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    Cold War : la "lettre d'amour" de Pawel Pawlikoswki à la Pologne vue par le réalisateur et ses acteurs

    Passé par le dernier Festival de Cannes, où il a remporté le Prix de la Mise en Scène, "Cold War" sort ce mercredi 24 octobre dans nos salles. Un beau drame en noir et blanc sur fond de musique, que le réalisateur et ses acteurs ont évoqué avec nous.

    Nous vous arrêtez pas à son noir et blanc, ni même à son titre : Cold War n'est ni froid, ni austère. Bien au contraire, puisqu'il se focalise sur une histoire d'amour passionnée, sur fond de Guerre Froide et de musique. Présenté en Compétition au Festival de Cannes 2018, le long métrage de Pawel Pawlikowski, Oscar du Meilleur Film Étranger en 2015 avec Ida, a longtemps fait figure de favori pour les prix d'interprétation, tant les prestations de Tomasz Kot et - surtout - Joanna Kulig, ont enchanté la Croisette. Mais c'est finalement le Prix de la Mise en Scène que s'est vu offrir ce drame dont nous ont parlé le réalisateur et ses comédiens.

    AlloCiné : Pourquoi avoir choisi ce titre ? Est-ce de l'ironie, tant il est bien difficile de deviner qu'une belle histoire d'amour se cache derrière ?

    Pawel Pawlikowski : C'est clairement ironique, oui. Tout en décrivant la période dans laquelle le film se déroule, donc il fonctionne des deux façons, mais il est surtout ironique.

    Est-ce aussi une façon de dresser un parallèle avec la situation actuelle ?

    Pawel Pawlikowski : Je n'y ai pas pensé lorsque j'ai trouvé le titre (rires) Mais ça n'était pas l'idée, même s'il y a, effectivement et étrangement, quelques parallèles.

    "Une envie de montrer ce que j'aime de la Pologne avec ce film" - Pawel Pawlikowski

    Il y a aussi beaucoup de similitudes avec "Ida", ne serait-ce que l'usage du noir et blanc et l'époque. Peut-on voir "Cold War" comme le second volet d'une saga sur la Pologne de cette période ?

    Pawel Pawlikoswki : Oui, on peut avoir cette impression. Mon prochain film [Limonov, biopic consacré à l'écrivain et homme politique russe Edouard Limonov, ndlr] ne devrait pas faire partie de cette trilogie, mais il me reste d'autres histoires situées dans ce monde à raconter. C'est une période très riche. Terrible à vivre, mais très bonne pour les histoires.

    On sent en effet que vous cherchez à rendre hommage à l'art polonais, et notamment la musique.

    Pawel Pawlikoswki : Oui, la musique folk, ou la tradition jazz qui était très forte en Pologne. Mais ça n'est pas tant un hommage de ma part qu'une envie de montrer ce que j'aime de la Pologne avec ce film. C'était une lettre d'amour dans un sens, avec les paysages, la musique, le type de femmes... Beaucoup de choses que j'aime et que j'ai voulu évoquer ici.

    Parmi les femmes du film, il y a surtout Zula, jouée par Joanna avec qui vous travaillez pour la troisième fois. Avez-vous écrit le rôle spécialement pour elle ?

    Pawel Pawlikoswki : Non mais je savais qu'elle existait lorsque j'écrivais. Je me disais que je pourrais peut-être trouver quelqu'un d'autre, mais que Joanna pourrait jouer le rôle. J'ai beaucoup pensé à elle, en me demandant ce qu'il serait bien de faire avec le personnage si elle l'interprétait. Elle me permettait de me représenter certains mouvements du corps, ou des flashes de passion, d'irritation, ou des changements de direction qu'elle fait très bien.

    Diaphana Distribution

    Est-ce par rapport à Joanna que vous avez choisi Tomasz pour le rôle de Wiktor ?

    Pawel Pawlikoswki : Oui et le processus de casting a été plus long. Pendant un temps nous espérions trouver un vrai musicien pour le rôle car Joanna est une vraie chanteuse, donc je voulais ajouter cette couche pour que nous les voyons créer de la musique ensemble. Cela peut s'avérer puissant, comme dans les scènes de répétitions. Mais il était très difficile de trouver une personne qui aurait un look raccord avec celui de l'époque tout en étant assez bon acteur et capable de faire preuve de patience face à ma méthode. Et Tomasz possède cette apparence, que peu ont, de jeune premier d'avant-Guerre. Il s'est révélé être, de loin, le meilleur pour le rôle.

