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    My Lady : de l'intérêt de l'enfant avant tout aux dérives du Children Act
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Poignant drame porté par une Emma Thompson impériale en juge de la Haute Cour seule face à ses doutes, "My Lady" porte un éclairage aiguë et passionnant sur le "Children Act", la fameuse loi britannique votée en 1989, qui connait de graves dérives.

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    Faut-il obliger un adolescent, atteint d'une leucémie, à recevoir la transfusion qui pourrait le sauver d'une mort certaine, même contre son gré, et alors que la religion de ses parents, témoins de Jéhovah, l'interdit ? Fiona Maye, Juge de la Haute Cour britannique aux Affaires familiales, décide de lui rendre visite, avant de trancher. Avec un principe clé à garder en tête, une considération essentielle : "Quand la Cour de Justice doit prendre une décision concernant l'éducation d'un enfant, l'intérêt de l'enfant doit être la première considération de la Cour". Tel est le sens des tous premiers mots du Children Act; une loi votée sous la gouvernance de Margaret Thatcher, qui a révolutionné le Droit de l'enfance en Grande-Bretagne en 1989, en plaçant l'intérêt de l'enfant au-dessus de toute considération, dans le cas d'un conflit familial. C'est d'ailleurs tout le sens du titre du film en version originale, The Children Act, là où le titre français My Lady renvoie avant tout à cette marque de respect due à la présidente de la cour.

    Ci-dessous, la bande-annonce de My Lady...

    Dans le beau film de Richard Eyre, c'est une Emma Thompson impériale et tout en retenue qui incarne la voix (et la voie) de la Justice, seule aussi face à sa conscience et à ses doutes, devant la terrible complexité du cas qui lui est exposé. "Il y a quelques années, je me suis retrouvé à un dîner avec des juges" raconte Ian McEwan, scénariste du film et auteur de L'intérêt de l'enfant, le roman publié en 2014 qui fait l'objet de l'adaptation. "Ils abordaient différents sujets et à un moment, pour régler un point de dispute, notre hôte, Sir Alan Ward, un célèbre Juge de Cour d'appel, a sorti d'une étagère un ouvrage regroupant ses propres décisions. Plus tard, à l'heure du café, j'ai pu me plonger dans ce livre. Ces jugements se lisaient comme des nouvelles, avec en toile de fond des disputes, des dilemmes parfaitement résumés, des personnages très bien campés, des histoires présentées sous différents angles et, en conclusion, de la sympathie envers ceux que le jugement n'avait pas favorisé. Il ne s'agissait pas d'affaires criminelles où il faut décider si un homme est le coupable ou la victime. C'était simplement des affaires de famille, des accidents du quotidien : des histoires d'amour, de mariage, des problèmes d'héritages mal répartis, d'enfants mal aimés, dont l'avenir faisait l'objet d'amères tractations". Trois ans plus tard, Ian McEwan retrouve Sir Alan Ward, qui lui évoque alors le cas concernant un témoin de Jéhovah. "En l'écoutant, je me suis dit à nouveau que ces histoires de famille relevant de la Haute Cour étaient de l'étoffe dont on fait les fictions. Sauf que la fiction n'a pas besoin de trancher. Elle peut réinventer les circonstances, les personnages et étudier ce qui se produit quand l'amour et la croyance s'entremêlent, quand l'esprit des lois est confronté à une foi profonde et sincère".

    Du particularisme du Droit anglais et de l'intérêt supérieur de l'enfant

    Le droit anglais envisage la notion d’intérêt de l’enfant sous les vocables Welfare Principle, Best Interests Test ou encore, Paramountcy Principle. Il résulte de cette terminologie que l’intérêt de l’enfant, dans les domaines où il doit être pris en compte, doit, sauf exception, être la considération souveraine ou supérieure; entendue ici comme étant celle qui détermine l’issue du procès.

    Le droit anglais n’étant pas codifié, les textes légaux faisant référence à cette notion sont les lois parlementaires (Act of Parliament en VO) intervenues dans divers domaines du droit de la famille, et complétés par les décisions de justice. Parmi ces lois, le Children Act 1989 occupe une place privilégiée, fonctionnant comme un mini-code des droits de l’enfant en Angleterre, qui accorde une place centrale à la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant toutes les fois que le juge statue sur une question relative à l’éducation de l’enfant ou à l’administration de ses biens.

