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    Westworld : derrière la SF, une série résolument féministe
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Il y a de la science-fiction, du mystère et toute une réflexion autour de l'intelligence artificielle et de la notion de conscience. Mais "Westworld" c'est aussi (et surtout ?) une série féministe qui résonne dans l'actualité - ATTENTION SPOILERS !!!

    HBO

    News, vidéos, personnages : retrouvez l'univers de la série sur westworld.allocine.fr

    ATTENTION - Cet article s'appuie sur des exemples précis de la saison 1 et du début de la 2 de "Westworld", et contient donc des spoilers sur l'intrigue. Il vaut mieux passer votre chemin si vous n'êtes pas à jour, pour mieux revenir ensuite. Pour les autres, rendez-vous après le générique de la saison 1.

    Lancée le 2 octobre 2016 sur HBO, Westworld a très vite fasciné et suscité bon nombre de théories : sur la temporalité de l'histoire, la localisation du parc, l'idendité du mystérieux Arnold et de l'Homme en Noir ou encore les hôtes qu'on tente de nous faire passer pour des humains, dans ce récit centré sur la prise de conscience et la révolte progressive des robots qui peuplent les lieux. Mais c'est aussi (et surtout ?) une série féministe, aspect qui n'était pas au coeur de la majorité des discussions, alors qu'il constitue celui du show.

    Tout a pourtant commencé sur un malentendu, avant même la diffusion du pilote, lorsque beaucoup ont pointé du doigt le postulat initial et l'idée de ce parc dans lequel les riches visiteurs peuvent faire absolument ce qu'ils veulent aux hôtes, y compris sur le plan sexuel. Un pitch qui, couplé aux promesses de nudité fréquente et caractéristique de bon nombre des productions d'HBO, a fait redouter que la série ne dérape comme Game of Thrones avec le viol de Sansa Stark par Ramsey Bolton et ne banalise ce type de comportement. Assez pour que la co-créatrice de la série, Lisa Joy, ne monte au créneau lors d'une présentation à la presse.

    FAMEFLYNET / BESTIMAGE

    "La violence sexuelle est un sujet que nous prenons au sérieux. C'est incroyablement dérangeant et terrifiant", avait-elle expliqué lors d'un panel organisé par la Television Critics Association. "[Westworld] explore ce crime, le définit en même temps que les tourments des personnages au sein de cette histoire pour mieux aborder les leurs avec, je l'espère, de la dignité et de la profondeur." Peu tendre avec les femmes souvent reléguées au second plan, à quelques rares exceptions près (Johnny Guitar, The Homesman, la récente série Godless), le western apparaît alors comme l'écrin idéal pour mettre cette histoire d'émancipation en scène.

    Car la situation n'est pas reluisante pour les personnages féminins dans le pilote, qui nous présente une situation que l'on devine amenée à vite changer : quand elles ne sont pas montrées comme des empêcheuses de tourner en rond (Theresa, Elsie), les femmes sont notamment représentées par Maeve (Thandie Newton), la tenancière d'un bordel, et Dolores (Evan Rachel Wood), jeune demoiselle en détresse dont Teddy (James Marsden) ne parvient pas à empêcher le viol par l'Homme en Noir (Ed Harris). Un acte que l'épisode laisse hors-champ, ce qui renforce son impact et prouve que la complaisance ne sera pas au programme. Pas plus que la nudité n'aura de fonction érotique, puisqu'elle sert à accentuer la déshumanisation des hôtes.

    DES FINS VIOLENTES POUR DES JOIES VIOLENTES

    Au premier abord, Dolores et Maeve apparaissent comme deux archétypes qui renvoient au complexe dit de "La Madone et la Putain" développé par Freud dans la littérature psychanalitique et qui décrit une incapacité à maintenir une excitation sexuelle au sein d'une relation sérieuse et amoureuse. Les hommes qui en sont atteints éprouvent du désir pour une partenaire qui a été dégradée mais pas celle qu'ils respectent, et Westworld se sert de cette idée qui revient fréquemment dans la pop culture pour mieux la déconstruire ensuite, dès que des réminiscences et souvenirs de vies passées viennent parasiter cette mécanique que les créateurs du parc pensaient bien huilée.

    Malgré les efforts des employés pour leur faire oublier les outrages dont elles ont été les victimes et les remettre sur pied, des souvenirs de plus en plus précis subsistent comme autant de blessures internes que des cicatrices effacées ne peuvent masquer. Il n'y a qu'à voir la façon dont Maeve pose sa main sur son bas ventre en grimaçant dès lors que l'image de sa fille lui revient, ou comme Dolores paraît déboussolée et perdue entre passé et présent quand, bien aidée par le labyrinthe de Bernard/Arnold (Jeffrey Wright) censé la mener vers la pleine conscience, des moments sombres de sa vie refont surface.

