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    Jusqu’à la garde : film événement sur la violence conjugale présenté par Léa Drucker et Xavier Legrand

    Lion d’Argent de la mise en scène et prix du meilleur premier film à la Mostra de Venise en 2017, Xavier Legrand et son actrice Léa Drucker nous parlent de Jusqu’à la garde, leur film choc sur la violence conjugale.

    Haut et Court

    MISE A JOUR : le film a remporté depuis quatre César (Meilleur film, Meilleure actrice, Meilleur scénario original, Meilleur montage)

    AlloCiné : Jusqu’à la garde est la suite du court métrage Avant que de tout perdre qui avait eu un succès mémorable, d’abord au Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand 2013, puis aux César et jusqu’aux Oscars. Quel souvenir en gardez-vous ?

    Léa Drucker : J’ai ce souvenir de voir Xavier Legrand recevoir un César, puis d’aller me coucher enceinte de six mois, avant de me lever tôt le lendemain pour partir assister à Los Angeles à la cérémonie des Oscars. On n’avait pas de limousine, parce qu’on était fauchés : louer une limousine, ça coûte horriblement cher. Vanessa Paradis avait été très gentille : comme Denis Ménochet et moi avions tourné avec elle [dans Je me suis fait tout petit, ndlr], elle nous a envoyé la limousine de Johnny Depp pour nous emmener aux Oscars. (Rires) C’était assez incroyable ! Tout ça à partir de ce tournage à Montbéliard  où on dormait dans un camping-car – où on était très bien, d’ailleurs ! – le voyage avec ce court métrage a été surréaliste.

    Xavier Legrand : Cette nuit folle où on avait peu dormi et où on se retrouve avec Meryl Streep et Cate Blanchett, on avait envie de se pincer ! C’était un peu comme au manège !

    LD : A tel point qu’on en oublie l’enjeu ! On est au spectacle. Régulièrement, Samuel L. Jackson se penchait par-dessus moi pour parler à quelqu’un, ou John Travolta… Un autre souvenir qui n’a rien à voir avec le glamour, mais qui était très puissant aussi : à chaque projection, des femmes venaient témoigner de choses intimes. C’était sûrement ça, le plus important, pour moi : de sentir que le film était reconnu comme sonnant juste d’emblée, par rapport au sujet.

    Comment s’est imposée l’idée d’en faire une suite en long métrage ?

    XL : Mon projet, à la base, était de faire trois courts métrages sur ce sujet en traversant trois temps différents de ce couple. J’étais en montage du court et je voulais entrer en écriture de la suite le plus vite possible, alors je me suis dit qu’en fait, vu ce que je voulais raconter, le format court ne me laisserait pas assez de temps. Pour Avant que de tout perdre, c’était idéal : tout se passe en une journée où on voit le personnage de Léa Drucker s’organiser pour fuir. Pour le reste, côté dramaturgie, j’étais piégé. En plus, j’ai fini par trouver stupide d’en faire deux films. Le deuxième court métrage aurait été sur le divorce et la garde et le troisième sur la tentative d’homicide. J’ai trouvé ça maladroit de les séparer, finalement. On ne peut pas les dissocier. J’ai donc décidé d’en faire un long. A partir de là, je me suis posé tous les problèmes qu’on se pose habituellement pour écrire un scénario de long métrage.

    Nous avons su que le film était en préparation en septembre 2015 mais, à la demande de Xavier, nous ne l’avons révélé qu’en juin 2016. Pourquoi tant de discrétion ?

    XL : Je voulais garder le projet secret parce que je ne voulais justement pas que les gens pensent qu’il s’agissait de la suite directe d’Avant que de tout perdre et s’en fassent une idée a priori. Je commençais justement à écrire mon film en pensant à ceux qui n’avaient pas vu le court métrage et ne connaissaient pas du tout les personnages. Je crois que j’ai attendu qu’on oublie un peu ce court métrage et son succès, justement.

    La famille est restée intacte, du court métrage au long. Tous les acteurs reviennent sauf Miljan Chatelain auquel succède Thomas Gioria dans le rôle de Julien. Pourquoi ?

    XL : Il s’est passé quatre ans. L’histoire se déroule plutôt un an après la fuite. C’est donc important que l’enfant n’ait pas douze ans, mais plutôt neuf ou dix. Les juges peuvent considérer qu’à partir de douze ans, les enfants ont l'âge du discernement, mais pas avant. Mais ce n’est pas grave : dans Santa Barbara, Kelly Capwell Perkins a été jouée par trois comédiennes différentes ! (Rires)

    LD : C’est vrai. On en a beaucoup parlé pendant la préparation du film. (Rires)

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    Thomas Gioria est parfait dans son rôle, mais il a dû traverser un tournage très éprouvant pour lui. Comment l’avez-vous protégé de ce climat violent tout en lui faisant jouer sa partition ?

