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    Avec Assassin's Creed, Ubisoft écrit une nouvelle page de son histoire
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    "Assassin's Creed" est le premier essai au cinéma pour l'éditeur de jeux vidéo Ubisoft. Un moment historique pour la marque, pionnière pour avoir créé une structure entièrement dédiée au développement de ses franchises sur petits et grands écrans.

    Durant des années, les éditeurs de jeux vidéo se sont contentés de vendre leurs licences aux Majors pour les voir in Fine (mal) adaptées au cinéma ou exploitées dans un format adapté pour la télévision. Mais avec les sorties de Warcraft en mai dernier et d'Assassin's Creed ce mercredi, on assiste sans doute à un vrai tournant.

    Celui qui consiste à reprendre la main vis-à-vis des Majors concernant l'exploitation de leurs catalogues vidéoludiques sur petits et grands écran; a être étroitement associé aux développements des films ou programmes télévisés afin de valoriser au mieux des marques extrêmement puissantes. Quitte à se lancer soi-même dans la bataille, comme l'a fait Ubisoft.

    Bien sûr, il existe encore des contres-exemples à cela : la Fox, propriétaire des droits d'exploitation de la licence Hitman côté cinéma, a livré un Agent 47 de triste mémoire; sans que l'éditeur du jeu, Square Enix, ou le studio de développement de la licence, IO Interactive, ne soient intervenus sur le développement du film.

    Reste que ces dernières années, plusieurs éditeurs, et non des moindres, ont changé leurs fusils d'épaule concernant la gestion de leurs licences, redéfinissant parfois leurs liens tissés avec les Majors du cinéma, comme l'illustre l'exemple d'Ubisoft.

    Ubisoft ou le don d'ubiquité

    Le don d'ubiquité ou l'art se de démultiplier, était finalement au coeur de l'ADN de l'éditeur français Ubisoft, 3e éditeur indépendant de jeux vidéo au monde. En avril 2011, il annoncait la création de Ubisoft Motion Pictures. Objectif : valoriser ses franchises en adaptant ses licences jeux vidéo au cinéma et à la télévision. Depuis plusieurs années déjà, l'éditeur avait adopté une stratégie de développement transmédias. On se souvient encore du rachat en 2008 du studio de SFX Hybride Technologies par exemple, qui a notamment travaillé sur 300, Sin City, Avatar ou plus récemment sur le Réveil de la Force.

    En novembre 2009, nous avions rencontré Pierre Raymond, le PDG de la société, lors de la présentation parisienne de la série de courts métrages Assassin's Creed Lineage, qui mélangeaient décors virtuels et vrais acteurs. L'objectif était très clair : des courts en guise de galops d'essais, avant de tenter de jouer dans la cour des grands avec un long métrage. "Nous qui travaillons beaucoup avec Hollywood, je peux vous dire qu'ils regardent avec beaucoup, beaucoup d'intérêt quelles vont être les prochaines exploitations cinématographiques de nos licences" nous disait Pierre Raymond. De court métrage avant de devenir un long que doit réaliser Michael Bay, il en sera aussi question avec Ghost Recon Alpha en 2010, produit par Ridley Scott et signé par l'équipe derrière le court oscarisé Logorama.

    Afin de développer sa nouvelle entité Ubisoft Motion Pictures, l'éditeur s'était adjoint les services de trois poids lourds. Jean-Julien Baronnet (parti depuis), ex directeur général d'EuropaCorp et de Rhodia, fut nommé à la tête de la filiale. Didier Lupfer, ex M6, TPS et Canal +, producteur du multi césarisé Gainsbourg - (vie héroïque), fut en charge de la production et du développement. Enfin Jean de Rivières, qui a passé 14 ans à la distribution chez Disney, avant un passage chez EuropaCorp, fut nommé responsable du Marketing et de la distribution à l'international.

    "En arrivant chez Ubisoft, notre premier travail à tous les trois a été d'analyser et de digérer ces franchises de façon à déterminer pour chacune d'entre elle vers quel format les adapter : long métrage, série télé, programme de flux. Avec l'objectif de maîtriser le développement et la production en interne" expliquait alors Jean-Julien Baronnet, dans un entretien publié par Le Film français. Alors que dans le secteur du cinéma et de la TV, les financements sont bouclés avant tout lancement en production, ce modèle "n'apparaît pas comme une prise de risque majeure face à des jeux vidéo dans lesquels la société peut investir jusqu'à 30 millions d'euros par titre sur fonds propres".

    Outre les annonces de plusieurs projets de films dans les cartons (Ghost Recon, Splinter Cell, Assassin's Creed, Watch_Dogs, The Division...), Ubisoft annonça également l'arrivée des Lapins crétins non seulement au cinéma, sous la forme d'un long métrage d'animation, mais avant tout sous forme d'une série TV animée diffusée sur France 3 à partir d'octobre 2013.

    Ci-dessous, un extrait de la série des Lapins crétins...

    Pour Ubisoft, il s'agit donc de développer ces projets et notamment les histoires en étroite synergie avec les studios de développement des jeux. Question de cohérence. Mais aussi parce que l'éditeur souhaitait éviter à tout prix une déconnexion entre le positionnement du jeu et celui du film, "qui peut potentiellement détruire de la valeur au niveau de son core business" soulignait le Film Français.

    Et Didier Lupfer, vice-président en charge de la production à l'époque, d'enfoncer le clou : "chaque adaptation devra correspondre à l'ADN du jeu et fonctionner, que l'on soit joueur ou non. [...] Nous avons un avantage concurrentiel fort sur la maîtrise des coûts de production en jouant pleinement les synergies avec les 23 studios de création et de production dans le monde. Les logiciels créés pour les jeux permettront notamment d'optimiser la phase de préproduction". On imagine sans peine que pour Assassin's Creed, ils ont dû tourner à plein régime... On précisera par ailleurs, pour être tout à fait à jour, que Didier Lupfer est depuis parti en septembre 2015 chez le nouvel ennemi mortel d'Ubisoft, le groupe Vivendi piloté par Vincent Bolloré, dans lequel il a été bombardé directeur du Cinéma du Groupe CANAL+ et Président du directoire de STUDIOCANAL.

    Ci-dessous, la bande-annonce du film justement. Un opus cinématographique considéré comme "canon", ancré très officiellement dans la chronologie de la saga vidéoludique.

    Si Warcraft fut sauvé au Box Office mondial par ses recettes faites sur le sol chinois, qu'en sera-t-il d'Assassin's Creed ? Reste à espérer que le fim de Justin Kurzel fonctionne suffisamment bien en salle. L'inverse serait évidemment un très mauvais signal au moment même où les éditeurs de jeux vidéo tentent d'inverser les rapports de forces avec les Majors quant à l'exploitation de leurs licences sur petits et grands écrans. Sans compter, pour Ubisoft, le risque d'assombrir les perspectives de mises en chantier d'éventuelles suites à Assassin's Creed à l'écran, en plus de passablement plomber les projets développés au sein d'Ubisoft Motion Pictures.

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