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    Mission : Impossible - De Brian De Palma à Christopher McQuarrie, comment la saga a-t-elle évolué ?
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Alors que la saga fête ses 22 ans d'existence sur grand écran, retour sur chacun de ses six épisodes et la façon dont les différents réalisateurs se sont appropriés la marque "Mission : Impossible" pour la faire évoluer en même temps que Tom Cruise.

    MISSION : IMPOSSIBLE - ROGUE NATION

    Paramount Pictures

    En poursuivant ce que J.J. Abrams a mis en place dans Mission : Impossible IIIRogue Nation s'inscrit dans la continuité des épisodes précédents sur le plan narratif, mais également en coulisses. Scénariste de Walkyrie et Edge of Tomorrow, en plus d'avoir officié comme script doctor sur Protocole FantômeChristopher McQuarrie est devenu le partenaire privilégié de Tom Cruise au cours des années 2010, et a assis ce statut en le dirigeant dans Jack Reacher. Il n'était donc pas très surprenant de le voir choisi pour mettre la nouvelle aventure d'Ethan Hunt en scène. Spécialiste du polar, malgré quelques incursions dans le fantastique et la SF, il compose une aventure plus terre-à-terre que la précédente, où Brad Bird avait tenté de repousser les limites de l'impossible.

    Pour Christopher McQuarrie, il s'agit donc de faire revenir le héros sur terre après ses exploits de Protocole Fantôme... et la scène d'ouverture de Rogue Nation, qui voit l'acteur décoller en même temps que l'avion auquel il est accroché. Sorti de nulle part, il apparaît comme un super-héros, un surhomme venu sauver une situation mal embarquée et capable d'exploits aériens comme celui-ci. Une entrée en matière qui renoue avec le côté quasi-cartoonesque de Protocole Fantôme, pour mieux s'en départir ensuite, et instaure l'une des règles du réalisateur dans la saga : cette volonté d'évacuer au plus vite LA grosse cascade du film, sur laquelle reposait le gros de la promotion, pour ensuite passer aux choses sérieuses.

    En plus de nous présenter, sur un vinyle, la mission qu'Ethan devra accepter ainsi que l'antagoniste, la scène suivante fonctionne ainsi comme une note d'intention. À travers la bouche de son héros, qui affirme chercher "du classique" parmi les enregistrements qui lui sont proposés, le réalisateur et scénariste annonce vouloir renouer avec l'esprit de la série originale et des films d'espionnage de l'époque, sans pour autant renier la technologie actuelle à laquelle il offre une place de choix, malgré un quasi-refus étonnant d'intégrer des gadgets dans le récit. Comme si l'humain et les rouages de l'intrigue importaient plus que l'action à ses yeux.

    "J'ai entendu des histoires : elles ne peuvent pas toutes êtres vraies ?", dit une jeune recrue pleine d'admiration lorsqu'elle croise Ethan dans cette même scène. Une question qui peut aussi renvoyer à Tom Cruise et aux folles cascades qu'il exécute sans doublure, et à laquelle le héros ne répond pas vraiment, laissant à son interlocutrice le choix de trancher entre réalité et légende, opposition chère à John Ford dans L'Homme qui tua Liberty Valance. Une légende que Christopher McQuarrie met à mal sur plusieurs niveaux. Physiquement pour commencer, car la grande majorité des scènes d'action se termine par un loupé de l'espion : happé par le paquetage qu'il venait récupérer dans l'avion, la tête à l'envers après avoir retourné la voiture qu'il pilotait, tête contre le bitume à l'issue d'une glissade ratée sur le capot de l'engin, le nez dans le sable après une chute à moto, ou encore mort et ressuscité après une longue séance d'apnée.

    "Messieurs, voici Solomon Lane. M. Lane, je vous présente l'IMF" (Ethan Hunt)

    Difficile, pour lui, de souffrir plus que dans cette scène qui le rapproche de Jack Bauer, autre agent revenu à la vie à plus d'une reprise et perpétuellement accompagné par la mort. Mais ce challenge physique va de pair avec celui, plus psychologique, que lui propose le Syndicat, groupe composé d'espions dissidents brièvement mentionné à la fin de Protocole Fantôme. Mais surtout introduit dans la série de 1966, à laquelle McQuarrie rend hommage en le faisant débarquer sur grand écran et lui offrant un nouveau leader en la personne de Solomon Lane (Sean Harris). Comme Ethan, dont il est clairement le double négatif, sa réputation la précède puisque la légende terrifiante nous est présentée avant l'homme et sa voix nasillarde. Ancien membre des services secrets britanniques, il représente bien évidemment ce que le héros pourrait devenir, animé d'intentions plus sombres et dénué de la famille qui l'entoure.

