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    De Truffaut à Cassavetes, Jean-François Stévenin raconte son cinéma

    D'abord assistant, puis acteur et réalisateur de trois magnifiques films, "Le Passe-Montagne", "Double messieurs" et "Mischka" qui ressortent en salle ce mercredi, Jean-François Stévenin revient sur son parcours étonnant avec franchise et générosité.

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    AlloCiné : Commençons par le début, quel est votre premier souvenir de spectateur ?

    Jean-François Stévenin : Je crois bien que c'était un film qui s'appelait Cartouche, en 1950, dans les Ardennes, au cinéma Omnia. J'avais cinq ans. Pour moi, le cinéma, ça a toujours été une attraction totale. Souvent, en été, quand j'étais en vacances chez ma grand-mère, il fallait que je commence à être gentil à partir du mercredi car c'était le jour où les affiches de cinéma sortaient, et j'avais le droit de choisir le film, sinon c'était elle qui choisissait ce qu'elle voulait voir. 

    Et les premiers films qui vous ont marqué au point de vouloir faire vous-même du cinéma ?

    Je voulais même pas travailler dans le cinéma, mais j'étais vraiment fasciné. Ceux qui m'ont marqué, c'est Gas-oil avec Gabin et La Maison des otages avec Humphrey Bogart. C'était la carotte pour me faire avancer, car je m'ennuyais au lycée. Si j'avais une bonne note, j'avais le droit de choisir un film. Mes parents étaient cinéphiles, mais sévères, donc il y avait un film par semaine, mais j'avais intérêt à travailler. 

    Vous êtes d'abord en pension au lycée à Lyon, puis vous passez par HEC, et c'est toujours le cinéma à fond ?

    Lyon, c'était la révélation, car j'étais en prépa et le vendredi soir, je signais un mot comme quoi je rentrais chez mes parents dans le Jura, alors que pas du tout, je restais ici et j'allais à la Cigale, la Fourmi, voir mes premiers films en version originale : Antonioni, Bergman, mes premiers grands chocs de cinéma. Par miracle, je rentre à HEC et alors là, c'était fini. Pas d'études, cinéma toute la journée : rue d'Ulm, la cinémathèque d'Henri Langlois, le studio Bertrand, la rue Champollion... Sans penser du tout à faire du cinéma. 

    René Chateau

    Et comment arrivez-vous sur un plateau de cinéma ?

    Je me suis retrouvé un peu par hasard à Cuba, on était dans un voyage d'étude, personne ne s'occupait de nous. Je me suis rendu à l'Institut de cinéma cubain. En bas, la jeune femme qui faisait son tour de garde était une poétesse, qui connaissait bien le patron. Elle m'a dit qu'elle lui parlerait de moi et qu'il m'appellerai peut-être. Le soir-même, il m'appelle à dix heures du soir. Je lui explique mon cas, que je ne suis ni communiste, ni anti-communiste, mais que j'en ai marre de faire des trucs touristiques bidons. Il me dit : "Jeudi, vous partez avec les effets spéciaux." Je suis arrivé le soir, j'ai fait la nuit et ça a été la révélation, le choc : 400 figurants, l'armée, le travelling de 150 mètres de long, la caméra Mitchell. J'ai appris l'espagnol d'un coup et je n'étais plus du tout traité comme un européen.

    À votre retour en France, comment cela s'est passé ?

    En rentrant à Paris, j'ai écrit à tout le monde et personne n'a jamais répondu. Puis, j'ai rencontré la scripte Elisabeth Rappeneau, qui travaillait avec Louis Malle. On se retrouve à un concert à l'Olympia, je ne savais pas ce que c'était. Le rideau se lève : Jimmi Hendrix. Là, j'ai pris un jeton terrible. Elisabeth, après, devait faire La Chamade d'Alain Cavalier, avec Deneuve et Piccoli. La production cherchait un stagiaire car ils ne voulaient pas payer un second assistant et elle a parlé de moi. J'ai rencontré Cavalier et Florence Malraux qui était première assistante, ils m'ont donné ma chance alors que je n'avais pas du tout l'expérience pour ça. C'était très fort, j'étais très bon car je savais que si la porte se refermait c'était fini. En deux ans, j'étais premier assistant et je suis tombé sur l'équipe de Truffaut, qui m'a accepté car Deneuve avait dit du bien de moi. On a fait La Sirène du Mississippi, et puis il y a eu Jacques Rivette, Rozier...

    Le premier à vous faire jouer, c'est Truffaut ?

