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    La Juste Route : "Se souvenir est un acte militant"
    Vincent Garnier
    Vincent Garnier
    -Rédacteur en chef
    Cinéphile omnivore, Vincent « Michel » Garnier se nourrit depuis de longues années de tous les cinémas, sans distinction de genres ou de styles. Aux côtés de Yoann « Michel » Sardet, il supervise la Rédac d’AlloCiné et traque les Faux Raccords.

    Avec "La Juste Route", Ferenc Török s'intéresse à un épisode oublié de l'après-guerre, le retour des Juifs hongrois dans leurs foyers. Rencontre avec un réalisateur qui n'oublie pas le passé...

    Septième Factory

    AlloCiné : La Juste Route parle d'un moment douloureux de l'Histoire hongroise. Pourquoi avez-vous choisi ce sujet ?

    Ferenc Török : Tout d'abord je suis tombé amoureux de la nouvelle "Homecoming" de Gabort T. Szanto, puis mon intérêt pour le sujet est apparu. L'année 1945 est certainement le sujet le moins traité et le moins discuté de notre histoire. J'ai beaucoup réfléchi sur ce qui s'est passé après la guerre et l'Holocaust. C'est une partie oubliée de l'histoire hongroise. Il s'agissait d'enterrer les secrets et d'accepter ce qui c'était produit. Mon intérêt se portait aussi sur la question de savoir pourquoi il fut possible qu'un pays ayant vécu l'Holocauste puisse être occupé juste après par une autre puissance. Et aussi montrer que ce ne fut pas une année si positive, contrairement à ce que le régime communiste disait.

    Avez-vous le sentiment que la Hongrie tend à oublier cette part infamante de son Histoire ?

    Se souvenir est un acte militant et c'est la seule façon de ne pas oublier. Il n'y a pas d'autre option. Notre film ne parle pas des faits connus de la Shoah mais nous montrons un nouvel aspect Européen, le drame des survivants qui sont revenus et ont trouvé une société, en partie ou même majoritairement, hostile qui avait pris possession de leurs propres biens. Ce fut un des aspects les plus noirs de la Shoah : l'État a donné les biens des Juifs aux citoyens locaux dans des ventes aux enchères au rabais et a fait d'eux des collabos. La manipulation d'État a transformé en collabos des gens qui n'avaient pas forcément des sentiments antisémites, mais qui ne pouvaient rejeter les avantages financiers de cette situation. C'est ainsi que se comporte la plupart des êtres humains. Ce drame moral a engendré une autre forme d’antisémitisme : face aux Juifs survivants de l'après-guerre qui réclamaient leurs biens, les gens locaux ont ressenti une nouvelle sorte de haine envers les survivants, à cause de leurs propres sentiments de honte et de culpabilité. Durant des générations, personne n’a pu parler de ça. Nous avons voulu faire tomber ce tabou.

    Est-ce que ce fut une évidence pour vous de faire un film en noir et blanc ? Avez-vous fait des essais en couleur ?

    Pour moi cette période est en noir et blanc. Toutes les photos, toutes les infos étaient ainsi. Je ne peux imaginer 1945 autrement. C'est authentique comme ça. Et d'une certaine façon le travail a été plus facile, aucun besoin de se concentrer sur la couleur. Nous avions plus de temps à consacrer au jeu des acteurs et à la mise en scène. La mise en scène est plus intense en noir et blanc et nous voulions que les spectateurs soient plus concentrés sur l'histoire et le drame humain. C'était la première fois que je filmais en noir et blanc. Mon directeur de la photographie, Elemer Ragalyi, a 80 ans. Il avait cinq ans quand cette histoire s'est déroulée et il a un souvenir nébuleux de cette époque. Le dilemme de l'histoire demandait du noir et blanc. Il y a aussi une renaissance du noir et blanc, mes enfants ont par exemple des filtres noir et blanc sur Instagram. Cela existe et parfois c'est la meilleure façon de traiter un drame. Je n'ai pas fait d'essais en couleur : et même si on a inventé la couleur, le noir et blanc existe et parfois c'est un choix évident.

    Votre film emprunte aux codes du Western. Par exemple cette longue attente fait penser au "Train sifflera trois fois". Est-ce que c'était voulu de votre part ?

    Cela se passe sur seulement 3 à 4 heures, comme dans une tragédie de la Grèce Antique. Comme un western. J'ai toujours voulu tourner un film en temps réel avec les points de vue des différents personnages. Cela se réfère au Train sifflera trois fois sur plusieurs aspects : sa structure simple est facilement comprise par tout le monde, le tic-tac de l'horloge et le train qui arrive. Et les étrangers dans le train. Et le suspense bien sûr, comme dans un thriller. Les ragots secrets de la ville. A la fin, tout change mais tout le monde se rappellera de ces quelques heures qui auront une influence à vie sur la société (les gens) de ce village. J'ai aussi regardé du néoréalisme, des films italiens de Vittorio di Sica et Rossellini. Ainsi que des films de la fin des années 40 et début des années 50, des films d'Ingmar Bergman, comme Le Septième Sceau.

    Comment voyez-vous la situation actuelle du cinéma Hongrois ?

    Les deux dernières années ont été une période très faste pour le cinéma Hongrois : depuis l'Oscar du Fils de Saul jusqu'à l'Ours d'Or de Berlin de Corps et âme. Les Oscars, Cannes ou les grands prix de Berlin et beaucoup de jeunes talents aussi. Il y a aussi de nombreuses productions d'Hollywood qui se sont faites en Hongrie : beaucoup de stars ont ainsi tourné à Budapest, on peut citer Blade Runner, The Martian, etc. Avec des acteurs comme Ryan Gosling, Harrison Ford, Tom Hanks, Jennifer Lawrence. L’autre chose importante est le succès du cinéma Hongrois: cette année plus d'un million de spectateurs sont allés voir des films Hongrois au cinéma. Notre film La Juste route est sorti à une période vraiment compétitive et incroyable. Nous en sommes très chanceux.

    Bande-annonce de "La Juste Route" :

     

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