    Cet intérêt de l'enfant se mesure -ou plutôt s'apprécie- à la lumière de plusieurs éléments. Sont ainsi pris en compte par le juge les souhaits et sentiments exprimés de l’enfant (eu égard à son âge et à sa capacité de discernement); ses besoins propres qu’ils soient d’ordre physique, affectif ou scolaire ; les conséquences éventuelles d’un changement des conditions de vie de l’enfant ; l’âge de l’enfant, son sexe, son environnement et ses antécédents, ainsi que tout autre élément pertinent se rapportant à l’enfant ; tout dommage subi ou risquant d’être subi par l’enfant ; l’aptitude de ses parents ou de toute autre personne qui a la charge de pourvoir aux besoins propres de l’enfant ; et enfin le champ des pouvoirs propres attribués au juge par la loi dans les procédures en cours.

    De manière générale, ce n'est semble-t-il qu'à titre exceptionnel qu'un juge refusera de tenir compte des sentiments exprimés par un adolescent. Cela peut se produire si la question litigieuse est d'une gravité particulière. C'est d'ailleurs toute la question au coeur du film My Lady, qui s'appuie sur un cas concret survenu en 1993. Dans de telles circonstances, les autorités médicales peuvent saisir le juge qui peut donc ordonner une intervention médicale si celle ci est conforme à l’intérêt de l’enfant.

    En ce qui concerne les conséquences éventuelles d’un changement dans les conditions de vie de l’enfant, la jurisprudence sur l’intérêt de l’enfant met l’accent sur la nécessité, chaque fois que cela s’avère être possible, de maintenir l’enfant dans son milieu naturel. Dans la jurisprudence anglaise, la notion française de «maintien dans son milieu naturel» est connue sous l’expression status quo. Le principe du status quo doit être appliqué, à moins qu’il existe des motifs graves justifiant un changement. Par exemple, lorsque l’un des parents se drogue, ou que l'enfant est victime de sévices.

    Les graves dérives du Children Act, entre quotas et logique de rentabilité

    En novembre 2016, la chaîne France 5 diffusait un terrible et édifiant documentaire réalisé par les journalistes Pierre Chassagnieux et Stéphanie Thomas : Les enfants volés d'Angleterre. Celui-ci expliquait que, sous prétexte de protection de l’enfance, l’État britannique retire des nouveau-nés à leurs parents, juste sur la base de “soupçons de maltraitance future”, avant de les confier à l’adoption. Une pratique évidemment choquante, scandaleuse, traumatisante même; mais malheureusement tout à fait légale.

    Ci-dessous, un extrait du documentaire...

    Chaque année, des milliers d'enfants seraient ainsi retirés à leurs parents sur la base d'un simple soupçon. Comment en est-on arrivé là ? Un net durcissement du Children Act est passé par là sous la pression du premier ministre Tony Blair, tandis que la Presse se déchaînait à l'époque sur les travailleurs sociaux suite à une série de faits divers tragiques. Des histoires de maltraitances d’enfants à l’issue fatale, malgré la surveillance des services sociaux. "C’est sur cette base-là que le soupçon de maltraitance a été légalisé" expliquait Pierre Chassagnieux. En creux, ces mesures avaient en ligne de mire les familles pauvres. "Les pauvres sont considérés comme coupables de leur propre pauvreté et, à ce titre, leur capacité à s’occuper correctement de leurs enfants est remise en cause" lâchait le réalisateur. Facteur aggravant et traumatisant supplémentaire : en Grande-Bretagne, l'adoption est irrévocable, irréparable, et plénière. De fait, les parents injustements privés de leurs enfants ne les reverront jamais...

    Un système d'autant plus terrible qu'il est perverti par un système de quotas. Chaque Comté (l'équivalent britannique de nos départements), reçoit des quotas d’adoption, c’est-à-dire un nombre d’enfants à retirer à leurs parents pour les proposer à l’adoption. Le système de quotas attribue des primes, qui viennent gonfler le budget des services locaux de protection de l’enfant, ou au contraire, l’amputent si les chiffres ne sont pas atteints... Un système qui poussent les travailleurs sociaux à faire de l'excès de zèle. "Il faut aller vite, les services sociaux doivent répondre à une logique de rentabilité" analysait Pierre Chassagnieux. Et d'ajouter : "Cela encourage les travailleurs sociaux à retirer des enfants à leur famille et à les faire adopter dans les plus brefs délais, parce que ces enfants placés coûtent cher à l’Etat, environ 2,8 milliards € par an. Donc il faut aller vite". Terrible, et glaçant.

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