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    Les reines d'Hollywood épisode 2 : Louise Brooks

    Au cours de l'histoire du cinéma, de nombreuses actrices ont marqué Hollywood, chacune laissant une trace toute particulière. Retour sur huit parcours de femmes hors du commun.

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    Episode 2 - Loulou, le journal d'une fille perdue

    « C’est à Berlin qu’Anita Loos, l’auteur des Hommes préfèrent les blondes, donna une interview qui m’amusa beaucoup. Elle affirma que les "Dolly sisters" et moi étions les plus belles blondes. A l’objection du journaliste, Anita Loos répondit que la couleur des cheveux ne jouait qu’un rôle secondaire et que nous étions des "êtres" blonds. Je suis donc une blonde aux cheveux noirs », écrivait Louise Brooks dans ses mémoires, Loulou à Hollywood. Aujourd'hui, la flapper la plus charismatique de sa génération - du nom que l'on donne aux jeunes femmes libres des années 20 -, au carré court à la garçonne noir de jais et au regard incandescent, est une véritable icône de l'ère du cinéma muet. Derrière l'image très parcellaire de la demoiselle rebelle et indépendante à la carrière d'actrice aussi courte que fulgurante, se cachait une femme très intelligente et spirituelle, obsédée par son propre échec. 

    Louise Brooks est née en 1906 dans une petite ville du Kansas. Sa mère, Myra Brooks, est une militante féministe engagée, une femme brillante passionnée par la musique et la littérature, qui se soucie peu de ses enfants. « Et alors ? Elle nous a appris l’amour du beau et le rire », dira Louise à son frère Théodore. La petite fille adore son père, pourtant assez absent lui aussi. Dès son plus jeune âge, elle est une danseuse confirmée : Myra joue Debussy au piano, Louise danse. Un voisin, Mr. Flowers, dépose chaque jour des friandises pour elle sur son perron. Le jour où la fillette s’aventure dans la maison, il abuse d’elle. Louise n’a que 9 ans, et lorsqu’elle en parle à sa mère, celle-ci la blâme et lui fait porter la culpabilité de ce qui est arrivé. Le traumatisme de cet abus restera comme une blessure profonde et indélébile. 

    Louise danse, Louise ne veut que danser, et quitter le Kansas. A 15 ans, après avoir vu danser la pionnière de la danse moderne Martha Graham, elle part pour New York afin de rejoindre la célèbre compagnie Denishawn. Remerciée après deux ans pour « attitude condescendante », elle est victime de rumeurs apparentant son rapport aux hommes et à l’alcool à de la débauche. Elle se produit alors dans la revue Les Scandales, où elle est remarquée par le compositeur George Gershwin, qui tombe sous le charme et lui promet de lui rapporter des cadeaux d’Europe. Le talent de Louise n’a d’égal que son indépendance et elle passe d’une revue à l’autre. Un soir où elle danse aux Ziegfeld Follies à Broadway, Charlie Chaplin, dans le public, est séduit. S’en suit une liaison de deux mois. Bien des années plus tard, malgré l’échec de cette relation, c’est toujours avec beaucoup de tendresse que chacun évoquera l’autre. « C’est en voyant danser Martha Graham que j’ai appris à jouer la comédie et en voyant jouer Charlie Chaplin que j’ai appris à danser », déclarera-t-elle. 

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    En 1925, Louise Brooks signe avec la Paramount. Elle fait sa première apparition au cinéma dans The Street of Forgotten Men. Dans It’s the Old Army Game, elle retrouve W.C. Fields, un vieil ami qu’elle côtoyait lorsqu’elle était danseuse. Le réalisateur du film, Edward Sutherland, tombe amoureux d’elle. Après avoir refusé plusieurs fois de l’épouser, elle finit par céder et ils se marient en juillet 1926. Lui tourne constamment à Hollywood, elle passe son temps à New York : leur union ne dure que deux ans. Dans The Show Off, elle exprime son tempérament de feu et dans Love’em and leave’em, elle interprète une femme libre qui profite de l’absence de sa sœur pour séduire son fiancé. Après seulement deux ans de carrière, elle est déjà adoubée par Variety, qui la considère comme l’étoile montante d’Hollywood. En 1928, elle tourne sous la direction d’Howard Hawks dans A Girl In Every Port : « Je recherchais un nouveau genre, commente Hawks. J’ai choisi Louise parce qu’elle est très sûre d’elle, très féminine. Elle a un esprit analytique. Elle est vraiment bonne et très en avance sur ton temps. C’est une rebelle, j’aime bien les rebelles. »

