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    "Back Home est une réflexion sur l'identité et la mémoire" selon Joachim Trier
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Passé par Un Certain Regard en 2011, grâce à "Oslo, 31 août", c'est en Compétition que Joachim Trier présentait cette année "Back Home", drame en langue anglaise en salles ce 9 décembre, et sur lequel il revient avec nous.

    Avec deux longs métrages sélectionnés à Cannes, sur les trois qu'il a réalisé, Joachim Trier fait presque figure d'habitué de la Croisette : après Un Certain Regard pour Oslo, 31 août en 2011, le cinéaste a même eu les honneurs de la Compétition cette année, grâce à Back Home (ex-Plus fort que les bombes). Et c'est à l'issue de la projection de presse de ce film tourné en langue anglaise et incarné par Gabriel Byrne, Isabelle Huppert et Jesse Eisenberg, que nous rencontrons ce metteur en scène détendu, affable et passionné de cinéma français.

    AlloCiné : "Back Home" est non seulement votre premier en Compétition, mais aussi le premier candidat norvégien depuis 1979. Que ressentez-vous à cette idée ?

    Joachim Trier : Je suis très honoré, car l'histoire de ma famille avec Cannes remonte à loin. Mon grand-père, Erik Lochen, a réalisé La Chasse, qui était en Compétition en 1960, aux côtés de Fellini, Antonioni ou Bergman. Donc Cannes a toujours été un endroit mythique au sein de ma famille, un lieu dont j'entends parler depuis que je suis enfant. Puis Oslo, 31 août a été présenté à Un Certain Regard, et ça m'a permis de recontrer plus d'amis et un public plus large en France, ce qui signifie beaucoup pour moi, car j'ai grandi avec le cinéma français. C'est donc fantastique que d'avoir été invité en Compétition.

    Y a-t-il des films ou des réalisateurs français qui vous inspirent ?

    Beaucoup ! Je parlais récemment à quelqu'un de la triste disparition d'Alain Resnais, qui a fait de grands films sur la mémoire, l'Histoire et l'identité. Hiroshima, mon amour est l'un de mes films préférés et, sans chercher à me comparer au maître, j'ai aussi envisagé Back Home comme une réflexion sur l'identité et la mémoire, même s'il s'agit d'une histoire de famille. Et je trouve qu'il y a beaucoup de réalisateurs contemporains intéressants en France. C'est amusant de se retrouver en Compétition avec Jacques Audiard, qui est un metteur en scène incroyable, et je sais qu'Arnaud Desplechin projette également son nouveau film [Trois souvenirs de ma jeunesse, à la Quinzaine des Réalisateurs, ndlr].

    Je voulais davantage questionner que donner des réponses

    Pourquoi avez-vous choisi ce titre, "Plus fort que les bombes" [titre original du film au moment de sa présentation à Cannes] ? Est-ce en référence à l'album des Smiths ou au poème d'Elizabeth Smart ?

    Je suis impressionné de voir que vous le connaissiez, mais j'ai découvert le poème Elizabeth Smart grâce à l'emprunt fait par les Smiths pour le titre de leur album. Je trouve qu'il reflète certains des thèmes de notre histoire : l'impossibilité de comparer les grands maux de ce monde, de mettre sur un pied d'égalité le drame de cette mère en tant que photographe de guerre et les douleurs subtiles de la vie de famille, le grand et le petit. Nous avons trouvé que le titre correspondait à celà.

    Il y a aussi un point commun entre votre film et le poème d'Elizabeth Smart : cette idée que l'amour doit être plus fort que toutes les autres émotions.

    Oui, il y a cette touche d'espoir dans le poème, où elle raconte cette triste histoire d'amour qu'elle a soi-disant vécue, lorsqu'elle dit que le sentiment amoureux doit être plus fort que les bombes. Je pense que notre film, au final, est optimiste. Il interroge la façon dont nous devons réévaluer notre enfance, nos souvenirs et notre perception les uns des autres, et montre à quel point c'est difficile. Mais je voulais davantage questionner que donner des réponses.

    Borde-Moreau / Jacovides / Bestimage

    Dans "Back Home", un dialogue explique que le sens d'une image peut changer si son cadre est modifié. Peut-on le voir comme la clé du scénario et de sa structure, où tout est question d'apparences et de point de vue ?

    Oui, notre sens de la réalité et de l'image aujourd'hui est un thème intéressant, car nous sommes exposés à des myriades d'images. Et je voulais que les personnages ressentent et expriment ce sentiment de fragmentation comme lorsque Conrad, le plus jeune [joué par Devin Druid, ndlr], fait preuve d'une grande vulnérabilité alors qu'il paraît déconnecté de la réalité. C'est un personnage romantique, tout comme je pense l'être, et ce qu'il apprend sur sa mère est intéressant.

    On peut aussi mettre en parallèle le scénario et l'usage qu'il fait de la photographie car, dans les deux cas, il est difficile d'avoir une image complète. Tout fonctionne davantage comme un puzzle.

    Oui, nous sommes forcés d'avoir notre propre point de vue au sein d'une famille. Mais les grands moments de la vie sont ceux où l'on parvient à comprendre le point de vue de l'autre. Il y a une tradition humaniste dans le cinéma, et notamment en France avec Jean Renoir et La Règle du jeu, où il est dit que "Tout le monde a ses raisons". C'est une très belle réplique, qui signifie que nous n'avons pas besoin d'antagonistes et que comparer les différents points de vue génère assez de drames. C'est comme lorsque Woody Allen dit que "La vie est merdique" (rires)

    Toujours jouer avec une idée d'absence

    Avez-vous été inspiré par la photographie pour réaliser ce film ? Il y a beaucoup de plans très graphiques.

