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    Réparer les vivants : "Une greffe du cœur est un moment qui est d’une puissance et d’un mystère hallucinant"

    L'un perd la vie, l'autre la retrouve... Adapté du roman homonyme, "Réparer les Vivants" suit la fantastique et émouvante épopée d'un coeur qui va passer d'un corps à un autre. Rencontre avec sa talentueuse réalisatrice, Katell Quillévéré...

    Mars Films / AlloCiné

    Allociné : Dans un précédent entretien, vous confiez que vous aviez besoin de raconter cette histoire. Comment sait-on que l’on a besoin de raconter une histoire ?

    Katell Quillévéré : C’est assez bizarre en fait, c’est quelque chose que l’on ressent, ce n’est pas théorique. On est porté par quelque chose. C’est comme dans une rencontre sentimentale hyper forte, on ne sait pas ce qui nous pousse vers la personne. Ce mystère, il est beau d’ailleurs. Je n’ai pas forcément cherché à comprendre pourquoi j’avais tellement envie de faire ce film. Maintenant, avec un peu de recul et de travail derrière moi, je pense que c’est lié à des choses que j’ai vécues qui ont à voir avec l’hôpital, avec la mort, avec la peur de perdre. Et c’est banal en même temps, car on a tous des histoires en lien avec tout ça. Je crois que le film me proposait de réparer quelque chose chez moi, de transformer quelque chose de mon histoire. J’avais aussi l’intuition qu’il y avait quelque chose de très universel là-dedans et que ce film pourrait peut-être réparer aussi ceux qui iraient le voir. En tout cas, il y a une femme qui est réparée à la fin…

    Je crois que le film me proposait de réparer quelque chose chez moi"

    Votre film est un peu un mutant. Il prend des détours, on ne sait jamais où il va aller. Il y a des ellipses, il s’attarde sur des moments qui vous semblent importants, il n’y a qu’un seul flashback là où l’on pourrait en attendre d’autres. Vous avez l'art de la coupe et vous êtes finalement, vous aussi, une chirurgienne. Même s'il y a deux parties distinctes, traversées par cette course folle du cœur, il y a aussi une non linéarité dans votre récit...

    Pour moi, la question fondamentale, qui est une question d’ailleurs commune à la littérature et au cinéma, c’est comment on raconte les histoires. Car toutes les histoires ont été racontées. Donc, évidemment, que lorsque je fais un film, quand je l’écris, je me dis que je vais essayer de renouveler quelque chose sur le récit. J’y arrive ou je n’y arrive pas après... Mais, [j'essaie de] tenter quelque chose, c’était déjà le cas dans Suzanne. Et là aussi, j’essaie d’aller vers un récit audacieux.

    C'est un film qui est du côté de la vie en permanence"

    L'audace, c’est justement à la fois de tenir cette ligne, comme une chanson de geste entre des personnages qui se donnent le relais, entre une mort vers une vie. Et, en même temps, de les faire exister, ces personnages, chacun à leur manière, avec singularité, avec humanité, qu’ils ne soient pas que fonction, médicale ou du scénario. Mon film passe son temps à serpenter entre la ligne droite narrative et autre chose. Cet autre chose, c’est ce que j’appellerai presque l’école buissonnière du film. Il y a des moments où il se permet un peu de sécher les cours et d’aller regarder ailleurs…

    Mars Films
    Une de mes obsessions, c'est de me demander comment raconter un récit original et comment le filmer de manière audacieuse"

    Il y a plein de manières de charger le film, émotionnellement et humainement, de plein de choses de la vie parce que c’est un film qui est du côté de la vie en permanence, du côté de ceux qui ont le courage de continuer, comme les parents de Simon, ou de ceux qui mettent leur vie au service du soin.

    Quand on va voir Réparer les vivants, on sait que quelqu’un va mourir et on sait que quelqu’un va vivre. Il n’y a pas de suspense autour de ça, donc, les enjeux sont ailleurs. Donc, évidemment, je me demande comment je vais raconter que cet adolescent va perdre la vie, comment le faire de la manière la plus juste qui soit, et pas de manière racoleuse ou volontairement violente. C‘est comme ça qu’on a réfléchi à l’accident, à cette vague avec mon scénariste, Gilles Taurand.

    [On voulait] rester au bon endroit sur un plan humain et sensible puis ensuite esthétique. C’est aussi toute la question du récit et de l’esthétique du film. C’est un film qui, par moment, est très proche du réel, parce que c’est aussi une histoire scientifique, passionnante, l’aventure de la greffe. Et c’est aussi un film qui, par moments, décolle du réel et devient très poétique, très lyrique. Et ça, c’était aussi un de mes enjeux, une de mes obsessions : comment raconter un récit original, mais aussi comment le filmer de manière audacieuse.

    Mars Films

    Comment avez-vous filmé ces scènes dans la mer, ces scènes incroyablement immersives de surf ?

    Dans l’eau, enfin moi non, je restais sur la plage (rires), donc c’était cool pour moi. Le cadreur est aussi un surfeur habitué à filmer dans des conditions extrêmes. Nous, on avait fabriqué des caissons étanches pour nos caméras et, lui, il partait à l’eau avec les surfeurs. Car les acteurs de mon film sont de vrais surfeurs. C’était hyper important pour moi qu’on soit justes là-dessus aussi. Gabin Verdet (Simon), c’est un garçon de 17 ans qui se lève vraiment à 5h00 du matin pour aller surfer tellement il est habité.

