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    Dishonored 2, un grand jeu Made in France
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Développé par l'équipe lyonnaise d'Arkane Studios, "Dishonored 2" tente de marcher dans les glorieux pas de son illustre aîné, sorti en 2012, et qui bénéficiait déjà d'une extraordinaire direction artistique. Un challenge corsé pour un pari réussi.

    En novembre 2012, l’éditeur Bethesda catapultait dans les linéaires déjà fort encombrés par la concurrence une nouvelle licence en forme de bombe vidéoludique : Dishonored.  Réalisé par les petits français d’Arkane Studios basé à Lyon, coiffé par une brillantissime direction artistique de Viktor Antonov (qui travaille en outre régulièrement pour le cinéma), Dishonored fut sans conteste un des jeux les plus mémorables de ces dix dernières années; ne serait-ce que pour son extraordinaire direction artistique encore une fois, qui portait la narration visuelle à un point d'incandescence rarement atteint.

    Se déroulant dans un univers dystopique dont le Design se situe au carrefour du Néo-Victorien et du Steampunk, Dishonored plaçait les joueurs dans la peau d’un personnage du nom de Corvo Attano. Protecteur de l’impératrice Jessamine, celui-ci était malgré tout impuissant à empêcher son assassinat, en plus d’être désigné comme le coupable idéal. Emprisonné et évadé, doté de pouvoirs surnaturels au gré du fil narratif, sa quête de vengeance et de la vérité le menait à anéantir un vaste complot ourdi par l’entourage de l’impératrice. Elu plus de 100 fois jeu de l’année, salué unanimement par la Critique et succès commercial, ce jeu d’action et d’aventure a définitivement assis la réputation d’un studio de développement dont l’excellence et le savoir-faire n’est pourtant plus à démontrer depuis longtemps.

    Dishonored 2 ou l'Art au service du jeu : rencontre avec Arkane Studios

    Qu’à cela ne tienne : quatre ans plus tard, après avoir versé des litres de sueurs et sans doute aussi quelques larmes de sang, Arkane Studios revient avec une suite. Avec en prime un zeste de grosse pression supplémentaire pour le studio lyonnais : parvenir à minima à se hisser au moins à la hauteur du premier volet et même, soyons fous, le dépasser. C’est qu’il faut aussi justifier les quatre années séparant les deux volets ; un cycle de développement qui est devenu par ailleurs un vrai luxe dans l’industrie vidéoludique. Qu’on se rassure, Arkane Studios n’a pas chômé. Loin de là même, tant le résultat global est d’un très très haut niveau. Même s’il semble que tous les joueurs ne soient pas logés à la même enseigne : les joueurs consoles (dont l’auteur de ces lignes qui a pris en main le jeu sur PS4) semblent avoir été à peu près épargnés par les gros soucis techniques que rencontre le jeu sur PC, provoquant légitimement la colère et la fureur des Core Gamers. Par comparaison et à titre indicatif, nous n’avons eu, en 26 h de jeu pour terminer une première fois le titre (oui, nous avons pris notre temps...), aucun crash, mis à part quelques ralentissements.

    Trône perdu cherche son maître

    Loin de la grisaille citadine de Dunwall, du moins durant une écrasante majorité du jeu, Arkane Studios invite cette fois-ci les joueurs à retrouver Corvo Attano pour de nouvelles aventures ayant une toute nouvelle toile de fond : la ville de Karnaca, située aux confins Sud de l’Empire. Avec la possibilité d’incarner en prime un tout nouveau personnage qui n’est autre qu’Emily Kaldwin, fille de l’impératrice assassinée, que les joueurs pouvaient d’ailleurs voir dans le premier jeu. A la mort de l’impératrice Jessamine, une période trouble secoue logiquement Dunwall, mais aussi tout l’Empire des Îles. Après bien des vicissitudes, Emily Kaldwin finit par monter sur le trône de sa défunte mère, durant un intermède de 15 ans. Jusqu’au jour où, durant la date anniversaire de sa disparition célébrée chaque année, éclate un sanglant coup d’état pour renverser l’héritière. Une prise de pouvoir orchestrée par une femme prétendant être rien de moins que sa tante… Formée par Corvo aux arts de la dissimulation et de l’assassinat, Emily Kaldwin doit donc reprendre par la force son trône et sa couronne d’impératrice déchue, du haut de ses 25 ans.

    Bethesda / Arkane Studios

    Corvo Attano le protecteur royal et Emily Kaldwin, deux héros distincts et donc deux façons de suivre et vivre une expérience plutôt intense et assez unique dans laquelle il faudra user autant d’adresse que de réflexion pour mener à bien cette histoire de reconquête et de vengeance. D'autant qu'il est possible de corser nettement le challenge : si Emily Kaldwin est amenée à posséder des pouvoirs très différents de ceux de Corvo, il est aussi possible de faire le choix de n'en avoir aucun et de faire tout le jeu "à l'ancienne". Nul doute que les plus chevronnés et ceux qui ont déjà ratissé le jeu une première fois feront sans doute ce choix là. Pour quelqu'un découvrant l'univers de la licence Dishonored, ca serait en revanche du pur suicide.