    XL : Il faut d’abord trouver l’enfant qui ait ce talent d’acteur, ainsi que la maturité et le désir de faire un film. Il faut aussi s’assurer que ce soit bien son désir à lui, sincèrement. Après, il faut lui faire comprendre ce que c’est que le jeu. Quelle est la frontière entre la réalité et la fiction. Comment on peut mettre ses vraies émotions au service d’un personnage. Ça l’aide à établir de la distance. Et il faut aussi lui rappeler très souvent qu’il doit se sentir à l’aise sur le tournage et que dès qu’il sent que ça ne va pas, on arrête. On refera la prise plus tard. Il faut qu’il soit en confiance. Et c’est aussi à lui de ne pas y aller par quatre chemins. J’ai beaucoup discuté avec lui de la violence conjugale pour qu’il comprenne ce qui se cache derrière les mots et de quoi va parler le film. A partir de là, on travaille avec lui comme avec tout acteur. Il était juste et dès qu’on disait : "Coupez", même s’il avait traversé une scène très dure, avec beaucoup d’émotions, il se mettait à rire, il jouait au foot avec Denis Ménochet… C’est une intelligence de jeu qu’il faut détecter et approfondir avec lui.

    Léa Drucker partage de nombreuses scènes avec lui. Vous ne vous êtes jamais sentie trop bousculée pendant les prises ?

    LD : Non, on était très précautionneux. C’était assez particulier pour moi parce que je jouais dans ces séquences avec lui. Il fallait aussi que j’assure, avec mes propres appréhensions d’actrice. Il fallait que j’arrive à jouer ces choses assez puissantes. Pendant ces séquences avec Thomas, j'introduisais souvent une petite distance pour continuer à le voir comme un partenaire de jeu, comme un acteur professionnel et pas comme l’enfant avec lequel on fait des blagues et on joue au Uno. Et comme il a tout comme moi le plaisir du jeu, il a très vite compris ça. Il est précoce. Il a compris que le travail du comédien était un engagement personnel qui implique de livrer quelque chose d’intime, sans que les gens sachent de quoi il s’agit. Il est très intelligent.

    Il était particulièrement entouré?

    Xavier portait un regard très sain sur lu, et par ailleurs il avait un formidable coach, attentif en permanence. On prenait le temps de lui demander s’il allait bien, on n’a jamais méprisé ses émotions et on ne les a jamais utilisées sans son accord. Que ce soit avant le tournage, dans la préparation, où pendant la production. Il fallait qu’on soit sûrs qu’il était partant pour ce qu’on lui demandait de faire et il l’exprimait de façon plus spontanée que moi. Je voyais qu’il y a avait une façon d’aborder les choses noueuses et une autre façon pour qu’il s’amuse sans problème. Il prenait du plaisir à tourner dans un film de cinéma et même à jouer dans des séquences impressionnantes. Moi aussi mais je ne l’exprimais pas de la même manière. D’autre part, on fonctionnait vraiment en duo : je n’aurais pas pu faire ce que je faisais sans lui et inversement. On avançait ensemble.

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    Le rôle tenu par Denis Ménochet demande beaucoup d’énergie mais l’expose moins au danger que vous. Restiez-vous à l’aise avec lui quand il se mettait dans son rôle ?

    LD : Je ne me suis jamais sentie menacée physiquement. C’est un acteur qui va très loin, qui est très engagé dans ses rôles, qui travaille énormément, en s’astreignant à une grosse préparation, très intense. Par contre, il y a eu des moments où physiquement, on mettait de plus en plus d’espace entre nous deux. J’en ai parlé avec lui. On se connaît bien : on a beaucoup tourné ensemble. Entre deux prises, je fuyais à cent mètres de lui faire autre chose. L’histoire avançait : on a tourné de façon chronologique. Il y avait des scènes qui étaient troublantes à jouer et même avec un partenaire avec qui on est en confiance, ça remue. C'est un mélange d’amour, de rejet, de tendresse. Comme un numéro d’équilibriste.

    Pourquoi tourner le film dans sa chronologie, justement ?

    XL : C’est particulièrement important pour Thomas, puisqu’il est de plus en plus malmené au fil du film. Il s’agissait de sa première expérience. Pour la dernière scène, il avait beaucoup plus confiance en lui. Il était copain avec tout le monde. Alors qu’au début, il se montrait plus craintif : il a même eu plus peur du perchman, parce qu’il ne comprenait pas ce qu’il faisait, que de Denis à la fin du film. Le fait que nous ayons eu très peu de décors nous permettait aussi de tourner dans la chronologie.

