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    Parvana : "Eveiller les jeunes spectateurs sur la vie d’autres enfants dans des pays en guerre"

    Après "Brendan et le secret de Kells" et "Le Chant de la mer", Nora Twomey raconte l'histoire de "Parvana", jeune fille forcée de se déguiser en garçon pour aider sa famille à Kaboul. Rencontre.

    Le Pacte

    Il était une fois une jeune fille afghane, forcée de se travestir en garçon pour nourrir sa famille au coeur d'une Kaboul ravagée par la guerre et sous le régime taliban... Avec Parvana, à l'affiche ce 27 juin, la réalisatrice irlandaise Nora Twomey livre un conte sur l'émancipation des femmes et l'imagination face à l'oppression, salué aux Oscars et dans de nombreux festivals à travers le monde et récompensé par un Annie Award. Un film important donc. Rencontre 

    Parvana : une opération spéciale pour aider les écoliers afghans

    AlloCiné : Vos précédents films, "Brendan et le secret de Kells" et "Le Chant de la mer", étaient proches de votre culture irlandaise et celtique. Comment avez-vous abordé "Parvana", qui est beaucoup plus éloigné de vous ?

    Nora Twomey (réalisatrice) : Je me suis attachée au personnage de Parvana à travers le roman de Deborah Ellis. J’ai lu son livre en une nuit, et ce personnage m’a vraiment beaucoup touchée. Elle est courageuse, elle est attachante tout en ayant des failles, elle est incroyablement humaine… Tout ça fait que j’ai immédiatement accroché avec le personnage. Je ne me suis pas vraiment demandé pourquoi, c’était quelque chose d’assez évident. J’ai senti que c’est un film que je pouvais faire en réunissant autour de moi les talents adéquats. J’ai aussi vu ce film comme une manière d’apprendre et de découvrir pour moi, en tant que réalisatrice. Il m’est par la suite arrivé de regretter de m’être lancé dans cette aventure tant ce film a été énorme à porter ! Mais grâce aux centaines de gens qui ont travaillé avec moi, grâce aux Afghans qui ont nourri ce projet, nous avons pu parvenir au bout et permettre à chacun de s’approprier le projet. Nos deux premiers films étaient effectivement inspirés de la mythologie celtique, mais ça m’a semblé important en tant que mère de porter sur grand écran, avec Parvana, un film qui éveille les jeunes spectateurs sur la vie d’autres enfants dans des pays en guerre.

    L’animation permet justement cela : montrer le monde aux enfants… pour peut-être les amener à le changer. C’est une démarche que vous aviez en tête ?

    Absolument. Nous voulions montrer avec ce film la complexité du quotidien de Parvana. Il y a énormément de paramètres qu’elle ne peut pas contrôler, il y a tout un passé qui a amené à la situation dans laquelle se trouve sa famille, il y a ce conflit durant lequel elle n’a pas demandé à naître… Il n’y a aucune réponse facile. C’est aussi ce que j’ai pu ressentir en échangeant avec des Afghans qui nous racontaient leur histoire. Rien n’est simple. Si des enfants peuvent réaliser et comprendre cela, malgré leur jeune âge, et s’ils peuvent poser des questions et se poser des questions et appréhender la complexité du monde, c’est très positif et encourageant à mes yeux. Et c’est au final ce qu’est notre film : une question posée aux enfants.

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    Avez-vous montré le film en Afghanistan ?

    Il sera diffusé le mois prochain à la télévision. Mais nous l’avons montré à certaines personnes en Afghanistan, à des Afghans ailleurs dans le monde, à l’ambassadeur afghan aux Etats-Unis, aux Nations Unies... Nous avons par ailleurs impliqué beaucoup d’Afghans durant la production du film pour écouter leurs témoignages et les intégrer au film. C’était important pour moi que le film raconte une histoire qui parle à tous, et qu’il ne propose pas une seule et unique vision : il y a énormément de communautés et de religions différentes dans ce pays. Je voulais à la fois proposer une vue d’ensemble et une vue à hauteur d’enfant, afin de raconter une histoire universelle. C’était essentiel. Dès lors, tous les retours ont été intéressants, qu’ils viennent d’Afghans, de Russes qui ont eu une histoire particulière avec l’Afghanistan, d’Américains, de la Chine qui a une frontière avec le pays… De même, c’était intéressant d’avoir des réactions d’adultes comme d’enfants. Mais pour en revenir à votre question, les retours des Afghans qui ont vu le film ont été très positifs. Notamment parce qu’il y a eu une vraie implication d’artistes afghans : des animateurs, des chœurs, des musiciens, des consultants… Ce que vous voyez à l’écran, ce n’est pas l’histoire d’une personne ou une vision unique de l’Afghanistan, c’est l’association de très nombreuses voix.

    Vous êtes une femme, vous proposez un film sur une jeune Afghane se faisant passer pour un garçon, vous montrez l’Afghanistan sous le joug des Talibans… Avez-vous reçu des menaces en tant que cinéaste au cours de la production puis de la tournée de présentation du film dans le monde ?

