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    L'heure de la sortie - Sébastien Marnier : "Ressentir physiquement ce que traverse le personnage de Laurent Lafitte"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Après "Irréprochable" avec Marina Foïs, Sébastien Marnier revient avec le thriller "L'heure de la sortie", porté par Laurent Lafitte et un groupe d'ados. Rencontre avec le cinéaste.

    Haut et Court

    AlloCiné : Parlons d’abord du point de départ de L'Heure de la sortie. C’est un projet que vous souhaitiez faire depuis très longtemps, l’adaptation d’un livre pour lequel vous avez un coup de cœur…

    Sébastien Marnier, réalisateur : J’avais lu ce livre parce qu’on m’en avait parlé en 2002, ça commence à faire un moment. Le livre est sorti, il a eu un joli succès à l’époque. On a lu le livre avec Elise Griffon, la personne avec qui j’ai fait les premiers scripts à l’époque, avec qui je travaillais, et avec qui j’avais fait des courts métrages. On a pris les droits une semaine après avoir lu le livre. On n’avait 25 ans, on n’avait pas encore fait de longs métrages, on n’a pas réussi à le monter financièrement. On a travaillé quand même pendant un an sur ce projet.

    Ce projet me hantait toujours

    Après, quand j’ai fini l’écriture d’Irréprochable (premier long métrage de Sébastien Marnier, avec Marina Foïs, Ndlr.), et qu’on a commencé à chercher les financements avec ma productrice, je lui ai parlé de ce livre et du travail que l’on avait fait dessus. Ce projet me hantait toujours. Donc on a repris les droits. Je n’ai pas voulu relire le livre mais j’ai quand même relu les scripts que j’avais faits à l’époque. Je voulais vraiment travailler sur les souvenirs que j’avais du livre et pourquoi il m’avait impressionné, marqué.

    Tout le travail a été, 15 ans plus tard, de le réadapter aux mômes contemporains. C’est un livre qui parle de la jeunesse, des peurs de la jeunesse, de l’école aussi… Tout le travail de réadaptation, qui est très libre – il ne reste plus grand chose du livre, mais une idée générale -, a été de réactualiser, avec ma vision du monde aujourd’hui, sur les thématiques qui m’intéressaient, comment je pouvais les glisser dans cette histoire, les imbriquer.

    Haut et Court

    Ce qui a guidé cette envie, était-ce avant tout cette atmosphère que vous essayez d’instiller dans le film ou est-ce le propos politique aussi ? C’est sans doute un mélange des deux mais quel a été le déclic ?

    Si j’avais pris les droits du livre, c’est qu’il y avait quelque chose qui avait éveillé en moi des images, des sons… Même si la thématique politique telle qu’elle est dans le film aujourd’hui n’est pas du tout dans le livre de l’époque, il y avait quelque chose qui provoquait de grandes envies de mise en scène. Ce sont d’abord des idées de mise en scène, c’est-à-dire comment filmer un groupe d’adolescent très opaque, car cela résonnait avec des films qui m’étaient chers. De faire un « school movie », j’en avais très envie, et puis cette figure de groupes d’enfants hostiles qui parsème l’histoire du cinéma, et qui permet, je trouve, de raconter des choses sur le monde, la vision de la jeunesse sans que cela de manière frontale ou didactique, à l’abri presque du film de genre.

    Il y avait quelque chose dans le livre qui provoquait de grandes envies de mise en scène

    J’ai toujours eu l’impression, sur tous les films que j’imagine, que cette forme me paraît la bonne, c’est-à-dire de faire passer des messages –même si ce sont plutôt des constats que des solutions-, à travers quelque chose qui soit aussi une expérience pour le spectateur. Il y a plein de gens qui aiment avoir peur au cinéma, être cramponné à son fauteuil. Que ce soit le thriller, le film noir ou même la comédie musicale ou le mélo, tout ce qui a à voir avec la déréalisation du quotidien, je crois que tous les films qu’on aime et qui nous restent, c’est parce qu’ils ont une vision sur le monde. Donc si on peut faire passer une vision de metteur en scène et de réalisateur, c’est ça qui m’intéresse.  