    Tomasz Kot : La musique était quelque chose de nouveau pour moi. J'avais déjà joué un personnage lié au disco polonais, mais rien qui ne se réfère à la musique classique ou au jazz. Je n'avais jamais fait de piano, donc il m'a fallu apprendre et passer beaucoup de temps avec Pawel et un pianiste reconnu, qui m'ont fait découvrir différentes combinaisons de musiques. L'expérience était inédite pour moi et j'ai depuis réalisé que grâce à la pratique du piano, ma main gauche était plus flexible. Donc je me suis mis à faire des tours de magie (rires)

    Joanna Kulig : J'avais de mon côté des connaissances musicales, de jazz, et de la pratique. Mais j'ai rencontré des difficultés au moment de combiner cela avec le ballet, la danse. Je ne l'avais jamais fait auparavant et j'ai passé six mois avec un groupe dans ce sens. Nous vivions et dansions ensemble, et j'ai fini par faire partie du groupe pour les besoins du film.

    Pourquoi avez-vous choisi le format 4x3 ? Pour isoler les personnages et montrer qu'il leur est difficile de sortir de la case dans laquelle on les a mis ?

    Pawel Pawlikoswki : Pas tout à fait. C'est plus ce que j'ai fait dans Ida, mais là la caméra bouge. Et c'est un format que j'aime, qui me semble bon pour les portraits et même les paysages, si vous mettez la caméra plus haut pour mieux montrer les arrière-plans. Nous l'avons beaucoup fait ici, et c'est pour cette raison que l'image de Cold War possède plusieurs couches, là où celle d'Ida était plus plate. Mais je n'utilise pas le 4x3 de façon exotique : quand j'ai fait des documentaires, il y a longtemps, je tournais avec une caméra 16mm. C'était avant que la Super 16 ne soit inventée, et ce format était mon format normal pour mettre en images, et pas un grand saut lorsque je l'ai réutilisé par la suite.

    Il y a beaucoup de musique et de chant, surtout au début. Considérez-vous le film comme une comédie musicale ? Ou seulement un drame sur la musique ?

    Pawel Pawlikoswki : Cold War n'est pas une comédie musicale, car il n'en suit pas les conventions. Mais c'est un film dédié à la musique. La musique et le jazz polonais, ou cet ensemble folklorique de ma jeunesse dont je me sens aujourd'hui nostalgique, alors que tout le monde le détestait aujourd'hui car il y en avait partout. La musique est aussi un champ de bataille culturel : le jazz était interdit en Pologne à cette époque. L'ensemble folklorique permettait au gouvernement d'avoir un art du peuple, par opposition à celui, élitiste et décadent venu de l'Occident, comme le jazz ou la musique classique contemporaine.

    Joanna Kulig : La musique joue un grand rôle, elle est comme un autre acteur. Elle aide à construire les personnages et la chanson "Le Cœur", qui revient tout au long du récit, décrit notre relation. On la chante doucement au début, puis arrive une autre version, puis une autre…, et elle parle de deux cœurs qui ne parviennent pas à se rapprocher.

    Tomasz Kot : Pawel nous répétait sans cesse que la musique fonctionnait comme un autre personnage, lorsque nous faisions le film. Joanna et moi jouons les deux personnages principaux, mais il y en a un troisième. Je joue un musicien et j'ai donc dû apprendre à jouer du piano et conduire un orchestre. Mais je ne la ressentais pas sur le plateau, j'étais davantage focalisé sur moi-même, mon personnage, ma relation avec Joanna et Borys [Szyc, interprète de Kaczmarek]. C'était difficile, mais j'ai réalisé que la musique était l'un des personnages principaux en découvrant le film fini, lors de la projection. C'est incroyable mais je ne dirais pas que c'est une comédie musicale. Plutôt un film de musiciens.

    "La musique joue un grand rôle, elle est comme un autre acteur" - Joanna Kulig

    Puisque la musique a été comme un personnage, comment avez-vous trouvé la mélodie, la symphonie entre les deux personnages ?

    Tomsaz Kot : Pawel a une forte personnalité, qui fait de lui un très bon réalisateur. L'un des meilleurs au monde pour moi. Il savait exactement ce qu'il voulait de nous, jusque dans les moindres détails : comment s'asseoir, comment marcher... C'était très impressionnant et nous avons suivi ses indications, même si cela a demandé beaucoup de travail. Mais dans ce type de relation entre metteur en scène et acteur, nous cherchons à nous trouver nous-mêmes, ce qui a été rapide ici. Nous nous sommes vite compris.

    Joanna Kulig : Et Pawel a une bonne oreille musicale, il a donc beaucoup travaillé avec nous pour trouver un rythme proche de celui de la musique. C'est aussi pour cette raison qu'il était aussi attentif aux détails, à la scénographie... L'aspect visuel était très important et toute l'équipe technique était prête à s'adapter, pas seulement les acteurs.

    Tomasz Kot : L'équipe technique qui a été formidable mais beaucoup de ses membres avaient fait Ida. Donc ils connaissaient le style de Pawel, les conditions nécessaires pour un film en noir et blanc. Le costumier m'a d'ailleurs dit qu'il connaissait toutes les nuances de gris depuis ce film (rires)

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 11 mai 2018

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