    Je raconte des histoires. Et je crois sincèrement que si on refuse une histoire en particulier par peur, alors on est piégé, on est prisonnier, on a déjà perdu. Et c’est quelque chose qu’on ne peut pas accepter : on ne peut pas être piégé par la peur, on doit raconter les histoires qu’il nous semble nécessaire de raconter, nous avons une liberté qu’il faut utiliser. L’important est de le faire de manière responsable, intelligente, empathique. Aucun des personnages du film n’est simple. Aucun personnage ne pense agir mal. Et c’était essentiel pour moi d’adopter le point de vue de chaque personnage. Le personnage de Razaq, par exemple, est un Taliban. Mais il a un vrai conflit intérieur. J’ai tenté d’imaginer les choix qu’avait dû faire cet homme pour en arriver là. C’est le résultat des recherches et des rencontres que j’ai pu faire durant le développement du projet, des gens qui ont dû prendre des décisions difficiles pour protéger leur famille.

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    Comment s’est dessiné le film dans votre esprit ? Des images surgissent-elles dès la lecture du roman, que ce soient des visages ou des paysages ?

    Je crois que pour un cinéaste, la lecture d’un roman se fait toujours de manière cinématique. Vous vous lancez donc dans la production avec des images en tête. Mais Parvana a surtout été un enseignement et un apprentissage pour moi. Toutes les idées que je pouvais avoir en tête après la lecture du roman ont été remises en question par les échanges que j’ai eu avec des gens qui ont vécu des événements similaires à Parvana, ou qui ont eu des enfants qui ont connu les mêmes drames. J’ai appris tout au long de la production. Un artiste comme Aman Mojadidi nous a beaucoup apporté par exemple : il nous parlé de la qualité de la lumière à cette altitude, de la poussière particulière liée à cet environnement… Nos acteurs ont aussi apporté beaucoup, en nous racontant leur enfance, les souvenirs qu’ils avaient de leurs voisins, de certains petits événements. Quelqu’un m’a raconté que son père prenait du temps pour éplucher sa pomme, afin de réfléchir, pour ensuite la partager avec toute la famille. Ce sont des choses qu’on retrouve dans le film. L’animation demande du temps, dans le cas présent cinq ans. Cela signifie qu’on peut se permettre de faire des erreurs pour mieux les corriger et enrichir le film.

    Il y a un dessin essentiel et central dans votre film, le visage et les yeux de Parvana. Comment avez-vous travaillé pour aboutir à la version finale ?

    Très tôt, j’ai rencontré Reza Riahi, un réalisateur de courts métrages et directeur artistique iranien. Il a une manière merveilleuse de dessiner des personnages. Il exprime énormément de choses, et notamment de personnalité, de chaleur et d’empathie, à travers quelques traits. Face à ses dessins, vous ressentez vraiment la pensée et les sentiments des personnages. J’ai beau faire de l’animation depuis une vingtaine d’année, cette idée qu’on puisse bouger des traits sur un écran à 24 images par secondes et que le public y voit des personnages avec des sentiments et des émotions, c’est vraiment magique. Quand on rencontre des gens comme Reza Riahi et Ciaran Duffy, également directrice artistique sur le film, qui sont capables d’insuffler autant d’émotions avec leurs mains, on s’y accroche ! Ça n’a donc pas pris très longtemps pour que Reza définisse le visage de Parvana et le design qui devienne le coeur du film. Elle ne s’exprime pas beaucoup, et il fallait qu’on ressente ses sentiments et sa pensée à travers son regard. Donc une fois que vous avez les bonnes personnes dans votre équipe, les choses sont assez simples. La difficulté ensuite, c’est de réunir une équipe d’animateurs qui sauront dessiner et retranscrire Parvana de la même façon.

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    Le film est en animation traditionnelle, sans images de synthèse ou très peu. Vos précédents films reposaient également sur cette technique. Qu’est-ce que ce médium apporte par rapport à la CGI ?

    Sur des films à petit budget comme le nôtre, il y a une grande liberté artistique. Mais cela s’accompagne de limitations. C’est très difficile d’obtenir des images de synthèse de qualité avec un budget réduit. Alors que nous savons faire de l’animation traditionnelle de grande qualité pour le même prix. C’était donc déjà un choix évident. Par ailleurs, même si je n’ai rien contre la CGI, elle peut très vite être datée : regardez les films produits il y a dix ans, on sent que le film est daté par rapport aux évolutions technologiques. La 2D ne provoque pas ça, elle relève d’un vrai choix artistique, d’une vraie patte. Au même titre que la peinture. C’était donc un choix logique pour Parvana. Et puis il y a une vraie beauté dans cette technique, on sent le crayon ou le pinceau de l’artiste derrière chaque image. On sent les choix des animateurs sur tel geste ou telle posture, qui sont des choix empathiques. On ressent tout ça. Et cela vous implique encore plus dans l’histoire. Une fois que vous avez accepté le parti pris esthétique, vous oubliez l’animation et vous ne voyez plus que des personnages vivants. Et pas seulement des traits.

    L’histoire de Parvana se poursuit dans plusieurs romans : avez-vous prévu de les adapter ?

    J’ai tout donné sur ce film, pour tout vous dire. Vraiment. Il me faudrait beaucoup de temps pour me remettre avant de retrouver le monde de Parvana. Et puis j’aimerais surtout voir un cinéaste afghan s’emparer de cette histoire. UNE cinéaste afghane surtout. Si cela arrive, je l’aiderai autant que je peux. Il faut qu’une autre voix s’empare de cette histoire.

     

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