    Voir Karnaca et mourir

    Bethesda et Arkane Studios ont beaucoup communiqué sur la direction artistique de Dishonored 2, portée cette fois-ci par Sébastien Mitton, qui a travaillé avec Viktor Antonov sur le premier volet. A juste titre, tant cette direction artistique est un vecteur crucial de la narration dans le jeu. Absolument splendide, elle donne souvent l'impression d'évoluer dans un tableau de maître, dont on n'a pas fini d'épuiser son souci du détail, d'une richesse proprement sidérante. Pour tout dire, il y a même dans ce fascinant univers et cette science du détail quelque chose de profondément kubrickien dans la démarche artistique de l'équipe derrière le développement de Dishonored 2. Mieux encore : elle est sublimée par le travail abattu sur le Level Design du titre, qui se déploie tout en verticalité. A ce titre, on décernera sans compromis une médaille d'or au quatrième niveau du jeu, qui correspond au désormais fameux manoir mécanique et son excentrique occupant / propriétaire, Kirin Jindosh. Chef -d'oeuvre de Level Design, l'environnement se reconfigure en permanence comme un rubik's cube géant au gré de l'évolution de son personnage à travers le niveau.

    Bethesda / Arkane Studios

    A ce tour de force qui a dû donner on imagine quelques sueurs froides dans sa conception s'ajoute une autre zone visitable plus loin dans le jeu : le manoir Stilton. Situé aux portes de Poussièreville, enclavé dans la partie industrielle de la ville de Karnaca, là où sont parqués les rebus de la société et les ouvriers travaillant dans les mines pour des salaires de misère, il s'agit de l'immense demeure de l'un des personnages clés du jeu, Aramis Stilton (nous ne spoilerons pas). Equipé d'un étrange objet en main, le joueur navigue à travers le temps, entre passé et présent, faisant revivre la demeure au temps de sa splendeur passé, ou au contraire la parcourant au présent alors qu'elle tombe en ruine. L'idée étant d'alterner régulièrement les époques pour se sortir des pièges et autres mauvaises rencontres. Petit raffinement en plus : on peut même voir et distinguer les deux époques en même temps à travers l'objet, ce qui donne aussi un aperçu des déplacements des ennemis du joueur, afin de les éviter au mieux, tandis que chaque acte dans le passé affecte le présent, et inversement. C'est plus facile à voir et à éprouver qu'à décrire, mais cette sensation toute puissante de plier et maîtriser le temps dans ce niveau est absolument fantastique.

    Bethesda / Arkane Studios

    En fait, et paradoxalement, pour extraordinaire qu'elle soit, cette narration visuelle de Dishonored 2 est aussi écrasante, au sens où l'écriture du fil narratif du jeu est moins convaincant; en particulier les séquences où nos personnages rencontrent celui que l'on appelle "l'Outsider", dans un monde parallèle. Personnage important s'il en est, puisque c'est lui qui donne notamment aux personnages les pouvoirs surnaturels. On ne comprend jamais réellement bien ses motivations, et on a le sentiment que de toute façon, on s'en fiche un peu chez les développeurs. Ce qui prime chez Arkane, c'est le "Play it your way" - joues à ta façon- : le jeu a sa dimension bac à sable, le studio donne les outils aux joueurs pour progresser. A charge pour eux ensuite de se débrouiller et de vivre leur aventure. On ne dit pas que l'écriture du fil narratif est bâclé; juste qu'il aurait sans doute mérité un peu plus de considération.

    Mais attention : c'est une aventure qui reste, en dépit de cette légère réserve et aussi parce qu'il n'y a nécessairement plus l'effet de surprise de la nouvelle licence, d'un très haut niveau. In Fine, il se murmure qu'en dépit de ses qualités, les ventes du jeu soient assez inférieures aux prévisions de l'éditeur; au-delà des griefs propres à la version PC du titre. Face à ce (triste) constat, il faut se dire ceci : le seul moyen d'avoir des jeux de la trempe de Dishonored 2 et son extraordinaire univers, qui parvient avec brio à se renouveler face à un premier volet qui tutoyait déjà les sommets (et qu'au passage on vous recommande évidemment chaudement, ne serait-ce que pour l'arc narratif global), c'est de demander au Père Noël Dishonored 2. Quoi qu'on puisse en dire, il s'agit d'une vraie prise de risque d'un studio et de son éditeur, dans un paysage vidéoludique plutôt frileux en ce qui concerne les titres triple "AAA". Alors, prêt à vous lancer dans l'univers de ce sérieux candidat au titre de meilleur jeu de l'année ?

     

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