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    Quand la promo dérape : Jonah Hill et 13 autres interviews gênantes...
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Humour malvenu, boulettes du journaliste qui confond les noms, questions sexistes ou intimes totalement déplacées, acteurs ou réalisateurs mal lunés en service minimum... Retour sur quelques promo cinéma qui ont dérapé.

    Vincent Lindon

    En 2011, nous avions rencontré l'acteur Vincent Lindon pour parler de Pater d'Alain Cavalier, oeuvre minimale et magistrale, ovationnée au Festival de Cannes. Pour ce film qui ne ressemble à aucun autre, l'exercice de l'interview avec l'artiste fut à la fois fascinant et totalement déroutant. En somme, Vincent Lindon nous gratifia d'un dérapage... Totalement contrôlé. Récit des faits.

    Acte I 

    Un vendredi après-midi, on a rendez-vous avec Vincent Lindon dans un hôtel du VIe arrondissement à l'occasion de la sortie de Pater. On est ravi, et curieux, de rencontrer un des comédiens les plus énigmatiques (quoi qu'il en dise) du cinéma français, riche de ses paradoxes : une "force tranquille" que vient contrarier une manière d'être en permanence sur le qui-vive ; un côté "les deux pieds dans la terre" qui inspire pourtant nos cinéastes les plus rêveurs (Thomas, Jolivet, Serreau...) Au moment où sort Pater d'Alain Cavalier (une oeuvre hors normes qui parle de politique, mais aussi du métier d'acteur), on a donc envie de revenir avec lui sur le chemin parcouru.

    Histoire de rester dans l'esprit de ce film ludique et politique, on a composé un gouvernement imaginaire, chacun des ministres étant un des réalisateurs marquants qui l'ont dirigé (Lioret aux affaires sociales, Thomas à la famille, Jacquot à la culture, etc.). Le petit jeu étant un prétexte pour évoquer ses souvenirs d'acteur-cinéphile-citoyen... Dans un premier temps, nous parlons de Pater, puis nous passons à la deuxième partie de l'interview. D'abord sceptique, l'acteur se montre finalement séduit, amusé, parfois même ému, et se prête au jeu. Lorsque l'entretien s'achève, au bout d'une grosse demi-heure, Vincent Lindon nous confie qu'il n'est pas très satisfait de sa prestation (fatigue, manque d'énergie), et propose que nous nous revoyions la semaine suivante pour tout recommencer.

    Acte II

    La semaine suivante, un mardi, Vincent Lindon arrive dans les locaux d'AlloCiné pour une "deuxième prise". Ayant déjà eu affaire à notre interlocuteur quelques jours plus tôt, on est forcément un peu moins anxieux. On est aussi assez épaté, reconnaissons-le, par ce comédien qui pousse si loin le souci du travail bien fait. Mais on est aussi plus embarrassé par cette situation inhabituelle : il s'agit de reposer les mêmes questions, de jouer au même jeu, tout en s'efforçant de préserver une certaine spontanéité. On (re)commence donc par les questions concernant Pater.

    Et là, déjà, quelque chose nous intrigue : à ces questions qu'il a déjà entendues le vendredi précédent, il répond de manière parfois totalement opposée à ce qui avait été dit la première fois. Il cherche manifestement à désarçonner l'intervieweur -c'est réussi. Mais l'entretien reste dans un cadre très classique : l'acteur nous parle du film dans lequel il joue. Voici un montage de cette interview "traditionnelle" à propos d'un film qui l'est très peu...

    Acte III

    On passe ensuite à la partie "gouvernement" : après avoir réagi, avec moins de conviction que la première fois, aux premières propositions (pour chaque ministre, on passe à Vincent Lindon une feuille sur laquelle figure le nom du réalisateur, son "poste" et une photo), il nous dit qu'il veut arrêter, qu'il en a assez, car parler de sa carrière ne l'intéresse pas. C'est là que commence la vidéo ci-dessous...

    Alors évidemment, au terme de cette conversation, on peut s'interroger. Acteur visiblement sincère, qui pose des questions passionnantes, Vincent Lindon reste un acteur. S'agit-il d'un happening, d'un authentique ras-le-bol, d'une intervention préparée ? C'est justement ce qui fait le prix d'un tel moment : comme on ne sait pas exactement où on est, il va bien falloir que notre conscience reste en éveil... Bien sûr, on pourra dire que cette façon de dénoncer la promotion, dans le cadre de la promotion, est aussi une manière fûtée de faire de la promotion...

    Avoir été dans la peau d'un Premier ministre pour Alain Cavalier aurait-il fait naître chez Vincent Lindon un goût du pouvoir ? Il n'est en tout cas pas anodin que le comédien ait souhaité s'exprimer ainsi au moment où sort Pater, film, on le répète, aux allures de vaste terrain de jeu : au fond, s'il s'amuse à déstabiliser gentiment l'intervieweur, ce grand amateur de métaphores sportives a surtout souhaité bousculer les règles d'un jeu (la promo). C'est rarement confortable, mais souvent salutaire. On l'en remercie, donc.

    (Texte de Julien Dokhan)

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