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    The Florida Project : "Pas facile de faire un film autour de gens disposant de peu de moyens" selon le réalisateur Sean Baker

    Passé par Cannes, "The Florida Project" fait une halte dans nos salles avec ses atours de conte de fées situé dans un univers précaire. Un film solaire dont le réalisateur Sean Baker nous a parlé lors de sa venue à Paris.

    Deux ans après Tangerine, petite sensation de festivals filmée à l'iPhone et passée notamment par Deauville, Sean Baker est de retour avec The Florida Project. Un long métrage qui bénéficie de moyens légèrement plus conséquents mais dans lequel nous retrouvons certaines de ses obsessions, au coeur d'une histoire aux allures de contes de fées glaçant, dont il nous a parlé lors de son passage à Paris.

    AlloCiné : Comme "Tangerine", "The Florida Project" confirme votre intérêt pour les laissés-pour-compte. Pourquoi ce type de personnages vous inspire-t-il autant sur le plan cinématographique ?

    Sean Baker : Je pense que c'est en réaction face à ce que j'estime ne pas assez voir, surtout dans le cinéma américain. Tout vient d'un intérêt personnel et d'une envie d'en savoir plus sur le monde. Ce sont des histoires certes universelles, mais qui n'ont pas été racontées dans ces communautés et sous-cultures. Ni même dans ces lieux précis.

    Mes cinquième et sixième films étant centrés sur de tels personnages, les gens pensent que je cherche des marginaux pour le prochain que je ferai. Mais ça ne vient pas là. Plutôt d'une envie de tourner mes caméras vers quelque chose que je n'ai pas vu être représenté à l'écran.

    L'idée du film vient de votre co-scénariste. Quelle a donc été votre premier contact avec l'univers dans lequel se déroule l'histoire ?

    De plusieurs articles que vous pouvez trouver sur internet et qui ont tous été écrits aux alentours de 2010 et 2011. Ils racontaient ce qu'il se passait à Kasemi, à la sortie d'Orlando, où ces motels autrefois destinés aux touristes hébergent aujourd'hui des familles entières. C'est ainsi que j'ai découvert l'univers, et que j'ai commencé à m'y plonger, en sachant que je pourrais raconter une quelque chose dans ce lieu.

    Nous avons toujours voulu écrire une histoire entre une mère et sa fille, surtout qu'il y a beaucoup de mère célibataires dans ces motels. Nous savions qu'il nous faudrait faire des recherches et nous rendre sur place pour étoffer l'ensemble, mais tout est parti de là, de cette idée d'une fillette qui vit dans son propre château, à l'ombre d'un autre, bien plus célèbre.

    Peut-être qu'en tant que réalisateur indépendant, je suis toujours attiré vers les outsiders et marginaux car nous sommes nous-mêmes marginalisés

    Cette idée du petit château dans l'ombre du grand est-elle aussi une façon de parler du cinéma d'aujourd'hui, où les blockbusters cohabitent avec des projets plus petits et fragiles ?

    (rires) J'adore cette interprétation, mais ce n'est pas ce que je cherchais à démontrer. Qui sait, cependant, à quel point les choses peuvent être inconscientes. Peut-être qu'en tant que réalisateur indépendant, je suis toujours attiré vers les outsiders et marginaux car nous sommes nous-mêmes marginalisés (rires) Je n'y ai touutefois pas pensé en faisant le film.

    Le fait de travailler autour de marginaux rend-il il projet comme celui-ci difficile à financer ? Ou le succès de "Tangerine" vous a-t-il aidé ?

    Nous avons pu obtenir les financements de The Florida Project grâce au succès de Tangerine. Un succès relatif et surtout critique. Et il m'a fallu me contenter d'un buget modeste. Il n'est pas facile de faire un film autour de gens disposant de peu de moyens : lorsque l'on regarde l'Histoire du cinéma, on a l'impression que ce type d'histoire est traité depuis cent ans tout en réalisant que ces films ne sont pas les plus rentables. Rien n'indique, sur le papier, que leur box-office sera important.