    Une famille dans laquelle on retrouve les membres habituels (Benji Dunn, Luther Stickell et William Brandt) pour accueillir une nouvelle venue, qui n'est autre que le personnage le plus intéressant de la saga après Ethan. Peut-être parce qu'elle se révèle très vite comme son pendant féminin, en plus d'être incroyablement dure à cuire et charismatique. Il s'agit de la bien nommée Ilsa Faust (Rebecca Ferguson), qui a comme vendu son âme au Diable en infiltrant le camp de Solomon Lane jusqu'au point de non-retour. Comme son alter ego américain, membre de l'IMF que la CIA veut arrêter, elle fait officiellement partie du MI6 mais évolue comme un électron libre qui suit son propre plan, afin de renouer avec sa vie d'antan, dans un film où le terme "Rogue" du titre, qui signifie aussi bien "dissident" que "solitaire", s'applique autant au méchant qu'à eux deux, qui ne reconnaissent plus dans aucun gouvernement, aucune entité.

    Paramount Pictures

    Ne pouvant s'appuyer que l'un sur l'autre, sans pour autant laisser libre cours à leurs sentiments à cause des voies qu'ils ont choisi d'emprunter, Ethan et Ilsa soulignent la dimension à la fois romanesque et tragique de celui qui est capable d'escalader la plus haute tour du monde et de réussir les exploits les plus insensés, mais n'en reste pas moins un homme, mortel, fréquemment lâché par ses supérieurs et à qui le bonheur ne cesse de se refuser. Une aspect à travers lequel s'incarne la plus grande force de Rogue Nation. Car si les scènes d'action sont emballées avec une efficacité que l'on ne peut remettre en question, c'est bien sur les personnages et leur interaction que Christopher McQuarrie concentre le gros de ses efforts.

    Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la scène la plus réussie est celle de l'opéra de Vienne, qui repose sur les choix d'Ethan et Ilsa dans ce qui constitue le pivot du récit. Une séquence absolument brillante dans sa façon de gérer la tension, jusqu'au coup de feu qui sonne comme une libération, et grâce à laquelle McQuarrie rend un bel hommage à L'Homme qui en savait trop d'Alfred Hitchcock, cinéaste qui n'en finit plus d'inspirer ceux de la saga lancée en 1996. Avec une réalisation moins enlevée et plus pragmatique que celle de Brad Bird, il fait part de son amour pour le cinéma policier des années 50 et 60, en jouant plus sur le suspense que la tension, malgré quelques facilités et raccourcis qui ternissent un peu l'opinion d'ensemble, et faisant passer les personnages avant l'action.

    D'où ce final anti-spectaculaire, qui repose intégralement sur la mise en scène et le montage, et marque la résurrection de l'IMF, entérinée dans l'ultime séquence, en même temps que la chute de Solomon Lane. Piégé dans une cage à l'épreuve des balles, il assiste au triomphe d'Ethan et de ses valeurs, mais la victoire du héros n'est pas totale pour autant. Car il ne peut suivre Ilsa, désormais libre après avoir joué son rôle auprès du Syndicat, et l'étreinte entre les deux protagonistes apparaît comme une maigre consolation pour celui dont la vie semble éternellement liée à l'espionnage et ses dangers. Et ce même si le "Tu sais où me trouver" prononcé par Rebecca Ferguson sonne comme une note d'espoir et laisse la porte ouverte pour un futur retour.

    Plus classique que son prédécesseur, Mission : Impossible - Rogue Nation confirme la bonne forme de la franchise et son statut de champ d'expérimentation pour les cinéastes, même si Tom Cruise semble avoir tiré un trait sur l'idée d'embaucher des grands réalisateurs de la tremps de Brian De Palma et John Woo à l'époque. Ce qui n'empêche pas les épisodes de faire preuve de nombreuses qualités et c'est davantage par le scénario, son métier de base, que Christopher McQuarrie impose sa patte. Visiblement satisfait d'un opus qui a rapporté 682,7 millions de dollars de recettes dans le monde (deuxième plus gros score de la saga) tout en redonnant à son personnage un côté plus humain, l'interprète d'Ethan Hunt saura très vite où trouver le metteur en scène du suivant.

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