    Dans un sens, oui, puisque je tourne sur une pellicule 35mm et que le cinéma est composé d'images qui défilent au rythme de 24 par seconde. Mais je suis surtout inspiré par le cinéma, même si je juge la photographie importante. Et je suis d'ailleurs très content que, pour les clichés pris par le personnage d'Isabelle Huppert, nous ayons pu utiliser des photos d'Alexandra Boulat, une photographe française décédée il y a quelques années. Elle a pris des clichés vraiment originaux et intéressants de conflits, qui m'ont inspiré.

    Mais le film propose également une réflexion sur le regard, d'où ces gros plans qui me fascinent d'autant plus que je viens de Scandinavie, comme les maîtres du gros plans qu'étaient Dreyer et Bergman. Il y a toute une tradition autour de ça.

    Vous parliez de l'optimisme au coeur de "Back Home", et on remarque que tous vos films ont en commun cette idée d'aller de l'avant et de prendre un nouveau départ après un drame ou des difficultés. En quoi cela constitue-t-il un bon point de départ pour vos scénarios ?

    C'est différent dans Back Home, car la façon dont le deuil affecte les personnages intervient de façon plus indirecte, puisque le récit se déroule trois ans plus tard. Mais je pense que le deuil nous expose aux fondations de l'identité, que j'explorais déjà dans mes films précédents. Eskil Vogt [le co-scénariste, ndlr] et moi-même sommes rationnels, et nous essayons de faire preuve d'intituition. Nous n'avons pas toutes les réponses lorsque nous créons une histoire, mais nous sommes curieux vis-à-vis des comportements humains que nous voulons explorer, de façon quasi-anthropologique. Mais je n'ai pas toutes les réponses à mes films (rires)

    Joachim Trier et son équipe sur les marches de Cannes :

    On en revient à votre idée de poser de questions plus que d'y répondre.

    Il faut toujours jouer avec une idée d'absence lorsque l'on créé une histoire. Vous voulez que les gens complètent cet inconnu, mais que chacun apporte un peu de soi dans l'histoire en question.

    Quand avez-vous choisi de situer l'histoire aux Etats-Unis ?

    J'ai longtemps vécu en Angleterre, où j'ai réalisé des courts métrages dans une école de cinéma. Et la Norvège est un petit pays, où seules cinq millions de personnes habitent, donc le Norvégien est une petite langue, et j'ai toujours eu envie de faire des films dans d'autres langues, pour explorer d'autres choses et me confronter à un autre public, plus élargi. Mais Nouvelle donne et Oslo ont voyagé, même s'ils étaient norvégiens, donc je pense que vous pouvez faire des films dans d'autres langues, tant que vous gardez votre style et les thèmes que vous voulez explorer.

    A propos de style : la structure du récit était-elle ainsi dans le scénario, ou est-elle née au montage ?

    Il a toujours été question, dès le scénario, de faire des allées et venues entre les points de vue, les époques, les souvenirs et les rêves. Mais un film ne cesse de se chercher jusqu'au bout du processus, donc il a pris un nouvel aspect pendant le montage. Beaucoup des éléments formels, comme l'usage de la voix-off, étaient néanmoins prévus dès le scénario.

    Isabelle Huppert est une icône du cinéma moderne

    Comment avez-vous choisi vos acteurs ?

    J'ai rencontré Isabelle au Festival du Film de Stockholm, en Suède, où nous avions tous deux remporté un prix : elle pour sa carrière, et moi pour Oslo. Nous sommes ensuite restés en contact et je lui ai envoyé mes films, qu'elle a aimés, et nous avons parlé de travailler ensemble sur un projet. C'est une icône du cinéma moderne, donc j'étais très content qu'elle accepte le rôle. Et c'était très beau de faire un film sur New York, où vivent beaucoup de Français.

    Gabriel Byrne, c'est un acteur que je suis depuis de nombreuses années et qui me semblait parfait pour le rôle de ce père que je trouve original. Ce n'est pas le patriarche autoritaire mais un père aimant, attentionné et proche. Trop peut-être, ce qui est intéressant. Et j'ai récemment vu Gabriel dans la série En analyse, que je trouve formidable.

    Pour ce qui est de Jesse, je pense qu'il joue un rôle différent de ceux qu'il tient habituellement. Il a fait beaucoup de comédies et de films de genre, et s'essaye ici à un registre plus dramatique, et c'est un très bon acteur. Il est très difficile de composer une famille, mais je n'ai pas cherché les acteurs les plus célèbres, mais les meilleurs et ceux avec lesquels j'avais vraiment envie de travailler.

    Il y a quand même quelques moments, au début, où Jesse Eisenberg est drôle et plus proche de ce que l'on connaît de lui. Avez-vous ajouté des touches d'humour en sachant qu'il jouerait le rôle ?

    Non, pas vraiment. Dans tout ce qu'Eskil et moi écrivons, nous essayons de mettre un peu d'humour, car il fait partie de la vie. Même lorsque l'histoire est mélancolique, la vie reste parfois drôle. Il n'y pas qu'une seule note et Jesse est bon dans l'humour, tout comme Gabriel, qui a aussi ses moments.

    Et vous parliez d'Isabelle Huppert comme d'une icône : est-ce pour cette raison que l'on retrouve un très gros plan d'elle, où l'on a le sentiment qu'elle nous regarde ?

    C'est une interprétation intéressante (rires) Le film interroge cette idée que l'on peut être très proche de quelqu'un, tout en sentant qu'il y a un mystère autour de cette personne. Et c'est un peu le but du gros plan : vous êtes très proches du personnage, mais ça n'est qu'une image, et nous jouons beaucoup là-dessus.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 18 mai 2015

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