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    L'Histoire de l'amour : "Les gens ont à nouveau besoin de se faire confiance" estime Radu Mihaileanu
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Cinq ans après Cannes pour "La Source des femmes", c'est à Deauville que Radu Mihaileanu est venu présenter "L'Histoire de l'amour", belle fresque aux thèmes universelles, adaptée d'un roman qu'il pensait hors de sa portée.

    Cinq ans après le pays de La Source des femmes, situé entre l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, Radu Mihaileanu continue son voyage autour du monde. Et dans le temps. Avec L'Histoire de l'amour, il nous emmène en effet dans le passé et le présent, pour explorer des thèmes universels dans différentes langues. Et surtout adapter un roman qu'il chérit depuis de nombreuses années.

    AlloCiné : Vous n'avez pas immédiatement songé à adapter le livre de Nicole Krauss, et ce n'est que lorsqu'on vous l'a proposé que vous vous êtes lancé : qu'est-ce qui vous a fait réfléchir et changer d'avis ?

    Radu Mihaileanu : Quand j'ai découvert le roman en 2006, j'ai été bouleversé. Mais je ne pensais pas, à l'époque, qu'un petit Français pouvait tourner un film à New York, là où 90% de l'histoire se déroule. Et la structure était un peu complexe. L'idée d'en faire un film ne m'a donc, franchement, pas effleuré l'esprit.

    Il y a trois ans, les deux producteurs qui avaient obtenu les droits du livre, Marc-Antoine Robert et Xavier Rigault, sont venus me voir. Et comme le contexte français et mondial avait changé, j'ai pensé qu'il fallait absolument que je raconte une histoire d'amour. J'ai l'impression que les gens ont à nouveau besoin de se faire confiance, de retrouver le merveilleux qu'il y a en eux et chez les autres, et qu'on arrête un peu toutes ces bêtises sur la sécurité et ce qui nous éloigne les uns des autres, et détruit la confiance en l'autre et en soi.

    C'est pour cette raison que le film paraît hors du temps : il est universel dans sa façon de couvrir plusieurs périodes, et moins militant que ce que vous avez pu faire auparavant.

    Oui, comme toute histoire d'amour, celle-ci est universelle. Mais c'est aussi un film sur l'utopie de l'amour, sur la foi profonde dans ce sentiment, et sur la manière dont il peut devenir une sorte de virus positif qui se transmet de façon mystérieuse d'un continent à un autre, d'une époque à l'autre, en passant d'un vieux monsieur à une jeune adolescente qu'il ne connaît absolument pas, grâce à un livre.

    Mais je pense qu'il s'agit quand même d'un film militant dans le sens où, pour moi, la crise la plus forte que traverse actuellement l'humanité, c'est le manque d'altruisme et de confiance dans l'amour. Aujourd'hui, chacun est assez replié sur soi. Pas au niveau des communautés, mais des individus. On a peur de l'amour : que ça fasse mal, qu'on soit déçu, de le partager et de ne pas savoir en donner.

    On a aujourd'hui peur de l'amour

    Vous parliez du fait qu'une grande partie de l'histoire se déroule à New York : avez-vous pensé à délocaliser l'action en France ?

    Nous y avons évidemment pensé, car c'était plus simple au niveau de la production. Mais l'histoire ne peut se dérouler en France, car un personnage quitte un village polonais juif avant la Seconde Guerre Mondiale pour survivre. Il ne pouvait donc pas venir en France car il n'aurait pas survécu. Et les gens n'y immigraient pas puisque le pays était déjà occupé par les Nazis.

    Ils se dirigaient aux Etats-Unis mais aussi en Chine, à Shanghai plus précisément, ce que j'ai récemment appris. Environ 40 000 juifs s'y sont réfugiés. Pour en revenir au film, il n'y avait donc pas d'autre possibilité, et nous avons respecté le lieu de l'histoire dans la livre, à savoir New York.

    Quel a été votre plus gros défi avec ce film : parvenir à apprivoiser sa structure, ou trouver les bons acteurs en sachant qu'ils devaient un peu se ressembler ?

    Tout était compliqué (rires) L'adaptation déjà, car le livre est beaucoup plus déconstruit, avec une chronologie beaucoup plus brisée que dans le film. Mais j'ai aussi eu la chance de m'être engagé sur le projet il y a trois ans, et pas en 2006, car il y a depuis eu des séries télévisées très destructurées, et en cela assez proches de mon film, avec deux personnages principaux qui avancent en même temps, des flashbacks et des allers-retours, des pièces de puzzle pour que le spectateur sache qu'ils vont finir par tout comprendre. J'ai été rassuré par ce qu'il y avait eu sur petit écran.

    Il m'a quand même fallu simplifier l'intrigue puis la rééquilibrer, ce qui a quand même rendu l'écriture complexe, car il fallait faire du tricotage fin. Et le casting n'a pas été plus simple : vu que le film se passait sur soixante ans, il fallait trouver des acteurs jeunes qui ressemblent aux vieux. C'est quelque chose que j'avais déjà fait dans Va, vis et deviens, mais il m'a fallu m'y remettre et ça n'était pas simple car, outre la ressemblance, il fallait que ces acteurs aient le même type de voix.

    Sans parler du "concept" au coeur du récit : celui de la femme la plue aimée au monde. C'est presqu'un logo. Donc pour trouver l'actrice qui soit immédiatement crédible avec ce statut, tout en possédant une palette de jeu lui permettant de passer de la comédie à la tragédie, il fallait se réveiller tôt. Surtout qu'on la suit de 18 à 80 ans. Mais on s'est réveillés tôt et on a eu la chance de tomber sur Gemma Arterton.

    Avoir une telle structure rend-il le montage plus compliqué ?

    Pas tant que ça car je l'avais déjà monté au moment du scénario, d'une certaine manière. Le montage a été complexe à un moment, car je voulais enlever quelque chose qui n'avait pas d'importance. Sauf que j'avais écrit par blocs, en sachant que les histoires sont interdépendantes, avec une séquence qui répond à l'autre, le présent qui fait écho au passé. Donc si j'enlevais une chose, il fallait faire sauter tout le bloc, et il y avait un trou qui gênait la compréhension vu que tout était minutieusement dosé. Mais en-dehors de ça, la construction était déjà établie auparavant.

    Comme le personnage joué par Sophie Nélisse, avez-vous déjà eu un livre qui vous a obsédé ?

    Oh oui, et il y en a encore deux. Je repousse l'échéance à chaque fois et je vais peut-être finir par les adapter. Je ne vais pas dire desquels il s'agit, surtout qu'il y en a d'autres qui sont intéressants, mais l'un d'eux se déroule aux Etats-Unis et en Pologne, et je n'osais pas non plus trop y toucher avant. Aujourd'hui je sais que je suis capable de tourner aux Etats-Unis, et je suis peut-être moins angoissé. Mais le bon moment viendra.

    Le film ayant été présenté au Festival de Deauville, le considérez-vous comme américain ?

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 8 septembre 2016

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