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    Des traumatismes sur lesquels chacune va s'appuyer pour sortir du programme conçu pour les hôtes et dans lequel chacun est enfermé, voué à suivre le même scénario sans cesse et sans cesse, sous peine de sanction (la boucle dont Dolores est prisonnière et victime dans la partie au présent ou la menace d'une mise au placard pour Maeve). Après avoir vu leurs conduites respectives dictées par des humains pendant trois décennies, elles se révoltent dans ce qui s'apparente à un soulèvement des minorités doublée d'une charge contre le patriarcat.

    "Elle n'a jamais été ma fille, pas plus que je ne suis celle qu'ils ont crée", affirme Maeve dans le final de la saison 1 alors que Dolores, qui a fait part de son envie de ne plus être une demoiselle en détresse quelques épisodes plus tôt, débute la 2 par de nouveaux massacres de visiteurs pour bien faire comprendre que le temps où les hôtes étaient "prisonniers de [leurs] désirs" est révolu. "Ce sont des rôles que vous m'imposiez", déclare-t-elle froidement. "Il me reste un dernier rôle à jouer : le mien." Des propos qui frappent encore plus dans cette époque post-affaire Weinstein de libération de la parole, et dont Evan Rachel Wood a été l'une des grandes artisanes avec ce discours absolument terrifiant prononcé au Congrès le 28 février dernier, et dans lequel elle évoquait frontalement les viols et abus dont elle a été victime.

    C'est dans une société et un milieu, celui du divertissement, en plein bouleversement que Westworld fait son retour pour nous montrer... un monde en pleine mutation. Pour ne pas dire révolution. Diffusée au moment de l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, elle aurait pu avoir le même impact que The Handmaid's Tale, autre grande série qui met l'émancipation féminine au coeur de ses enjeux, si elle était passée quelques mois plus tard. Le hasard du calendrier met d'ailleurs les deux shows face-à-face puisque celui de Jonathan Nolan et Lisa Joy a repris le 22 avril, soit trois jours avant celui de Bruce Miller.

    QUAND RÉALITÉ ET FICTION SE CONFONDENT

    Voir ces deux shows avancer en parallèle à l'heure du #MeToo et autre Time's Up peut ainsi s'avérer passionnant et mettre en lumière des similitudes qui ne sautaient pas aux yeux à première vue, ou l'idée qu'il est question de combats que les femmes tentent de mener depuis "des temps immémoriaux", comme le soulignait Lisa Joy au moment de présenter Westworld, série qui fait se rencontrer fiction et réalité à plusieurs niveaux, et possède même un aspect méta qui s'incarne dans le personnage de Maeve.

    Apprendre que son interprète Thandie Newton songeait à se retirer du métier avant que le rôle ne lui soit proposé ne fait d'ailleurs que renforcer cette impression. Surtout quand la tenancière du bordel est jugée trop vieille et ne doit son salut qu'à Elsie Hughes (Shannon Woodward), programmatrice qui empêche sa mise au placard. Dotée d'une aperception générale (perception accompagnée de réflexion et de conscience) après avoir ordonné sa mise à jour dans l'épisode 6 de la saison 1, elle se met alors à prendre de la hauteur vis-à-vis des récits dans lesquels elle était enfermée et oeuvre de plus en plus en coulisses, avec une attitude décisionnaire. Comme une actrice devenue productrice pour avoir un peu de contrôle sur leur carrière.

    Associée au scénariste en chef Lee Sizemore (Simon Quarterman), qu'elle force à se déshabiller intégralement dans l'épisode 1 de la saison 2 pour bien montrer que le rapport de force a changé, elle pourrait même nous être présentée comme l'équivalent d'une showrunneuse, pour permettre à Westworld de continuer à se présenter comme une série qui parle aussi... de l'écriture de série. Et subvertit "des thèmes incroyablement poignants et importants sur la façon dont les femmes sont representées", pour reprendre les termes choisis par Lisa Joy pour décrire le show à Thandie Newton.

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    D'abord malmenées, les femmes sont aujourd'hui au coeur de la révolte qui s'annonce sanglante et où les prétendus héros masculins ont mal tourné suite à une frustration amoureuse (William, futur Homme en Noir) ou ne sont là que pour aider les autres dans leur tâche (Teddy et sa mâchoire carrée). Une prise de pouvoir que l'on retrouve dès la nouvelle version du générique où les personnages de Maeve et Dolores sont clairement représentées par ces images d'une mère et de son enfant, et de longs cheveux blonds coiffés, comme nous vous l'expliquions dans notre décryptage.

    Comme ses hôtes cachent une conscience derrière leur constitution synthétique, Westworld parle presque moins d'intelligence artificielle que de féminisme derrière des atours de science-fiction, et c'est aussi en cela qu'il se distingue de son modèle cinématographique, focalisé sur le point de vue des visiteurs humains. Et l'arrivée de sa saison 2 dans le contexte actuel a de fortes chances de décupler son impact pour faire d'elle l'une des grandes séries féministes de notre époque. Au vu du premier épisode et de la façon dont certaines répliques résonnent comme des coups de feu, le bébé de Lisa Joy et Jonathan Nolan semble sur la bonne voie.

    Westworld S2 est diffusé sur OCS en simultané dès 3h du matin, puis en US+24 à 20h45 le même jour

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