    Juste avant, il y a eu Rivette, avec Out 1, Juliet Berto m'appelait Marlon, tout le monde m'appelait Maron alors que je ne ressemble pas du tout à Brando. Il y avait un mec déguisé en Marlon, en blouson de cuir et ils m'ont demandé de le faire, et là mon coeur est parti dans l'autre sens. La Nuit américaine, la moitié de l'équipe jouait dedans, donc on n'avait pas l'impression de jouer, c'était naturel. J'ai fait différents films avec Truffaut, à différents postes, et après il y a eu L'Argent de poche, c'était un vrai rôle. Il me disait que c'était un petit film mineur, mais ajoutait : "Quand le film va retomber, on va sûrement vous appeler, ça ne m'étonnerait pas car vous êtes le seul rôle adulte." Truffaut, c'était la discrétion totale, l'élégance, pas de tutoiement. 

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    Quel est votre meilleur souvenir de tournage avec François Truffaut ?

    Le discours de L'Argent de poche. Ça durait cinq minutes, il l'avait écrit pour moi. Il m'avait fait venir chez lui pur lire le texte, qui durait 5 mn 20, il me disait qu'il fallait que ça dure 4 mn 40 car on n'avait pas assez de pellicule pour que ce soit plus long. Je devais dire le texte très vite, donc je parlais comme lui, qui parlait très vite. Ce fut une journée de tournage très éprouvante, c'était un gros truc pour moi. Je croise François dans un couloir, qui me dit : "Vous savez, Jean-François, c'est une journée comme les autres." J'ai réalisé qu'il avait raison, dans un film il n'y a pas de scène plus importante qu'une autre, tout est difficile. 

    Et sur La Nuit américaine, comment était l'ambiance de tournage ?

    Très particulière, car il n'y avait que des fêtes ! C'était comme ça le cinéma à l'époque, chez Truffaut en tout cas. C'était écrit sur la feuille de service, "fêtes obligatoires" ! Il y en avait quatre par semaine. Moi, j'étais assistant, quand je me couchais, il faisait déjà jour et ça tous les jours ! On dormait trois heures, le matin, tout le monde portait des lunettes noires sur le plateau. François venait : petite coupe de champagne, il restait une demi-heure et il partait. La nuit, il réécrivait des textes pour le lendemain. 

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    Quand vous avez débuté, quel est le meilleur conseil qu'on vous ait donné ?

    Depardieu, avec qui je tournais comme assistant sur un film qui s'appelait Maîtresse, m'avait prévenu : "Je vais te dire des trucs, je vais te dire des trucs." Il ne me disait rien... Le dernier jour de tournage, quand il a su que je partais avec Truffaut pour L'Argent de poche, il m'a dit [il imite Gérard Depardieu] : "Je te le dis depuis le début, ça te plait, ça te plait, ah !" Ça ne me plaisait pas du tout, ça me troublait, mais je n'avais aucune envie d'être acteur moi, j'étais premier assistant. Il m'a dit : "Alors voilà, trois trucs. Un, arrête de te ronger les ongles, ça va t'énerver. Deux, tu joues avec des gamins, joue avec eux vraiment, intéresse-les. Ne pense pas à toi, pense à eux." Pas facile. Et le dernier truc, c'est encore aussi vrai que la phrase de Truffaut "c'est une journée comme les autres", c'était : "De toute façon, il y a un moment où il faut dire oui. On va te dire 'il faudrait faire ça', tu réponds 'ah bon, d'accord', tu les écoutes, tu dis oui, et au moment du clap, tu fais ce que tu veux t'en as plus rien à foutre !" Et ça m'est arrivé souvent !

    Vous avez aussi tourné avec des réalisateurs américains (John Irvin, John Huston), qu'est-ce que vous avez appris sur ces tournages-là ?

    Comme acteur, j'ai appris la concentration à l'américaine. Je jouais dans Les Chiens de guerre, avec Christopher Walken, Tom Berenger et Paul Freeman on était quatre mercenaires. Tu filmes une scène, tu as un fauteuil, avec ton nom dessus. Moi, je traînais sur le plateau, à discuter, mais non ! Le premier assistant, avec une main de fer, m'attrapait et me mettait sur la chaise. Personne ne vient te parler, tu es dans une bulle et ça c'est formidable. J'ai essayé de faire pareil en rentrant en France, je me suis apporté une chaise, mais ça n'allait pas. Je me suis retrouvé à tourner avec Delon, lui c'était pareil, il avait une chaise marquée de ses initales et quand il était dessus, personne ne lui parlait dans un rayon de cinq mètres, mais moi, j'avais la chaise, tout le monde s'asseyait ! Pourtant, moi qui aime être concentré, sentir le plateau, ça me convenait cette manière de faire. 

