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    Saint-Georges de Marco Martins : "J'ai voulu une violence plus psychologique que physique"

    A l'occasion de la sortie de "Saint-Georges", drame social dans lequel un boxeur fauché évolue dans un Portugal urbain marqué par la crise économique, AlloCiné a rencontré son réalisateur Marco Martins.

    AlloCiné : D'où vous est venue l'idée de réaliser Saint-Georges, un film centré sur un boxeur évoluant dans une société marquée par une crise socio-économique forte ?

    Marco Martins : Pour ma génération, la crise économique qui a commencé en 2009 est quelque chose qu'on aurait jamais pu imaginer. Le Portugal avait connu un développement économique très fort depuis la révolution de 1974 et au moment de la crise, les gens autour de moi ont commencé à perdre leur emplois. Le niveau de vie s'est beaucoup dégradé. Avec Saint Georges, c'était la première fois que j’essayais de parler d'un thème social. Ce personnage boxeur était une sorte de porte d'entrée pour parler de ce niveau de vie dégradé. Quand j'ai commencé à enquêter sur les boxeurs (très souvent issus d'une classe sociale très basse), j'ai découvert que beaucoup d'entre eux travaillaient dans des entreprises de recouvrement de dettes. Et c'est là que j'ai trouvé le point de départ de l'histoire du film.

    Celluloïd Dreams

    Justement, pouvez-vous nous parler des sociétés de recouvrement que l'on voit dans le film ? Comment vous-êtes vous documenté sur ce sujet ?

    C'est une réalité qui existe réellement et que je ne connaissais pas avant d'entamer la phase de recherche du film. Il n'y a que deux pays où ce genre d'entreprise existe : le Portugal et l’Espagne. Pendant la période de crise, de 2009 à 2014, ces entreprises ont énormément grandi et plusieurs sociétés illégales ont commencé à naître. Souvent, les gens que j'ai rencontrés travaillant dans ce genre d'entreprise étaient chez eux avec des bracelets électroniques...

    Vous avez déjà collaboré avec Nuno Lopes sur Alice en 2005. Pourquoi l'avez-vous à nouveau choisi pour jouer le personnage principal de Saint Georges ?

    C'est via mon premier film, Alice, que j'ai commencé à travailler avec Nuno Lopes. Entre Alice et Saint Georges, nous avons continué à travailler ensemble sur des projets de théâtre communautaire. Il y a eu un projet spécifique qu'on a réalisé dans un chantier naval dans le nord du Portugal - chantier qui à l'époque était sur le point de fermer - et ça a été un moment décisif pour faire Saint Georges : à la fois par rapport au fait de choisir Nuno Lopes comme acteur principal du film et aussi pour le langage qu'on voulait développer. Nuno a vraiment accompagné tout le processus de création de Saint Georges depuis le début. Et il a beaucoup aidé quant à la conception de son personnage de boxeur fauché.

    Quand j'ai commencé à enquêter sur les boxeurs, j'ai découvert que beaucoup d'entre eux travaillaient dans des entreprises de recouvrement de dettes.

    Nuno Lopez est méconnaissable dans la peau de Jorge. Comment s'est-il préparé pour le rôle ? Avait-il déjà boxé ?

    Il s'est entraîné pendant deux ans et six mois avant le tournage de manière plus intense. L’entraîneur qui apparaît dans le film était d'ailleurs vraiment son entraîneur dans la réalité. Le combat que l'on voit au début du film a un peu été chorégraphié mais a eu lieu dans le contexte d'un véritable combat de boxe. C'était très important pour moi d'être fidèle à la réalité. Au début, le film n'avait pas ce côté documentaire si fort. C'est parallèlement aux recherches que j'ai menées qu'il a commencé à prendre ce côté documentaire.

    L'univers de Saint Georges est très violent, mais esthétiquement le film ne l'est pas trop. Pourquoi avoir fait ce choix de ne pas trop montrer la violence physique ?

    Il y a une tension latente dans le film : le personnage principal est poussé à être violent mais il refuse cette violence. On sait que ce personnage est capable de montrer cette violence, comme on le voit au début du film avec le combat, mais j'ai voulu que la violence de Saint Georges soit une violence beaucoup plus psychologique et métaphorique. C'est ce qui m'intéressait. Dès les premières écritures, j'avais cette idée centrale d'un boxeur qui ne veut pas taper. C'est cette tension permanente que vit George, qui vient à la fois d'une pression de son père et de ses employés. J'ai voulu que le spectateur ressente cette tension.