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    Dans Beggars of Life, elle joue une orpheline qui prend la fuite avec un clochard après avoir tué son tuteur. C’est son premier vrai rôle dramatique et Louise Brooks a longtemps considéré que c’était son meilleur film, malgré les tensions sur le tournage avec son partenaire Richard Arlen, jaloux de son succès. The Canary Murder Case est son dernier film muet hollywoodien. La Paramount décide en cours de production d’en faire un film parlant, mais la comédienne refuse catégoriquement de se doubler elle-même et c’est Margaret Livingstone qui assurera la voix du personnage incarné par Louise. Après ce film, Louise Brooks quitte Hollywood, qu'elle ne supporte plus, pour l'Europe. Un cinéaste autrichien du nom de Georg Wilhelm Pabst, basé en Allemagne, l'a en effet contactée pour lui proposer un rôle à sa hauteur : celui de Loulou, jeune femme qui ne vit que pour l'amour et le plaisir, au risque d'y perdre la vie. Dans Loulou, le réalisme psychologique du jeu de Louise Brooks et sa sensualité sont à leur paroxysme. Pabst, qui s'inquiète de la voir s'abandonner à la décadence berlinoise, la décrit comme une hédoniste. Il tourne avec elle un second film, tout aussi magnifique, Le Journal d'une fille perdue, qui sera largement mutilé par la censure. Encore une fois, le naturel du jeu de Louise Brooks, rare dans le cinéma muet, frappe. Après un dernier film tourné en France, Prix de beauté, Louise Brooks a le mal du pays et malgré les supplications de G.W. Pabst, traverse l'Atlantique dans l'autre sens. 

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    Le retour est difficile pour la comédienne. La Paramount n'a pas digéré son départ et la blackliste. Après avoir joué dans quelques séries B, notamment avec "Fatty" Arbuckle, tombé lui aussi en disgrâce suite à un scandale, elle se remet à danser. Mais, après un second mariage raté avec un danseur, elle abandonne la danse et fait une ultime tentative à Hollywood. Le dernier film dans lequel tourne Louise Brooks, Overland Stage Raiders, est un western. La star sur le déclin y croise une star montante à l'aube de son succès : John Wayne, dont elle parlera avec admiration comme d'un « héros de la mythologie venu miraculeusement à la vie, un être merveilleux ». Louise met un terme définitif à sa carrière d'actrice en 1938. 

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    Elle rentre à Wichita chez ses parents et y donne des cours de danse. Mais son caractère colérique et tyrannique rend les choses impossibles et la salle de danse ferme. Louise regagne New York. Très isolée, elle traverse des années de solitude et d'alcoolisme, étant même un temps escort girl : « Se sentir un instant esseulée est terrifiant pour une star : c'est la première borne sur la route de l'oubli. » Un ancien amant, William Paley, fondateur de la chaîne CBS, accepte de lui verser une petite pension mensuelle à vie sans rien attendre en retour, lui évitant de sombrer totalement. 

    Au milieu des années 50, Jim Card, fondateur de la Cinémathèque George Eastman située à Rochester dans l'Etat de New York, entre en relation avec Louise Brooks et, fasciné par son talent d'écriture, lui suggère d'écrire sur l'histoire du cinéma. C'est une nouvelle naissance pour Louise, qui s'installe à Rochester, écrit de très nombreux articles et rencontre fréquemment des étudiants en cinéma. En 1957, Henri Langlois lui rend hommage à la Cinémathèque française. Elle s'y rend en compagnie de Jim Card et assiste à la première projection de Loulou en 30 ans. Et pour la première fois depuis de longues années, on salue son talent d'actrice. 

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    Le tempérament rebelle de Louise Brooks en a fait une personnalité à part dans le petit monde artificiel et académique d'Hollywood et son caractère indépendant l'a poussée très tôt vers la sortie. Fidèle à elle-même, la star a traversé la vie sans jamais s'excuser d'être une femme libre, sensuelle, impétueuse, souvent malheureuse. Peu avant sa mort en 1985, elle écrira ces mots déchirants : « Quand je fais le bilan des 50 années qui se sont écoulées depuis que j’ai quitté Wichita, mon existence me remplit d’horreur. Car j’ai échoué en tout : (…) comme actrice, épouse, maîtresse, prostituée, amie. (…) Et je ne peux pas prétendre ne pas avoir essayé, car j’ai essayé de toute mon âme. » A Wichita, à Hollywood, à Berlin, à New York, Louise Brooks était une jeune fille perdue. 

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