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    HP : que vaut la série médicale complètement barrée d’OCS ?
    Julia Fernandez
    Julia Fernandez
    -Journaliste Séries TV
    Elevée à « La Trilogie du samedi », accro aux séries HBO, aux sitcoms et aux dramas britanniques, elle suit avec curiosité et enthousiasme l’évolution des séries françaises. Peu importe le genre et le format, tant que les fictions sortent des sentiers battus et aident la société à se raconter.

    Diffusée dès ce soir sur la chaîne, la série douce-amère nous plonge au cœur des troubles psychiatriques et de la dure réalité de l’hôpital. Mais les plus sains d'esprit ne sont pas forcément ceux qu'on imagine...

    De quoi ça parle ?

    HP explore le quotidien d'un hôpital psychiatrique vu à travers les yeux de Sheila, jeune interne à la vie bien ordonnée. Pour elle, la folie peut être précisément définie, mesurée, et surtout soignée. Mais ses certitudes sur la spécialité médicale qu'elle a choisi s'effondrent au fur et à mesure que ses interactions avec les patients lui en apprennent un peu plus sur ses désirs les plus enfouis. Entre un fiancé trop lisse et une mère trop exhubérante, son quotidien va vite lui sembler bien trop normé, et la dureté de l'hôpital psychiatrique va peu à peu devenir un refuge salvateur face au monde extérieur.

    Tous les jeudis soirs à partir du 6 décembre sur OCS (10 épisodes de 26 minutes)

    Ca vaut le coup d'oeil ?

    Les blouses blanches sont légion à la télévision en cette fin d'année. Prix de la meilleure série 26 minutes au festival de la Rochelle en septembre, format consacré de la comédie, HP est pourtant bien plus nuancée dans le traitement de son sujet, et cet équilibre permanent entre légèreté et gravité est son principal atout. Il y a beaucoup de drôlerie latente dans les cas des patients, forcément en décalage avec la norme : on y croise, pêle-mêle, une femme blanche de soixante ans convaincue d'être Beyoncé et se disant victime de discrimination raciale, un patient belge interné depuis dix ans se prenant pour le roi d'un royaume où les enfants naissent dans des bouteilles, et un homme victime du syndrome de Cotard, convaincu d'être mort... Dans l'approche de ces patients, aucun jugement ni misérabilisme, mais beaucoup de tendresse et de subtilité. Sheila, au tempérament très "première de la classe", va bien vite devoir abandonner son manuel de psychiatrie pour se confronter directement à eux et "entrer dans leur jeu" (selon les propos de son mentor, le professeur VDB), car c'est le seul moyen de comprendre d'où viennent leurs fêlures. La définition de la normalité y est beaucoup questionnée : qui, des patients enfermés ou des gens de l'extérieur, sont les plus "sains" d'esprit ? Ceux qui s'astreignent à un quotidien aliénant aux contraintes sociales parfois absurdes, ou ceux qui laissent librent cours à leur personnalité dans toutes ses aspérités ? Au final, qui soigne qui dans cet hôpital ? La réside toute la question de cette réjouissante dramédie. Les psychiatres s'avèrent aussi esquintés que leurs patients, et ont beaucoup à apprendre  sur eux-même à travers eux. C'est ce que va découvrir Sheila : au fur et à mesure que sa psyché se dévoile à travers le rude apprentissage du métier, elle finit par entremêler ses propres affects à sa pratique de la psychiatrie. Mais ceux qui craquent en HP ne sont pas forcément ceux qui paraissent les plus fragiles... 

    Les codes du genre médical sont parfaitement maîtrisés tout au long des dix épisodes, HP ayant été écrite par un duo d'autrices issues de la formation de la Fémis, Angela Soupe (Les textapes d'Alice) et Sarah Santamaria-Mertens, toutes deux biberonnées aux séries américaines. La réalisation, signée Emilie Noblet (Loulou) révèle de subtiles notes de sensualité dès son générique kaléidoscopique aux formes rappelant les tests de Roschach, et sert d'effet miroir aux troubles de l'héroïne, alors qu'elle remet en question sa façon de penser tout en s'éveillant au désir de façon inattendue, au contact du mystérieux Ulysse (Louka Meliava). L'autre force de la série, c'est son casting choral sans aucune fausse note. Tiphaine Daviot, précédemment remarquée dans Zone BlancheLazy Company et le court-métrage Les Bigorneaux primés aux Césars en 2017, livre un subtil mélange de fragilité et de force mentale insoupçonnée. Son co-interne, Jimmy (Raphaël Quenard), cynique et goguenard, sorte de petit diablotin permanent sur l'épaule de Sheila, apporte un contre-point de vue désabusé sur la dure réalité de l'HP. Marie Matheron incarne une "madame Beyoncé"  inattendue et ahurissante, Wim Willaert un King plus attendrissant que jamais, et les deux psychiatres en chef, Elizabeth et VDB (Marie-Sohna Condé et Eric Naggar) sont confondants de sincérité et de justesse, la première au bord du burn-out, le second ayant déjà rendu les armes depuis longtemps. Si, par son sujet, la série n'échappe pas à la comparaison avec Hippocrate, actuellement diffusée sur Canal+, là où HP manque en sophistication dans sa mise en scène due à une économie de moyens, elle gagne en humanité et en tendresse envers ses personnages et délivre un message positif : si on échoue souvent en tant que soignant à sauver tout le monde, on peut parvenir à se sauver soi-même en essayant.

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