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    Glory : "C'est de plus en plus un monde de trolls."

    Primé dans de nombreux festivals à travers le monde, et notamment aux Arcs en décembre dernier, "Glory" prolonge un fait divers surprenant survenu en Bulgarie. Et livre une vision très sombre de la société humaine. Rencontre avec ses réalisateurs.

    Urban Distribution

    Glory - de Kristina Grozeva & Petar Valchanov

    Tsanko, un cantonnier d’une cinquantaine d’années, trouve des billets de banque sur la voie ferrée qu’il est chargé d’entretenir. Plutôt que de les garder, l’honnête homme préfère les rendre à l’Etat qui en signe de reconnaissance organise une cérémonie en son honneur et lui offre une montre... qui ne fonctionne pas. Tsanko n’a qu’une envie : récupérer la vieille montre de famille qu’on ne lui a pas rendue. Commence alors une lutte absurde avec le Ministère des Transports et son service de relations publiques mené par la redoutable Julia Staikova pour retrouver l’objet.

    AlloCiné : "Glory" est le deuxième volet de votre trilogie inspirée de faits divers. Pouvez-vous nous parler de cette approche originale, qui consiste à développer trois films à partir de courtes histoires vraies ?

    Kristina Grozeva et Petar Valchanov (réalisateurs) : Les histoires dont nous nous inspirons ne sont pas nécessairement courtes. Les articles le sont, mais il y a beaucoup de choses au-delà, que vous pouvez creuser ou imaginer. Il y a beaucoup d'événements et de personnages amenant à un article qui méritent d'être creusés. Ce qui est intéressant avec la vie en Bulgarie, c'est que vous croisez des Unes accrocheuses tous les jours. Avec un niveau d'absurdité parfois surréaliste. Dès lors, c'est difficile de déterminer quelle histoire on souhaite raconter en premier, car chaque jour vous "voyez" un film dès que vous ouvrez le journal. Choisir l'histoire qui mérite d'être développée relève dès lors de quelque chose d'assez spontané, et le reste relève ensuite d'un planning stratégique.

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    Qu'est-ce qui vous a spécifiquement accrochés dans l'article qui a inspiré "Glory" ? Comment avez-vous travaillé à son adaptation ?

    Au départ, ce qui nous a interpellé n'était pas tant le fait que ce cantonnier ait trouvé des millions sur les voies, ni le fait que le Ministre l'ait récompensé. Ce qui était marquant, c'était que la montre flambant neuve qu'il avait reçue comme récompense (accompagnée d'un insigne de Chevalier et de 100 euros en liquide) ne marchait plus au bout de deux semaines. Par la suite, durant nos recherches, nous avons retrouvé une interview du cantonnier réalisée quelques années plus tard, dans laquelle il revenait sur cette affaire et où il disait, sans élaborer plus que ça, que s'il retombait aujourd'hui sur une pile de billets, il passerait son chemin et laisserait quelqu'un d'autre s'en occuper. Ce qu'il voulait dire n'était pas clair, mais cela nous a fait nous interroger sur ce qui avait provoqué cette amertume, sur l'histoire derrière l'histoire.

    Le ton du film, qui mêle l'absurde et le tragique, le rire et le drame, est très intéressant et même presque dérangeant. Comment avez-vous travaillé sur ce ton, et sur cet équilibre délicat ?

    C'est toujours un vrai défi pour nous de chercher la drôlerie dans la tristesse ou la tragédie. Nous pensons que la vie n'est pas seulement triste ou seulement drôle, mais qu'elle relève d'un merveilleux mélange de sentiments, et c'est ce que nous essayons de retranscrire dans nos films.

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    Au début du film, avec sa barbe, ses vêtements sales, son mutisme et sa vie solitaire avec ses lapins, le personnage de Tsanko apparaît comme un ermite, presque comme une bête lui-même. Et au cours du film, il apparaît de plus en plus nettement comme le personnage le plus humain de cette histoire. Voire le seul. C'était important pour vous de "tromper" le public avec ce personnage, et de le surprendre ?

    Oui, tout à fait. En fait, c'était essentiel de nous surprendre nous-mêmes. Jusque-là, Stefan Denolyubov avait uniquement été vu dans des rôles de brutes ou de voyous. Afin de lui donner plus de noblesse, nous lui avons demandé de se laisser pousser la barbe, ce qui aide beaucoup à créer ensuite un choc dans la scène finale, où sa transformation est choquante. Même pour nous.

    Stefan Denolyubov devait initialement interpréter le responsable des relations publiques, celui-là même qui ruine la vie de Tsanko. Comment l'avez-vous convaincu de finalement incarner Tsanko et comment avez-vous travaillé avec lui sur le personnage, assez complexe à jouer car étant bègue, l'essentiel de ses émotions passe par le langage corporel et les yeux ?

    Stefan est un grand comédien, très investi dans son art, et ce rôle représentait un vrai défi pour lui car il est à l'opposé de ce qu'il fait habituellement. Au départ, il avait beaucoup de mal avec le bégaiement du personnage. Il a fallu du temps pour le convaincre que c'était un trait de caractère essentiel pour le personnage, car cela l'isole de ses pairs et cela l'aide quelque part à protéger son humanité. Une fois que Stefan a compris cela, il s'est rapproché d'un spécialiste de la diction pour développer un bégaiement crédible.

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    Comment avez-vous adapté le personnage du responsable des relations publiques pour Margita Gosheva ?

    Nous n'avons pas adapté le rôle, nous avons entièrement réécrit le scénario. C'est là que nous avons fait intervenir notre co-scénariste Decho Taralezhkov. Nous manquions de temps, et cela aurait pris trop de temps d'essayer de nous défaire seuls de notre ancien scénario pour le réinventer.

    Tsanko est manipulé et utilisé par le pouvoir politique, par les médias, par ses collègues... Et sa bonne action apparaît comme une erreur qui lui pourrit la vie. Vous portez un regard très sombre sur la nature humaine. C'est votre vision de la société bulgare ? de la société humaine ?

    Malheureusement, nous vivons dans une époque et un monde où une intention positive peut être déformée et pervertie, et retournée contre vous. Il y a même des gens dont c'est le métier. Ce n'est pas un phénomène local. C'est de plus en plus un monde de trolls.

    Votre film a été très bien accueilli dans plusieurs festivals à travers le monde : avez-vous été surpris que cette histoire bulgare devienne une histoire universelle ?

    Nous n'avions pas d'idées préconçues sur la façon dont le film serait accueilli ou dont l'histoire pourrait sembler universelle. Nous ne nous occupons pas de ce genre de choses durant le processus créatif, car nous sommes focalisés sur la qualité de notre travail. Après, quand nous avons pris conscience que le film avait une résonnance chez des spectateurs de tous âges partout où il était présenté, c'était pour nous la plus belle récompense qui soit en tant que cinéastes. Cela montre que nous avons fait quelque chose de juste. C'est très encourageant.

    Justement, après "The Lesson" et "Glory", de quoi le troisième volet de votre trilogie va t-il parler ? Quel article vous a inspirés ?

    C'est un secret qui sera révélé en temps voulu. Nous pouvons vous dire que nous déjà commencé à développer l'histoire, que c'est plus gros et que c'est très, très enthousiasmant.

    "Glory", en salles le 19 avril

     

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