    C'est ce que j'ai essayé de filmer dans cette scène du début, ce moment de vie suspendue"

    Parce que le surf, ce n’est pas juste un sport, c’est un rapport à la vie, un art de vivre différent et qui a à voir avec la mort tout le temps parce qu’on se confronte à un élément qui est très attirant et, en même temps, très dangereux, qui est la mer. Et c’est ça d’ailleurs que j’essaie de filmer dans cette scène. Ce n’est pas tant la performance de surf que ce moment de vie suspendue, comme ça, pendant quelques secondes où on est comme dans un ventre en fait. Le début du film est très matriciel, amniotique...

    En surf, on se love dans cet élément qui, en même temps, peut nous broyer. Il y a ce moment hyper fort où le surfeur est dans le bouillon et où il attend. Il attend que la mer l’expulse et, pour moi, ça a vraiment à voir avec la renaissance. On est éjectés, les poumons s’ouvrent, on respire à nouveau... Il y a déjà tout ça dans cette scène, cet enjeu de mort et de vie.

    Mars Films

    La phrase "Ceci est mon corps" correspond très bien à l'élément religieux qui existait dans votre premier film "Un poison violent" mais elle correspond aussi totalement à celui-ci. Simon est très physique, il est sans cesse dans la course, mais le film déroule aussi un aspect très clinique, chirurgical, effrayant et fascinant.  On voit peu de ces scènes au cinéma, plus dans les séries médicales, dont il facile de comprendre le succès. En tant qu'être humain, on a quand même envie de voir ça...

    Absolument. La question du corps est centrale dans mon film. L’un des enjeux était de renouveler une représentation de notre corps avec ce film. Et c’est pour ça que j’amène le spectateur à aller regarder sous la peau à un moment. Regarder sous la peau, ça fait super peur, c’est normal. En fait, il y a toujours une transgression. Ce n’est pas pour rien que la chirurgie a été interdite pendant des siècles. On n’avait pas le droit d’ouvrir, on n’avait pas le droit de regarder. C’était l’œuvre de Dieu. Et, en même temps, il a fallu des gens assez fous et assez curieux pour aller voir quand même comment fonctionne notre tuyauterie, notre mécanisme et c’est ce qui fait qu’aujourd’hui nos vies sont prolongées.

    Une greffe du cœur, c’est un moment qui est d’une puissance et d’un mystère hallucinant"

    Ce combat, entre un interdit et une soif de connaissances, qu’on a, nous aussi en tant que spectateur, parce qu’on n’a pas envie de voir mais on aimerait bien quand même, tout ça c’est très profond et archaïque. C’est là depuis les débuts de l’humanité. Dans ce bloc opératoire, il y a un enjeu de cinéma qui est génial et un enjeu humain génial à restituer. Ce cœur, j’avais vraiment envie de le montrer sous tous ces aspects parce que c’est quand même un organe qui est fou quand on y pense. Qui vit avec nous dès qu’on est ému, dès qu’on fait une rencontre, il s’accélère. Il se calme, il s’endort avec nous, c’est très puissant, très beau. Je trouvais génial d’oser le regarder aussi en tant que muscle, qu’on peut réparer, qu’on peut sortir, mettre dans une glacière, recoudre… C’est ça aussi la vie.

    Pour avoir assisté à une greffe du cœur, quand ça marche, c’est un moment qui est d’une puissance et d’un mystère hallucinant. Ca nous renvoie vraiment au fait que, malgré toute la technologie, toute l’expérience médicale qu’on a, il y a quelque chose qui nous échappe encore et qui nous échappera toujours. C’est ce mystère que je voulais filmer.

    Mars Films

    Vous choisissez de commencer votre film sur des regards, ceux de Simon et Juliette, et de l'achever également sur un regard. On imagine que ce n’est pas un hasard.

    Non, bien sûr. L’histoire de ce film, c’est quand même le voyage d’un cœur, l’espèce d’odyssée de cet organe magnifique qui va passer d’un corps à un autre corps. Et les yeux sont vraiment pour moi le miroir de notre cœur, en tant qu’organe symbolique, siège de nos émotions, de notre âme. Commencer par des yeux et terminer le film par des yeux, sans compter cette mère qui ne veut pas que l'on touche aux yeux de son enfant… Tout ça fait sens.

    Pour moi, le cinéma est puissant quand il est du côté du non-dit"

    Vous vouliez aussi terminer sans un mot...

    Oui. Le film démarre de manière très taiseuse et il termine pareil. Et je pense que, là aussi, c’est instinctif. Pour moi, le cinéma est puissant quand il est du côté du non-dit. Ça, ça ne vaut que pour moi, je n’en fais pas une théorie. Le cinéma, c’est, pour moi, des corps et des visages en mouvement dans des espaces et, nous, on projette dessus. Ce qu’il y a de particulier à un personnage de cinéma, c’est qu’on ne sait pas ce qu’il pense, on n’est pas dans sa tête. Et, à partir de là, on est extrêmement actif quand on est au cinéma. Tout se passe entre nous, notre histoire et notre vécu, et celle du personnage. Je pense tout le temps à ça quand je filme. Et j’aime bien commencer mes films à l’endroit où je crois justement au cinéma. Et, c'est pareil pour la fin...

    Le casting de "Réparer les vivants" évoque la luminosité du film :

     

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