien d’intéressant dans la zone de sécurité. Je choisis toujours l’inconnu plutôt que la facilité car on ne peut avoir que des bonnes surprises.

    AlloCiné : Comment vous êtes-vous imprégné de cette réalité sociale ?

    Alice Pol : Pour ma part, j’ai regardé plusieurs documentaires sur des fermetures d’entreprises. J’ai été frappé par l’esprit de groupe dont font preuve toutes ces personnes qui se retrouvent violemment sans emploi, et comment elles sont solidaires et se battent ensemble pour retrouver du boulot. Pour ce qui est de l’interprétation pure, il s’agit de filles très intuitives, qui parlent d’une manière très directe. Du coup, le texte devait être digéré de façon à ce que l’on puisse travailler sur un ton très naturel.

    Audrey Lamy : On s’est aussi posé la question de pouvoir jouer avec un accent stéphanois. Mais on a préféré renoncer car on craignait de tomber dans la caricature.

    AlloCiné : Le film accorde également une place importante au football qui est incontournable dans une ville comme Saint-Etienne. Selon vous, que représente ce sport pour vos personnages ?

    Alice Pol : Pour moi, il représente un aspect très fédérateur qui rejoint la notion du groupe et de la solidarité. Et puis, pour eux, c’est surtout une échappatoire.

    Audrey Lamy : Quand elles se retrouvent entre copines à faire les pom-pom girls devant un stade en folie, c’est leur moment de récréation, de liberté où elles peuvent enfin respirer.

    Christophe Brachet

    AlloCiné : « Qui c’est les plus forts ? » traite aussi d’un sujet encore délicat dans la société française, celui des mères porteuses… Quel regard aimeriez-vous que le public porte sur ce sujet après avoir vu le film ?

    Charlotte de Turckheim : Pour moi, l’un des enjeux les plus importants était que tout devait être dit de manière très cash, très crue… Quand on parle de ce genre de sujets de société, on ne les comprend pas de l’intérieur car ce ne sont pas des gens concernés qui vous racontent leur histoire mais là, si… Je ne veux pas donner de leçon car c’est un problème complexe. J’ai eu la chance d’avoir des enfants naturellement et je ne veux pas priver quelqu’un d’en avoir sous prétexte qu’il est stérile ou homosexuel, même si je trouve cela difficile d’accepter l’idée de payer une femme pour lui faire un enfant. C’est pour cela qu’il faut peut-être une législation pour éviter ce genre de pratique. Mais ça reste de l’humain à l’humain, chaque cas est un cas particulier, donc est-ce qu’on peut vraiment faire une loi là-dessus. Certaines personnes feraient de merveilleux parents mais ne le sont pas alors que d’autres sont des parents indignes… L’une des questions que je souhaitais poser finalement, c’était « Qui sont les bons parents et les mauvais parents ? ».

    Alice Pol : Pour ma part, j’espère que le public ne portera pas de jugement hâtif et qu’il comprendra qu’il est nécessaire de se trouver au cœur d’une situation de ce genre pour pouvoir vraiment la comprendre. Ce que j’aimais dans le scénario, c’est qu’il ne prenait pas parti, il n’essayait jamais de faire passer une morale quelconque. La seule question qui se pose pour mon personnage c’est, jusqu’où est-elle capable d’aller par amour pour sa petite sœur. Le message n’est pas vraiment politique, il est avant tout humain.

    AlloCiné : Pensez-vous avoir réalisé un film féministe ?

    Charlotte de Turckheim : Non car je ne veux pas être classé, d’autant plus que je fais un film sur l’exclusion. C’est un film qui dit simplement « Rebellons-nous ! » aussi bien aux personnages joués par Alice et Audrey qu’au personnage de Dylan, incarné par Bruno Sanches. Mais je dois reconnaître qu’en ce moment je trouve que les femmes ne se rebellent pas assez. C’est pour cela que j’ai d’autant plus souhaité affirmer ce message.

    Propos recueillis le 4 Mai 2015 à Paris

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