    Nous avons essayé de vendre The Florida Project à un certain nombres de personnes susceptibles d'être intéressées par le film, y compris en France, mais ça n'a pas vraiment fonctionné. Grâce à Tangerine, j'ai quand même réussi à prouver que des histoires sur des défavorisés pouvaient être drôles et racontées de manière différente, de façon à être accesibles. Et c'est ce qui a rendu ce film possible. Je n'avais pas envie de le traiter avec le micro-budget de Tangerine, qui était de 100 000 dollars. Mais il a fallu que je fasse cela pour avoir les 3 millions de The Florida Project, qui ne représentent pas un budget énorme pour autant.

    Le Pacte

    Etait-il prévu dès le début d'avoir un acteur connu, comme Willem Dafoe ici, pour favoriser le financement du film ?

    Oui, nous avons toujours su que ce personnage serait confié à quelqu'un de connu. Nous avons même envisagé faire de même avec Halley et Ashley. Sauf que j'ai écrit cette dernière avec Mela [Murder] en tête, tout en sachant que je ne pourrais peut-être pas l'engager. Mais au final, les producteurs ont été assez gentils pour me laisser le faire malgré le fait qu'elle n'ait pas eu de succès au box-office à cette époque. Dans le cas d'Halley, nous nous sommes penchés sur de gros noms, et lorsque j'ai découvert la page Instagram de Bria [Vinaite], quelque chose m'a stimulé et laissé penser qu'elle pourrait apporter beaucoup de fraîcheur au rôle, tout en me permettant de présenter un nouveau talent au monde.

    Le succès que j'ai rencontré sur mes précédents films, en matière d'acteurs débutants, m'a donné confiance au moment de choisir les interprètes de celui-ci. J'aurais pu échouer avec Mya et Kiki dans Tangerine, Besedka dans Starlet ou Prince dans Prince of Broadway, mais tous ont été nommés pour diverses cérémonies, qu'il s'agisse des Gotham Awards ou des Independant Spirit Awards, ou de la campagne pour que Mya soit nommée aux Oscars. Dans le cas contraire, je n'aurais pas pu convaincre les producteurs de me faire confiance avec Bria.

    Trouver Brooklynn Prince a-t-il été plus compliqué ?

    Compliqué, non, car elle vivait déjà à Orlando et je voulais que les enfants du film soient du coin. Mais ça a pris du temps, à tel point que nous avons eu peur de ne pas trouver l'interprète de Moonee avant le début du tournage. Je savais que le film allait intégralement reposer sur ses épaules, et qu'il me fallait trouver quelqu'un qui possédait tout ce que je recherchais : l'énergie, l'intelligence, l'esprit, la gentillesse et la capacité à délivrer une grosse performance sur le plan émotionnel. En plus d'être drôle (rires)

    J'avais beaucoup de critères et il se trouve que Brooklynn était dans la base de données d'une société de casting locale. Elle est venue passer une audition au cours de notre troisième gros appel, après plusieurs semaines de recherche. Et ça a été instantané : elle était parfaite et correspondait exactement à ce que nous recherchions.

    ATTENTION (LEGERS) SPOILERS !!!

    La dernière scène du film donne l'impression d'avoir été filmée de la même façon que "Tangerine". Est-ce le cas ?

    Oui, nous avons décidé d'opter pour le tournage "guerilla" que j'avais déjà mis en place sur mon film précédent, filmé avec un iPhone. Nous avons fait ce choix pour des raisons évidentes, car nous devions voler certaines images. Mais nous voulions aussi que le public réalise que quelque chose était en train de se passer, et que chacun est libre d'interpréter sa signification.

    Il y a une vraie raison derrière ce passage du 35mm à l'iPhone lorsque Jancey attrape le poignet de Moonee, et j'espère une chose - c'est même un indice que je vous donne : après avoir vu Moonee se servir de son imagination pour tirer le meilleur de ce qu'elle avait, j'espère que les spectateurs seront plongés dans le même état d'esprit, qu'ils utiliseront ce regard d'enfant pour imaginer une situation meilleure que celle dans laquelle les personnages sont.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 21 novembre 2017

    The Florida Project : Sean Baker avoue être "toujours attiré vers les outsiders et marginaux car nous sommes marginalisés"

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