    Damned Distribution

    Comment avez-vous choisi les décors du film et quelles ont été les principales difficultés de tournage ?

    Le choix des quartiers dans lesquels on allait tourner a été un processus assez long. On a tourné dans une banlieue de Lisbonne plus près de la ville de Sintra (située à 25 km à l’ouest de la capitale) ainsi que dans la rive sud du fleuve du Tage où il y a ces quartiers à forte mixité sociale qui n'avaient jamais été filmés avant. Moi qui vit dans le centre de Lisbonne, c'était très intéressant de prendre ma voiture et de me rendre en 15 minutes dans ces endroits. Enfin, il y avait aussi le quartier où vit la femme de George qui s'appelle le quartier Jamaica. C'était à l'origine un quartier prévu pour la classe moyenne qui a été abandonné alors qu'il était encore en construction et qui a ensuite été occupé par des immigrants d’Afrique et du Brésil. C'est un quartier très difficile. Pour y entrer, j'ai dû recevoir une aide des associations qui y travaillent : elles m'ont permis de connaître certains habitants du quartier. Ça a ensuite été très facile de travailler avec eux. La collaboration a été fantastique.

    Enfin, il y avait aussi le quartier très violent dans lequel vit Georges : il apparaît souvent dans le journal ou sur YouTube du fait des affrontements qui s'y déroulent régulièrement avec les forces de l'ordre. Ça paraissait être l'endroit parfait pour placer ce personnage de Jorge. Dans ce genre de quartier, il y a beaucoup de croisement ethniques. Par exemple l'enfant qui joue le fils de Jorge est le fils d'un Africain et d'une gitane, et il est lui-même originaire du quartier. Cela étant, j'ai aussi choisi ces quartiers parce qu'il était possible d'y entrer et collaborer avec leurs habitants.

    Le quartier où vit Georges est très violent, il apparaît souvent dans le journal ou sur YouTube du fait des affrontements qui s'y déroulent régulièrement avec les forces de l'ordre.

    Saint Georges se déroule souvent de nuit. Comment avez-vous travaillé la lumière avec votre directeur de la photographie de longue date Carlos Lopes ?

    Je collabore avec Carlos Lopes depuis 20 ans. Saint Georges est notre premier film en numérique et ce qui nous fascinait avec cet outil c'était de pouvoir filmer la nuit sans utiliser de lumière artificielle. On voulait faire un film nocturne. Cette omniprésence de la nuit est aussi à mettre en parallèle avec les sociétés de recouvrement de dettes : après 22 heures au Portugal, on ne peut plus importuner les gens avec des coups de téléphone et beaucoup de ces entreprises ayant recours à des moyens illégaux travaillent à partir de 22 heures...

    Avez-vous eu des références, cinématographiques ou autres, pendant la conception du film ?

    Dans une première phase, j'ai vu beaucoup de films policiers noirs américains, des séries B, des films se rattachant au néoréalisme italien. Mais j'ai vu tous ces films plus en tant que point de réflexion que comme références directes. Ce qui m'intéressait, c'était de donner forme à un long métrage qui croise le film policier noir avec le film social. Au fur et à mesure de l'avancement des choses, je me suis éloigné des références pour me centrer davantage avec la réalité.

    Celluloïd Dreams

    Que voulez-vous que le spectateur retienne à l'issue de la projection de Saint-Georges ?

    Le film a une fin ouverte qui doit davantage être comprise comme un point de réflexion que comme un message. Ce qui était important pour moi était de faire un film qui puisse être assimilé à un document sur cette période de l'histoire. A notre époque tout est tellement rapidement oublié. Bien sûr, Saint Georges est un film politique. J'ai choisi de parler de cette période de crise, mais je l'ai fait sans avoir voulu donner forme à une conclusion morale. Il y a eu une longue réflexion sur la fin : est-ce qu'on allait la laisser ouverte ? On l'a fait parce qu'au moment où on a fini le film en 2015, on avait pas de réponse à cette crise, on ne savait pas comme elle allait évoluer...

    Quels sont vos prochains projets ?

    Je travaille actuellement avec une communauté de portugais qui a immigré en Angleterre à cause de la crise, près de Norwitch (au centre-Est du pays).

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