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    Werewolf : "La condition de loup-garou est triste, mais aussi très humaine"
    Vincent Garnier
    Vincent Garnier
    -Rédacteur en chef
    Cinéphile omnivore, Vincent « Michel » Garnier se nourrit depuis de longues années de tous les cinémas, sans distinction de genres ou de styles. Aux côtés de Yoann « Michel » Sardet, il supervise la Rédac d’AlloCiné et traque les Faux Raccords.

    Premier long-métrage sans concession, "Werewolf" dissèque la tentative de reconstruction d'un couple de toxicomanes. Rencontre avec la Canadienne Ashley McKenzie, la réalisatrice de ce film âpre et douloureux.

    Nous ne vous connaissons pas en France. Pouvez-vous nous parler un peu de vous ?

    Ashley McKenzie : Je vis sur l'île du Cap-Breton sur la côte Est du Canada, où il n'y a pas d'industrie cinématographique, mais beaucoup de personnages et d'histoires à exhumer. J'ai réalisé Werewolf avec un casting entièrement local dont une seule personne avait déjà participé à un film. C'est mon premier long métrage. J'ai fondé Grassfire Films en 2011 avec mon meilleur ami et producteur, Nelson MacDonald. Nous avons fait quatre courts métrages ensemble avant Werewolf - 4 Quarters (’15), Stray (‘13), When You Sleep (‘12), and Rhonda’s Party (10) - où se mêlent formalisme et réalisme. Mon film préféré est Le Boucher (1970) de Claude Chabrol.

    Que signifie le titre de votre film ?

    Werewolf (loup-garou en anglais) n'est pas un film de genre comme The Wolverine (2013) ou Vampires (1998). Le titre résulte d'un choix assez intuitif. Personnellement, je pense que nous avons tous un loup-garou à l'intérieur de nous. Vous ne savez jamais ce que les circonstances de la vie peuvent réserver et quelles ténèbres elles ouvriront. Pour moi, le titre résume l'expérience de Nessa avec un être aussi complexe et insaisissable que Blaise. Les mutations que nous subissons parfois dans nos relations amoureuses sont effrayantes pour moi. J'ai tendance à assimiler le loup-garou au fait d'avoir un petit ami toxique.

    Le loup-garou est une créature prisonnière de sa solitude. Est-ce que cet aspect vous attire ?

    Je pense que la condition de loup-garou est une triste condition, mais aussi une condition très humaine. Les gens sont solitaires et nous pouvons essayer de nous abstraire de cette réalité de façon compulsive. Je pense qu'il est intéressant d'essayer. La philosophie bouddhiste nous apprend qu'il est vain d'espérer changer la nature des gens. Et Nessa, mon héroïne, se heurte à cette impossibilité avec Blaise.

    La dépendance et la drogue sont au milieu de votre quatrième court métrage et Werewolf. Qu'est-ce qui vous attire est ces thèmes ?

    Je suis plus attirée par l'idée de la dépendance que par la toxicomanie en elle-même. Je n'ai jamais le sentiment de faire des films sur les toxicomanes. Pour moi, Werewolf est un film sur une relation. Il y a beaucoup de dépendance aux opiacés et d'utilisation de méthadone au Cap-Breton, mais ce qui m'a poussé à réaliser le film était mon envie d'observer les luttes avec la dépendance sur un spectre plus large. Vivre sur une île où le chômage et l'exode des jeunes sont les plus élevés du Canada peut être source d'isolement et de stress. Beaucoup de jeunes adultes ont le sentiment d'être pris au piège, et en viennent à nouer des liens avec des personnes toxiques, à céder aux substances illicites ou à s'adonner à des activités délictueuses.

    Krista Comeau

    Werewolf a lieu en plein jour bien que le monde de la drogue soit associé à la nuit. Et le couple ne vole pas pour vivre. Ils offrent de tondre la pelouse de leurs voisins avec leur propre matériel. Nous sommes loin des clichés...

    Ces clichés comme le vol, la prostitution, les injections, la prison et les rechutes font partie de la trajectoire de dépendance qui est au centre de la plupart des films sur la dépendance aux drogues. C'est un territoire plus dramatique et plus glamour. Je voulais regarder au-delà et voir ce qui vient après. Qu'est-ce qui se passe quand vous vous réveillez et décidez que vous voulez en finir avec cette vie de dépendance ? Je suis Nessa et Blaise dans leur reconstruction, et le drame est donc plus subtil. Ils obtiennent leur méthadone légalement et passent beaucoup de temps sous des lumières fluorescentes des salles d'attente et des cliniques ou à l'extérieur pour travailler à la lumière du soleil. Mon court-métrage "4 Quarters" a été conçu comme un film nocturne et Werewolf est intentionnellement le contraire de cela. On peut voir l'un comme une réponse à l'autre. Les efforts de Nessa et Blaise pour se reconstruire et s'intégrer leur donneront-ils une vie meilleure ? Je pense parfois aux personnages d'Al Pacino et de Kitty Winn dans Panique à Needle Park, qui s'éloignent de la prison dans la scène finale, et elle lui demande comment il a vécu sa détention.

    Avez-vous pensé à faire un documentaire au lieu d'une fiction ?

    Il y a toujours un moment du casting où je rencontre l'acteur qui EST le personnage que j'ai écrit, mais à un point tel qu'il serait dangereux pour cette personne et le personnage de se recontrer. Cela s'est produit lorsque j'ai fait passer les auditions pour le rôle de Nessa. Il y avait un couple d'adolescentes qui était tellement saisissant que j'ai envisagé de renoncer à la fiction pour me tourner vers le documentaire. Ce fut émotionnellement très douloureux de ne pas céder à cette tentation. Peut-être que je ferai un documentaire sur le sujet dans quelque temps. La ligne est assez floue entre fiction et documentaire pour Werewolf, et certains spectateurs au Canada ont d'ailleurs pris le film pour un documentaire.

    Qu'est-ce que le dernier plan de votre film signifie pour vous ?

    Je trouve cela galvanisant de voir Nessa se retrouver seule, mais j'ai également le coeur serré en pensant à tout ce qu'elle a vécu et au futur sinistre qui l'attend si elle reste en marge de la société. L'image et le son distillent le sentiment inquietant qu'il n'existe aucune échappatoire. Pourtant, je suis fière qu'elle ait eu la force d'accepter de se retrouver seule face à elle-même.

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