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    Les Confessions de Toni Servillo : "À travers son silence, mon personnage bouscule le monde." [INTERVIEW]

    Après le succès de La Grande Bellezza, Toni Servillo, un des plus grands acteurs italiens, donne la réplique à Daniel Auteuil dans Les Confessions, un drame sur fond d'intrigues politiques. Rencontre avec un comédien de grande classe.

    AlloCiné : Il parait que vous avez eu l’idée des Confessions avec Roberto Andò en vous promenant sur les boulevards parisiens, pouvez-vous nous raconter cette anecdote sur les débuts du projet ?

    Toni Servillo : C’est vrai que j’étais à Paris en 2014 avec Roberto Andò pour présenter un spectacle, Les Voix intérieures d’Eduardo De Filippo. Nous étions aussi venus pour la promotion de Viva la libertà. C’est à  ce moment-là que nous avons évoqué la possibilité de refaire un film ensemble. Mais l’idée du film ne vient pas de moi du tout, elle vient vraiment de Roberto Andò.

    Roberto Andò a dit que votre personnage, le moine Salus, faisait partie des gens qui dérangent le pouvoir ; ce moine dérange rien qu’avec son silence car il refuse de briser le secret de la confession. Comment le décririez-vous ?

    Ce qui m’a fasciné dans ce personnage – et j’espère que ça va aussi fasciner le spectateur – c’est le fait qu’un homme comme lui, qui vient d’un monde où règne le silence, soit convoqué dans un lieu comme celui du film, avec tous ces médias etc. C’est un monde que l’on connaît dans sa surface, sans vraiment savoir ce qu’il se passe à l’intérieur et le cinéma permet de nous faire entrer dedans comme il fait entrer ce moine, dont la présence en cet endroit paraît inimaginable. Il y a un contraste très fort entre ces mondes, d’une part celui des déclarations officielles, des déclarations feintes faites dans le but de tranquilliser le peuple, de gagner du temps, et d’autre part, celui de cet homme qui fait du silence sa raison de vivre.

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    Cela veut dire que quand il utilise la parole, il le fait uniquement quand c’est nécessaire et significatif, quand cela a un sens profond pour lui. Un autre contraste intéressant autour de ces puissants, c’est l’idée de la propriété ; Salus pense qu’il n’est même pas propriétaire de sa propre vie. Tout cela est donc très intéressant, d’un côté, tout le monde connaît ces situations réelles où les puissants se rassemblent et l’auteur du film y a intégré un élément fantaisiste et romanesque, la présence de ce moine. C’est aussi ce point qui est fascinant et original chez ce personnage.

    À travers son silence, mon personnage possède les moyens d’agir et de bousculer ce monde.

    Vous le jouez de façon très subtile avec des petites touches d’humour, notamment les séquences avec le chien et la scène finale. C’est vous qui avez décidé d’apporter de la légèreté au rôle ?

    Je crois qu’il était nécessaire, avec ce personnage très solide intellectuellement, de grande stature morale, d’apporter un peu de légèreté. Il ne fallait pas en faire un personnage ennuyeux. Ce qui est aussi intéressant et ironique, c’est qu’il évolue dans un monde politique rempli de paroles alors qu’il est un homme de Foi qui agit, par son silence, pour empêcher que certaines mauvaises choses ne se passent. C’est aussi un aspect de sa légèreté car il comprend qu’à travers son silence, il possède les moyens d’agir et de bousculer ce monde. Il est dans l’action alors que l’on pourrait penser que ce sont les politiques qui sont dans l’action et non l’homme qui ne parle pas.

    Pour vous les français, la politique a encore une sorte de dimension sacrée, comme si ces gens-là étaient intouchables.

    Le film décrit les agissements d’une sorte d’état profond qui complote dans l’ombre contre les intérêts des peuples ; j’ai l’impression qu’en Italie, les cinéastes n’ont pas peur d’aborder ce genre de sujet délicat et sont très acerbes envers le pouvoir en place, contrairement à la France où nous sommes plus sages ; quel est votre ressenti à ce sujet ?

    C’est drôle car c’est une question qu’on m’a déjà posé quand je suis venu présenter Il Divo de Paolo Sorrentino [Toni Servillo y incarnait l’homme politique Giulio Andreotti]. Pour vous les français, la politique a encore une sorte de dimension sacrée, comme si ces gens-là étaient intouchables. En revanche, en Italie, nous prenons la politique de manière beaucoup plus désinvolte. Je sais qu’il est impensable en France de faire un film aussi acerbe sur un politique toujours vivant [Andreotti n’était pas mort lors de la sortie du film en 2008]. Toutefois, je ne pense pas que Les Confessions montre un complot des hommes politiques, il montre surtout que tous ces ministres sont les marionnettes de personnes plus puissantes et mystérieuses qui restent dans l’ombre et agissent dans leurs dos.

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    En réalité, ce qui est intéressant, c’est le contraste entre la figure de Daniel Roché [Daniel Auteuil], très importante par sa stature intellectuelle, et celle de Salus, aussi de grande stature intellectuelle mais complètement opposée à lui. Autour de ces deux personnes, on a l’impression que les ministres sont très fragiles, avec beaucoup de doutes. C’est également l’opacité qui est fascinante dans les gouvernements, beaucoup plus que la question des complots. Salus s’oppose à cela par sa simplicité et aussi sa piété, qui est le sentiment le plus exacerbé chez ce personnage, la force de sa piété.

    Le lieu de tournage, ce château allemand, est impressionnant, comment avez-vous réagi en y mettant les pieds pour la première fois ? [Il s’agit du Grand Hôtel Heiligendamm situé à Mecklembourg en Poméranie occidentale.]

