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    La glaçante et terrifiante histoire vraie derrière "The Captain - l'usurpateur"
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    En salle depuis ce mercredi, "The Captain - L'usurpateur" relate le glaçant et cruel parcours final et authentique d'un soldat allemand de 19 ans qui s'était improvisé escroc et tyran, responsable de la mort de près de 170 personnes. Récit.

    Max Hubacher

    1945. Le chaos s'installe dans une Allemagne désormais en ruine. Les armées du IIIe Reich jadis triomphantes sont toutes en déroute, se battant avec l'énergie du désespoir et, parfois, du fanatisme le plus absolu. Des escadrons de soldats, parfois ivres, n'ayant plus rien à perdre, multiplient les exécutions sommaires, sans différencier déserteurs et fantassins ayant perdu leur unité. Pour survivre, un jeune déserteur allemand de 19 ans, Willi Herold, va usurper l'identité d'un capitaine -et son uniforme avec-, entraînant dans sa fuite avec lui des soldats pour une mystérieuse "mission spéciale", comme il se plaît à le dire lorsqu'on l'interroge. En réalité, le début d'une spirale d'actes aussi glaçants que cruels et sadiques, qui s'achèvera par la mort estimée de près de 170 personnes; jusqu'à ce que la guillotine ne se charge de mettre fin, le 29 août 1946, à la vie de celui qui fut surnommé le "Pendu de l'Emsland".

    Ci-dessous, la bande-annonce du film...

    C'est peu dire qu'on attendait pas vraiment le réalisateur (d'origine allemande) du potache Red et autre Divergente sur un tel film, porté par son formidable acteur principal, Max Hubacher. Un film aussi radical que dérangeant, puissamment réalisé, et qui a la vigueur d'un uppercut. Une oeuvre qui plonge le spectateur dans les recoins les plus sombres et torturés de l'âme humaine, tout en l'enjoignant à s'interroger sur la persistance de mécanismes idéologiques toujours à l'oeuvre encore aujourd'hui.

    "Presque 70 ans après les faits, les brutalités de la Seconde guerre mondiale continuent d'éveiller de l'incompréhension et de la consternation. Selon nos normes sociales actuelles, les actes commis semblent anormaux, psychotiques, horribles. Mais l'horreur est un concept moral, non analytique" explique Robert Schwentke dans une note d'intention. "Pour expliquer les actes de WIlli Herold, il nous faut comprendre le monde dans lequel il vivait, et non pas notre monde. Il faut dépasser nos principes moraux, imaginer ce qu'il vivait et ressentait".

    Le cinéaste sait qu'avec un tel sujet, il avance sur un terrain difficile et potentiellement miné. "Notre but n'est pas de justifier ou de pardonner les actions d'Herold en les conceptualisant, ou même pire, en jouant sur le relativisme moral. Il s'agit plutôt de comprendre les circonstances historiques dans lesquelles elles se sont produites, et de parvenir ainsi du général au particulier". Et d'ajouter : "le comportement inadmissible d'Herold dans un contexte historique particulier laisse entrevoir un bout de vérité sur la condition humaine en temps de guerre".

    Willi Herold, bourreau et tyran presque ordinaire dans une Allemagne en ruine

    L'histoire de The Captain - l'Usurpateur est donc inspirée de la réelle histoire du soldat allemand Willi Herold, qui à 19 ans, s'est improvisé escroc et despote après avoir trouvé et endossé l'uniforme d'un officier de haut rang en avril 1945. Né en 1925 près de Chemnitz, petite ville située dans l'est de l'Allemagne, Herold avait débuté sa carrière comme apprenti ramoneur avant de rejoindre les parachutistes de la Wehrmacht en 1943. Il combat en Italie avant que sa brigade soit rapatriée en Allemagne. Le 3 avril 1945, quelques semaines avant la toute fin de la guerre, il est séparé de ses troupes et se retrouve seul à errer dans un No Man's Land allemand, marchant vers le nord en direction de Bentheim (située en Basse-Saxe). Sur sa route, il trouve un véhicule militaire abandonné, dans lequel Herold découvre un uniforme de capitaine, bardé de décorations.