    Bestimage

    Tout de suite, il y a cette atmosphère que vous installez, ça passe évidemment par la mise en scène, le son… C’est assez fascinant la façon dont tout de suite vous arrivez à créer ce climat. Sans nous donner tous vos trucs, mais comment y êtes-vous parvenu ?

    Le film a vraiment été construit comme des expériences presque immersives. C’est déjà ce que j’avais essayé d’expérimenter avec le premier film : tout ce qu’on voit, tout ce qu’on ressent dans le film est vu à travers le regard du personnage principal. Donc il s’agit d’imaginer toute une direction artistique que cela soit sonore, visuel, les costumes, les décors, etc. Que l’on ressente physiquement ce glissement, ce que traverse le personnage de Laurent Lafitte.

    Le film a vraiment été construit comme des expériences presque immersives

    La manière dont le film est mis en scène dès le départ est loin du réalisme. Ce n’est pas naturaliste, mais quelque chose qui prend corps dans quelque chose de quotidien, et de le faire glisser jusqu’à des moments de parano où l’on ne sait plus quelle est la réalité. Est-ce que l’on est dans le fantasme ? Comment mettre en scène aussi progressivement une obsession ? Comment un personnage se renferme dans cette obsession, dans tous les signes qu’il peut y voir ? Avec mon chef opérateur, Romain Carcanade, on a beaucoup travaillé en amont. On a travaillé sur des placements de caméra ou des déformations de lentille. C’est du scope anamorphique qui a voir avec un scope des années 70 avec des déformations qui tout de suite créé une certaine étrangeté, qui permet de déréaliser ce que l’on est en train de filmer. Il y a ensuite le travail du son qui s’ajoute à cela qui est pensé très en amont. Pour moi, le cinéma, c’est vraiment 50-50 : ça passe par ces deux travaux, avec aussi bien le chef opérateur, que le chef opérateur du son. Ce qui fait que l’on rentre aussi vite dans le film, cette ambiance, c’est aussi le travail sonore que l’on a fait. 

    Haut et Court

    On avait plusieurs films de référence évidemment. On avait beaucoup en tête Répulsion. Comment tout l’environnement proche du protagoniste principal se dérègle : comment la maison devient inquiétante ? Comment tout devient inquiétant sans que l’on ne sache à aucun moment d’où va réellement venir le danger. Tout le film consiste en désamorcer des sources. On pense toujours que ce sont les enfants qui sont dangereux dans le film alors que ça n’est jamais le cas, même s’ils ont une arrogance, même si l’on sent qu’ils préparent quelque chose. Mais la manière dont Pierre (Laurent Lafitte) se sent traqué, c’est sa vision à lui. Ce n’est pas la réalité. Par des toutes petites choses, des travellings, une caméra qui est un peu trop basse, qui créé une sorte de bizarrerie aussi. Voilà, c’est tout le travail de la direction artistique, même dans les vêtements des personnages, qui est trop bizarre pour être complètement réelle. On comprend tout ce dérèglement après ce qui se passe à la fin, que tout ça était plausible.  

    Haut et Court

    Parlons du casting adolescent. Vous avez trouvé des comédiens qui participent également à cette atmosphère inquiétante, comme Luana Bajrami, que l'on verra prochainement dans le nouveau film de Céline Sciamma...

    Elle a également tourné entre temps dans le film de Cédric Kahn, Joyeux anniversaire. On a fait un casting pas si gigantesque que ça. On a vu 150 mômes. Nous ne sommes pas partis sur du casting sauvage. Nous n’avons pris que des jeunes qui étaient en agence, qui avaient déjà pas mal d’expérience, car les rôles n’étaient pas simples. C’était de la vraie composition. Avec une coach, on a bossé 4 mois en amont avec eux : comment je voulais qu’ils se déplacent, comment je voulais qu’ils me regardent… Sur la découverte des 12 ados, et les 6 en particulier, je savais que c’était eux, tout de suite. Victor Bonnel et Luana Bajrami en particulier. Ils ont des figures étranges, quelque chose de triste et beau. J’avais une vision qui était presque celle d’un groupe de zombies. Elle a une figure de fantôme japonais. 