    J’ai été très enthousiaste la première fois que je suis allé sur place ; cet endroit était parfait pour l’histoire, notamment par sa position géographique, au nord de l’Allemagne, sur le front de la mer Baltique. C’est aussi un lieu qui a réellement accueilli un G8 en 2007. C’est une année où il y avait Romano Prodi, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, George W. Bush… Le lieu avait été choisi avec soin car il était assez reculé et difficile d’accès et réduisait les risques d’attentats ou manifestations. J’aime beaucoup cet endroit car il symbolise aussi parfaitement la notion de « terminus » de l’histoire.

    C’était la Cour de Babel sur le tournage.

    C’est un film où on parle plusieurs langues, français, anglais, italien, allemand… vous aimez jongler avec les différentes langues, notamment le français ? Comment s’est déroulé le tournage avec tous ces acteurs internationaux ?

    Avec Daniel Auteuil, on parle français naturellement (rires). La langue est bien sûr un élément crucial de ce film ; il est d’ailleurs malheureux que l’œuvre soit doublée en italien dans mon pays. Nous avons cette culture du doublage qui sur ce film empêche de se plonger dans la cour de Babel que représente Les Confessions.

    C’était aussi la Cour de Babel sur le tournage, par exemple, je me suis lié d’amitié avec le comédien qui interprète le ministre russe, Aleksei Guskov, c’est un acteur de théâtre important en Russie. C’est un long-métrage dans lequel la dimension internationale du casting est intimement liée à l’efficacité expressive du film. Il y a un ministre canadien, français, anglais, japonais, italien… Ils sont au service de l’histoire et ne sont pas là pour des raisons commerciales qui obligeraient d’avoir plusieurs stars internationales au casting.

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    Donc, au départ, le fait que Salus parle français avec Roché donne le ton, cela lui confère une virilité intellectuelle ; le moine a les moyens de se confronter, non seulement au personnage d’Auteuil mais aussi à celui de Lambert Wilson, deux grands intellectuels de la finance.

    Pouvez-vous nous parler de votre relation avec Roberto Andò et du double-rôle que vous teniez dans son précédent film, Viva la libertà ? [Toni Servillo incarnait des jumeaux aux caractères totalement opposés].

    On se connaissait déjà depuis longtemps avec Andò avant de tourner ce film. Nous sommes tous les deux des hommes de théâtre, Andò est également metteur en scène sur les planches. Notre amitié a donc débuté autour du théâtre. Viva la libertà est un film dont tous les acteurs rêvent car il offre la possibilité d’interpréter des frères jumeaux et que le jeu du double est quelque chose de très vieux, qui existait déjà chez Molière dans son Amphitryon.

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    On retrouve aussi ce thème chez Carlo Goldoni dans Les Jumeaux vénitiens. En ce qui me concerne, cette expérience a été très bénéfique et je me suis plongé dans ce rôle avec un grand enthousiasme. Je pense que tous les acteurs devraient avoir l’opportunité de jouer ce genre de rôle. Le film était sorti avant les élections en Italie et a eu une résonance spéciale à ce moment précis en capturant l’atmosphère de cette période. Le peuple a eu un intérêt très vif pour ce renouveau de la politique italienne.

    L’élément qui relie Viva la libertà et Les Confessions reste la curiosité que l’on ressent sur tout ce qui se passe autour de nous sur le plan politique et social tout en voulant lui donner une couleur romanesque. Le cinéma de Roberto Andò me paraît être un pont entre la réalité et l’imagination plus qu’une réflexion profonde sur cette réalité.

    Je me plie à une discipline qui consiste à me détacher immédiatement d’un personnage quand j’ai terminé de l’incarner.

    Vous avez incarné des rôles emblématiques ces dernières années, Giulio Andreotti dans Il Divo, Jep Gambardella dans La Grande Bellezza ou Franco dans Gomorra ; est-ce que ces personnages ont une importance particulière pour vous ?

    Vous savez, je dois avouer, sans snobisme, que je me plie à une discipline qui consiste à me détacher immédiatement d’un personnage quand j’ai terminé de l’incarner. Il faut se préparer pour se glisser dans le prochain rôle et j’ai besoin d’oublier le reste. Toutefois, je garde de l’affection pour ces personnages-là car ils m’ont permis d’interpréter des gens qui sont totalement différents de moi, ce qui, selon moi, est le plus intéressant pour un acteur.

    Cela permet de puiser au fond de toi et peut-être trouver des choses que tu as en toi et que tu ne connaissais pas. Au théâtre c’est différent car tu peux vivre avec le même personnage durant trois ans à la faveur des différentes tournées. On a donc une relation plus intime avec le personnage. Au cinéma, du moment que la dernière prise est finie, le personnage vit uniquement à travers sa « reproduction technique » et je quitte complètement le rôle.

    Vous avez un prochain projet sur le feu ?

    En ce moment je joue un spectacle à Paris, Elvire Jouvet 40 ; c’est basé sur 7 leçons données par Louis Jouvet au Conservatoire sur un monologue d’Elvire dans le Dom Juan de Molière. Nous avons fait 3 mois de représentations à Milan et nous irons à Naples et Florence après Paris.

    Au cinéma, je serai dans un film qui va sortir en avril en Italie, Lasciati andare, il sera plus léger que Les Confessions. [Toni Servillo retrouvera également Matteo Garrone après Gomorra pour incarner Geppetto dans une nouvelle adaptation de Pinocchio.]

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