    Comment vous définiriez-vous en tant que réalisateur ?

    Je crois que je suis très doux, j'emmène vraiment les acteurs. Quand je tourne comme metteur en scène, c'est très cadré, car la caméra est souvent en travelling avec les acteurs. Le paysage fait partie intégrante de mes plans, même si sur le moment on ne fait pas attention. Dans les trois films que j'ai faits [Passe montagne, Double messieurs et Mischka], la nature est très importante. C'est très chorégraphié et le chemin des acteurs est dessiné au sol, mais je ne leur dis rien. Je pars du principe qu'on a assez parlé en amont et je joue dans les films avec eux, donc je renvoie les balles et j'aime qu'ils me surprennent. 

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    Est-ce que votre meilleur souvenir, en tant que réalisateur, c'est d'avoir pu travailler avec vos propres enfants ?

    Ah oui ! Salomé surtout, avec qui j'ai beaucoup travaillé, ma femme Claire aussi ! Salomé a fait les repérages de Mischka avec moi, elle était là, comme une chienne de guerre, pendant tout le tournage. On n'a pas dit un mot de tout le film, mais quand ça chauffait, je croisais son regard et on se comprenait. Et elle est fabuleuse dans le film. Comme beaucoup d'acteurs avec qui je travaille, d'ailleurs, il y a beaucoup d'acteurs non-professionnels, j'aime bien mélanger, c'est Truffaut qui m'a donné ce goût. Plutôt que de s'embêter à prendre un acteur sur deux phrases, on demande à l'équipe, et ça fait un petit souvenir aux gens. Sur le moment, ils sont gênés, mais au final ils sont très contents. 

    C'est important, pour vous, cette liberté donnée aux acteurs ?

    Ah oui, moi j'ai tourné avec des tortionnaires, comme Pialat - dont j'apprécie les résultats par ailleurs -, Godard n'était pas facile non plus. Apparemment, on est libre, mais on ne l'est pas en réalité, c'est très compliqué. Tout le monde pleure : les acteurs, les stagiaires ! Je l'ai subi, mais ça m'a appris à ne pas le faire ! Je trouve que c'est tellement difficile de réussir à faire des plans, autant les faire dans une humeur de travail joyeuse !

    Je crois qu'il y a un cinéaste que vous aimez particulièrement, qui est John Cassavetes. Est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots ?

    John Cassavetes, s'il n'avait pas existé, je n'aurais jamais fait de films. Je tournais avec Rivette, ou même François Truffaut, j'adorais travailler avec eux, mais les films ne me parlaient pas tellement. Chez Truffaut, j'aimais beaucoup des films comme La Peau douce, mais ceux que je tournais avec lui, ça ne m'emballait pas, mais quand j'ai vu les films de Cassavetes, j'ai senti comme un cousin américain. Et Monte Hellman aussi, avec Macadam à deux voies, L'Ouragan de la vengeance... Ces deux là, ils habitaient en Amérique, mais ça me parlait vraiment fort. 

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    Par quel film êtes-vous entré dans le cinéma de Cassavetes ?

    Avec Husbands, d'où mon truc aussi, de faire jouer la famille. John, il faisait ça, il mettait Gena Rowlands, ses enfants, ses amis, et c'était parti pour un film qui était une folie de plus, avec peu d'argent, montage à la maison, parce que c'est là qu'on est libre...

    Cassavetes était quand même un réalisateur qui préparait énormément ses tournages, ce qui contraste avec la grande liberté et la grande spontanéité apparente de ses films...

    Oui, c'est quelque chose que j'ignorais à l'époque, et heureusement que j'étais protégé de cela ! Quand j'ai rencontré Martin Landau et Seymour Cassel, ils m'ont dit : "Mais John, il préparait tout à fond !" Si j'avais su ça, je n'aurais jamais touché une caméra. J'étais persuadé que Cassavetes prenait l'équipe, un tonneau de whisky, un traiteur et qu'en quatre jours c'était tourné, alors que pas du tout ! Il travaillait comme un dingue, et à l'arrivée on a l'impression que tout ça est fluide, improvisé... C'est un point commun qu'on a, car en fin de compte, je laisse assez peu de choses au hasard quand je tourne, et quand on me dit que ça a l'air très spontané, c'est le meilleur compliment qu'on puisse me faire. 

    Le trailer de L'Argent de poche :

     

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