    Julia M. Müller / Weltkino Filmverleih

    Usant -abusant plutôt- des pouvoirs dû à son vrai / faux rang de capitaine, il prend rapidement le commandement d'un groupe de soldats qu'il rencontre en chemin, jusqu'à environ 80 hommes, avec un cercle de 12 d'entre eux qui l'accompagneront jusqu'à la fin. A cette période de la guerre, dans un pays en ruine et une autorité en pleine décomposition, la survie primait avant tout. Les routes étaient ainsi envahies de centaines de soldats égarés ou séparés de leurs unités; on les appelaient alors Versprengte, c'est-à-dire les "dispersés". Mais, dans ce chaos absolu, il était aussi difficile de les distinguer des déserteurs...

    Dans la région peu peuplées des Emsland, située au nord-ouest de l'Allemagne, les nazis avaient construit 15 camps de concentration, dont six qui étaient exclusivement destinés aux membres de la Wehrmacht qui étaient déserteurs, accusés d'insubordination ou d'affaiblir les troupes. Herold et ses hommes arrivèrent ainsi au camp de détention d'Aschendorfermoor, le 11 avril 1945.

    S'affranchissant des autorités du camp et contre la volonté de son surintendant, Herold et ses hommes mirent en place leur propre cour martiale implacable et d'une rare sauvagerie, justifiant leur cruauté et leurs exécutions sommaires par le mensonge d'avoir reçu des ordres d'Adolf Hitler lui-même. Facteur aggravant et dramatique supplémentaire : malgré l'absence de preuve écrite, ce qui aurait logiquement dû éveiller les soupçons, tous les officiers le crurent sur parole.

    Massacre au canon anti-aérien

    Le lendemain, dans la nuit du 12 avril 1945, Herold et ses hommes demanda aux détenus de creuser une fosse de 1m80 de profondeur, avant de les exécuter au canon anti-aérien, puis à la mitrailleuse, et de les achever à la grenade. Bilan de ce carnage : 98 soldats furent exécutés cette nuit là. Entre le 15 et le 18 avril, il réorganise complètement le camp, renvoyant des soldats auprès de la Wehrmacht tout en recrutant d'autres. Le 19, un bombardement des Forces Alliées pulvérisa la caserne et détruisit complètement le camp. Herold et ses hommes survécurent miraculeusement à ce coup du sort. Evacuant les lieux, ils poursuivirent leurs macabres besognes sur le chemin de la petite ville de Papenburg, située en Basse-Saxe, dans le nord de l'Allemagne. Avec son "tribunal volant", il fit une pendaison publique, fit exécuter des espions présumés, et même l'assassinat d'un fermier qui eut le malheur d'avoir exhibé un drapeau blanc en signe de reddition...

    Julia M. Müller / Weltkino Filmverleih

    Le 28 avril, Herold le bourreau est finalement arrêté par la police militaire allemande. Au cours de son séjour en prison, il avoue ses actes, mais ses déclarations sont mises de côté par le tribunal militaire. On lui propose alors de rejoindre la guérilla menée par le corps-franc des Werwolf, créé en septembre 1944 par Himmler, et qui se lançait dans des opérations de sabotages et autres assassinats pour désorganiser les arrières des troupes alliées. Mais Herold s'échappe, et part en direction de la ville portuaire de Wilhelmshaven. C'est là qu'il est finalement interpellé par un marin britannique, alors qu'il vole une miche de pain. Son histoire remonte jusqu'à un tribunal militaire britannique. Cette fois-ci, il est condamné à mort le 29 août 1946, et sera guillotiné ainsi que cinq autres soldats, alors qu'il a à peine 20 ans. On estime qu'il serait responsable de la mort de près de 170 personnes.

    "Début 1945, alors que se profilait une défaite désastreuse, on entendait parfois les allemands dire : "Mieux vaut une fin dans l'horreur qu'une horreur sans fin" écrit l'historien Ian Kershaw dans le prologue de son extraordinaire livre La Fin publié en 2012 (édition du Seuil), qui évoque justement les derniers mois, dernières semaines avant l'écroulement général, au milieu du chaos et du fanatisme des jusqu'au-boutistes. Le cas Willi Herold illustre tristement et tragiquement cette citation.

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