    Des jeunes acteurs qui soient vraiment dans un entre-deux

    Il s’agissait aussi de créer un groupe. Avec la directrice de casting, nous ne sommes évidemment pas du tout rentrés dans les détails de leur vie amoureuse, personnelle, etc., mais je tenais vraiment à ce que soit des jeunes acteurs qui soient vraiment dans un entre-deux, entre l’enfance et l’adolescence et l’âge adulte. On ne voulait pas des jeunes qui soient dans une sexualisation. Avec un tout petit truc qui soit encore dans l’enfance, et en même temps des visages graves.

    C’est ce qui me touche le plus d’ailleurs maintenant quand je revois le film, c’est qu’on a réussi à filmer cet instant qui est déjà terminé puisqu’on a tourné le film il y a un peu plus d’un an. Ils ont tous beaucoup changé. C’était important que ce soit des figures d’adolescents pas trop contemporains. Ils ont tous une bizarrerie, une étrangeté qui est assez impénétrable.  

    Haut et Court

    Au sujet de Laurent Lafitte, est-ce par l’intermédiaire de Marina Foïs, héroïne de votre précédent film que vous l’avez rencontré ?

    Oui, c’est grâce à elle que nous nous sommes rencontrés. On s’était croisés à des diners. Ca a toujours été un acteur que j’aimais beaucoup. J’ai eu une révélation assez fracassante avec le film de Paul Verhoeven, Elle. Je trouvais qu’on n’avait encore jamais vu Laurent Lafitte comme ça, qui allait vers un personnage plus froid, presque transparent, alors que Laurent prend énormément place dans les rôles qu’on lui avait proposé jusqu’à présent.

    Quand je lui ai proposé ce rôle, je voulais qu’on travaille ensemble sur presque un effacement. Ca a été également tout le travail du montage. Comment le faire de plus en plus disparaître ? A partir du moment où le spectateur a compris, accepté que tout le film était vu de son point de vue, il y a plein de moments quand on observe les enfants à travers ses yeux, qu’on a plus besoin de le voir. On a aussi beaucoup travaillé sur toutes ces phases de démolition intérieure du personnage. Comment cela devait se ressentir physiquement. C’était intéressant de travailler sur cet aspect avec lui.

    J’aime bien iconiser un peu les acteurs

    Effacement du personnage, mais en même il est très sexy dans le film. Il est très beau, mais là en particulier, on voit qu’il est baraqué !

    J’aime bien iconiser un peu les acteurs. C’est aussi par ça que les acteurs trouvent des beaux rôles. C’est quelque chose qui l’effrayait un peu car il n’avait encore jamais joué sur un truc sexy. Il est très beau, il a toujours été très beau, mais il n’avait joué sur le côté désirable dans un rôle. Il a beaucoup travaillé, il a fait beaucoup de sport pour le film, un peu au même rythme que Marina Fois pour Irréprochable, mais d’une manière différente.

    J’adore filmer les corps. Le personnage de Pierre est un intellectuel, il fait sa thèse, et en même temps, ce que je me racontais, c’est que cette thèse, il ne la finira jamais. Ce personnage est tellement solitaire, qu’il ne vit pas grand chose, il ne vit pas sa sexualité vraiment. Je trouvais que ce truc d’entretien du corps, ça raconte beaucoup de choses sur les adultes. Ce n’est pas un personnage extrêmement sympathique. C’est quelqu’un de surement très égoïste aussi. J’aimais bien que ça soit une espèce d’anti-héros.

    Avez-vous déjà un autre projet en préparation ?

    Oui, on tourne cette année. On ne sait pas encore si ce sera avril, mai ou septembre. On va tourner à Hyères et Porquerolles. Ce sera un thriller sur la famille. On va dézinguer la famille ! 

    La bande-annonce de L'Heure de la sortie :

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet au Festival de La Roche sur Yon en octobre 2018

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