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    Coby : "Garder une distance, une pudeur nécessaire à un sujet aussi délicat"

    Dans le documentaire "Coby", présenté à Cannes l'année dernière, le réalisateur Christian Sonderegger raconte avec justesse et pudeur la métamorphose de Suzanna en Coby. Il nous explique sa démarche avec ce film à l'affiche ce mercredi.

    D.R.

    AlloCiné : Quel a été le point de départ de ce documentaire ? Coby a-t-il immédiatement accepté de faire l'objet d'un documentaire pour le cinéma ? 

    Christian Sonderegger, réalisateur : Coby est mon demi frère américain. Nous avons la même mère, mais nous n’avons pas été élevé ensemble. Ainsi, quand à 23 ans il a annoncé qu’il souhaitait faire une transition pour devenir un garçon, il m’a proposé d’en faire un documentaire. J’étais sceptique, car je ne souhaitais surtout pas faire un reality show sur ma famille, suivre les étapes inévitablement douloureuses, traquer les instants dramatiques, les situations conflictuelles pour obtenir un film familial intense, émotionnel.

    Je ne souhaitais surtout pas faire un reality show sur ma famille

    Mais au bout de 5 années, quand j’ai vu à quelle point cette transition nous avait tous changés, grandis, j’ai compris qu’il y avait un autre récit à développer. Celui de toute une famille qui s’est dépassée en accompagnant l’un des leur dans une chrysalide vers son identité profonde. Avec ma productrice Moïra Chappedelaine Vautier, nous avons alors sollicité les chaines de télévision. En vain, car chacune avait déjà un film en production sur le sujet, et puis je n’étais absolument pas répertorié chez eux en tant que réalisateur. Alors nous nous sommes tourné vers le cinéma. Tant mieux !

    Epicentre Films

    Quelle était l'idée-force que vous aviez en tête en réalisant ce documentaire ? Le film aborde un sujet intime, mais sans jamais sembler voyeuriste. On décèle une véritable sensibilité dans votre démarche, mais tout en montrant aussi de façon simple et factuelle la transition d'une femme en homme. 

    Dès le scénario, je savais que je voulais prendre le sujet à l’envers. Ne pas parler d'abord d’un problème, d’une souffrance pour ensuite montrer comment Coby réussit à le résoudre, à l’apaiser. Mais tout le contraire. Partir du présent, de cet état de bien être et de « normalité » qu’il a atteint, puis déconstruire le personnage et comprendre comment il en est arrivé à cet état. C’était une manière de prendre le public par la main, tout en douceur pour le faire rentrer dans l’univers de Coby, avant de commencer à parler de transition, de dysphorie de genre, de testostérone, etc…

    Nous avons écarté les scènes aux émotions faciles, attendues pour donner de la place à une autre forme de narration, plus essentielle à nos yeux : suggérer plutôt que de montrer

    Avant le tournage, avec Georgi Lazarevski, mon chef opérateur, nous avons visionné les archives Youtube que Coby avait réalisé durant toutes ses années, témoignant de sa transition. Ces scènes, centrées sur lui, sont si intimes qu’il fallait que le reste du film soit plus aéré afin de garder une distance, une pudeur nécessaire à un sujet aussi délicat. Ensuite avec ma monteuse, Camille Toubkis, nous avons fait un travail

    similaire au montage. Nous avons écarté les scènes aux émotions faciles, attendues pour donner de la place à une autre forme de narration, plus essentielle à nos yeux : suggérer plutôt que de montrer. Tout le contraire du reality show que nous vivons chaque jour sur internet, à la télé et trop souvent aussi au cinéma.

    Au-delà de la transition de Coby, le film est intéressant également sur la famille, l'entourage qui fait évoluer son point de vue sur le sujet…

    Oui. C’est un film qui part de la la transition de femme en homme de Coby pour montrer qu’en définitive cette épreuve affecte son entourage proche, sa compagne bien sûr, mais aussi sa famille, ses collègues de travail... C’est une transformation collective qui se réalise alors sous nos yeux, une transformation spirituelle. Par son courage et sa détermination, mon demi-frère emmène tout son univers avec lui. Il nous convainc de la légitimité de son projet, celui de conformer son apparence extérieure à son identité profonde. En fait, je filme une utopie qui se réalise sous nos yeux. Celle d’une famille, d’un village, et par extension, de toute une société qui fait l’effort d’accepter Coby et se grandit au pendant le processus.

    Mon regard a aussi changé au cours de ce film

    Mon regard a aussi changé au cours de ce film. J’ai compris que je me posais les mauvaises questions. Il ne s’agit pas de savoir pourquoi. Car dès qu’on cherche une réponse, on accepte qu’il y a un problème, on stigmatise la personne, on cherche un coupable dans le domaine de la psychanalyse ou de la génétique. Alors qu’en fait, rien ne va mal avec Coby. Il s’agit seulement d’un changement d’état, comme celui qu’opère la molécule d’eau en passant de l’état de neige à celui de plus pluie. Quelque soit la forme qu’elle prend, c'est toujours de l’eau. 

    Epicentre Films

    A qui diriez-vous que ce film s'adresse ? 

    Dès la conception, je souhaitais m’adresser autant à un public familial qu’à celui de la communauté Lgbtqi. Ce n’est pas un film militant, ni revendicateur pour appuyer le mouvement des transgenres. Plutôt un trait d’union entre les différents publics, parents, adolescents, hétérosexuels, gays, cisgenres, transgenres, etc... Avec de l’amour, on est tous capable de dépasser ses peurs, ses préjugés et d’intégrer l’Autre en notre sein.

    Ce n’est pas un film militant, ni revendicateur pour appuyer le mouvement des transgenres. Plutôt un trait d’union entre les différents publics, parents, adolescents, hétérosexuels, gays, cisgenres, transgenres, etc...

    Le film a été présenté au Festival de Cannes, et d'autres événements. Quels types de retours avez-vous eu ? Étaient-ils encore plus forts que ce que vous aviez imaginé ? 

    Grâce à l’appui de l'Acid, l’association des réalisateurs indépendants pour la distribution, «  Coby » est né au Festival de Cannes et depuis prend son essor. Merci à eux. En tournant et en montant ce documentaire, j’étais en premier lieu dans une démarche intime et artistique. Avec mes collaborateurs, je cherchais à atteindre un objet concis, le plus épuré, et en même temps le plus éloquent possible, sans trahir la parole de ceux que j’avais filmé. Aujourd’hui, j’ai compris que ce regard singulier a aussi une valeur pédagogique. Des gens de tous âges viennent vers moi bouleversés par la sensation d’amour et de tolérance qui se à dégage cette famille. Car finalement, au travers de l’exemple de sa transition, Coby nous communique des valeurs universelles qui dépassent son sujet propre.

    La bande-annonce de Coby, à l'affiche ce mercredi :

     

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