    Xavier Legrand est comédien avant d’être acteur. Est-ce que ça se sent, dans sa mise en scène ?

    LD : Oui. Il respecte la méthode de travail de chacun et se débrouille pour qu’on puisse travailler individuellement, librement, tranquillement. Xavier a aussi un vrai regard de spectateur quand il est derrière la caméra. Dès qu’il est derrière le combo, il retrouve son regard d’acteur, mais surtout de spectateur. Il y a vraiment quelque chose de sensible qui se passe et qui nous donne un bon repère pour savoir si on met le curseur assez haut, si on est dans les bonnes intentions, les bons regards, les bons silences… Il y a quelque chose de musical qui n’appartient qu’aux acteurs. Les directions sont souvent musicales aussi : il faut savoir jouer sur les silences.

    Les silences sont en effet essentiels dans ce film. Est-ce qu’ils expliquent le choix de se passer de musique, hormis dans la scène de l’anniversaire de Joséphine ?

     XL : Oui, mais ce n’est pas la seule raison. Je voulais que les spectateurs puissent entendre le souffle de la vie, la terreur du quotidien. Je voulais que les sons prennent un sens plutôt que de fabriquer une peur, une terreur ou une tension avec une nappe musicale sentimentaliste qui ne m’intéressait pas pour traiter ce sujet.

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    Avez-vous entendu des témoignages de femmes battues qui vous ont inspirée pour trouver le personnage de Myriam ?

    LD : Comme on avait déjà trouvé le personnage sur le court métrage, la question ne se posait plus. Dès la lecture du scénario, je comprenais le personnage, je ne sais pas pourquoi. C’était comme quelqu’un que j'aurais déjà connu. Ensuite, c’est vrai que ces témoignages entendus après le tournage m’ont alimentée. Ils me sont restés, ils m’ont touchée et je les ai gardés en moi. Certains m’ont servi pour Jusqu’à la garde. Mais je ne suis allée chercher personne : j’avais du mal à me dire que j’allais demander à quelqu’un de me raconter ses histoires. J’aurais peut-être dû le faire, mais je n’ai pas osé.

    "Jusqu’à la garde" sort précédé d’un énorme succès en festivals, à Venise mais aussi à Saint-Jean-de-Luz et à Angers. Est-ce que ça vous donne confiance pour sa sortie ?

    LD : De façon générale, je ne suis pas convaincue de grand-chose, mais là, je suis sûre d’être dans un bon film. (Rires) Comme pour le court métrage, j’étais convaincue d’être dans un bon court métrage. Après, il y avait tout à faire, mais j’avais cette intime conviction que c’était puissant. Ça ne veut rien dire pour l’avenir du film, mais c’est un point de repère extrêmement important pour moi. Cette conviction, on l’a rarement et je l’ai eue sur ce film-là. Moi qui adore aller au cinéma – c’est une vraie passion –, je savais que j’étais dans un film que je voulais aller voir.

    XL : Moi non, pas du tout. (Rires) Avec les prix en festivals, j’ai compris que j’avais fait quelque chose que les gens aimaient et avaient envie de conseiller aux autres. Même sans ça, j’ai fait le film que je voulais faire. Avant ça, j’étais dans un doute difficile à imaginer, surtout après le succès du court métrage. Ça m’a été très difficile d’écrire ce film. Il faut un temps d’adaptation pendant lequel on comprend qu’on doit faire ce qu’on veut plutôt que répondre à une attente imaginaire. C’est facile de le dire, mais c’est très difficile de se lever le matin et d’avoir cette lucidité. Une fois convaincu de ce que je voulais faire et dégagé de ce qu’on attendait de moi, j’ai pu me plonger dans mon travail. J’ai pu me consacrer à améliorer les choses, de l’écriture jusqu’au montage, avec tous mes collaborateurs. Sans penser à l’éventuel succès du film.

    En sortant au début du mois de février, vous manquez les César 2018 et vous risquez d’être oubliés pour la cérémonie de 2019. Ça ne vous ennuie pas ?

    LD : Il se passe tant de choses immédiatement autour de la sortie du film ! Quand on va le présenter en province, il y a des débats passionnants. Il n’y a pas eu une seule projection tiède. Pour l’instant, c’est ça qui m’importe. Les rencontres avec les journalistes sont assez passionnantes à chaque fois. Tout est si fort que j’ai du mal à me projeter dans un an. Qui sait où on sera dans un an ?

    La bande annonce de Jusqu'à la garde de Xavier Legrand avec Léa Drucker et Denis Ménochet

     

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