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    C'est ça l'amour : rencontre avec Claire Burger
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Après "Party Girl", Claire Burger revient avec "C'est ça l'amour", son premier long métrage en solo. Porté par Bouli Lanners, en père sensible, et deux jeunes comédiennes remarquables, le film est une touchante variation sur l'amour. Rencontre.

    Mars Films

    L'histoire : Depuis que sa femme est partie, Mario tient la maison et élève seul ses deux filles. Frida, 14 ans, lui reproche le départ de sa mère. Niki, 17 ans, rêve d'indépendance. Mario, lui, attend toujours le retour de sa femme. 

    AlloCiné : Ce qui touche avant tout avec C'est ça l'amour, c'est sa douceur, sa sensibilité, sa justesse. C'est un film qui vous cueille, par sa simplicité...

    Claire Burger, réalisatrice : Avec ce projet, j'avais vraiment envie d'être dans une forme d'humilité, de simplicité et vraiment pas essayer d'être spectaculaire. Mais d'être le plus possible dans quelque chose de sensible et de généreux avec les personnages. Peut être parce que c'est en partie autobiographique. Je n'avais pas du tout envie d'un film où je réglerai mes comptes ou des choses comme ça. Je voulais vraiment essayer de travailler la simplicité et la sincérité des émotions.

    C'est un film qui repose aussi beaucoup sur le jeu des comédiens. J'avais l'impression qu'il fallait que ce soit un film très humaniste. J'ai choisi les comédiens aussi pour leurs qualités personnelles, de ce qu'ils dégagent d'humanité, de générosité, en essayant de faire un film fort en terme d'émotions et de sentiments, plus que de dramaturgie.

    Parlons des comédiens, justement. Sur Party Girl, votre premier long métrage [coréalisé avec Marie Amachoukeli et Samuel Theis], la particularité était que, mis à part Samuel Theis, ça n'était que des comédiens non professionnels. Ici, mis à part Bouli Lanners, ce sont des comédiens qui n'étaient pas connus ou non professionnels. Pouvez-vous me parler de la constitution du casting ?

    C'est assez particulier la façon dont j'ai constitué le casting, parce que, jusqu'à présent, dans mes courts métrages, et sur Party Girl, j'ai presque toujours travaillé avec des non-pros, de ma région. Souvent, je tourne dans ma ville, et parfois même des gens qui jouent leur propre histoire. Il y a des amis, des parents, des gens de ma région.

    Avec C'est ça l'amour, j'avais envie d'explorer un petit peu plus de choses. C'est vraiment un mélange. Il y a Bouli Lanners qui est un comédien professionnel. Il y a Antonia [Buresi], qui anime le groupe Atlas, mais qui joue un peu son propre rôle puisque cette pièce existe vraiment. Autour d'eux, il y a un mélange de comédiens non-pros. Il y a un certain nombre de gens que j'ai trouvé dans la région, comme la plus jeune, Frida. Il y a aussi pas mal de membres de l'équipe, c'est à dire qu'il y a beaucoup de gens qui d'habitude sont derrière la caméra et que j'ai fait passer devant. Par exemple, la mère est la chargée de production. Il y a la chef déco. La camionneuse sur l'aire d'autoroute est la chargée de figuration.

    Pour moi, c'était une façon d'explorer la question du jeu non pro face au jeu pro. Avec le thème de mon film, l'amour, j'avais envie d'essayer de dépasser un peu mes a priori, de voir ce qui peut sonner entre les gens. Par exemple, les deux sœurs : il y en a une qui est du coin, de Forbach, la petite, mais l'autre est parisienne. Je me posais la question que même en terme de milieu social, si ça pouvait coller, etc. Mais j'ai essayé de travailler avec eux. La façon dont je les ai choisi fait, je crois, qu'on ne se pose pas la question de leurs différences d'accent, de milieux sociaux. Comme Bouli [Lanners], ce sont des gens qui ont une immense sensibilité et ce qui circule entre eux, le côté famille, on y croit, alors qu'ils viennent d'endroits totalement différents.

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    Etait-ce une expérience très différente d'avoir à diriger un comédien professionnel ? 

    J'avais déjà dirigé des comédiens professionnels (Salomé Richard et Jean Benoit Ugeux), dans un court métrage qui s'appelait Demolition Party. On avait beaucoup travaillé sur l'improvisation. Pour C'est ça l'amour, avec Bouli et les autres comédiens du film, j'ai travaillé sans improvisation. Les dialogues étaient écrits. Parce que j'avais décidé dès l'écriture du scénario de ne pas travailler autour de l'improvisation, et parce que le personnage de Mario est assez difficile à jouer car il passe par beaucoup d'émotions, et doit tenir ça toute la durée du film.

    Par ailleurs, je voulais quelqu'un qui puisse s'inscrire dans cette région, dans l'Est. Je suis assez vite allée voir du côté des belges. Et comme je m'inspirais de mon père, j'essayais de retrouver des caractères. Chez lui, il y a beaucoup d'enfance, d'espièglerie. Je cherchais un homme qui n'exprime pas sa virilité dans les clichés habituels et qui peut s'autoriser à être vraiment très sensible. Mais dans cette tranche d'âge, la cinquantaine, il n'y a pas tant de comédiens qui sont sur cette ligne.

    Bouli a vraiment une immense sensibilité qui se voit sur son visage, dans son regard. Dans la façon de travailler, ça a été finalement assez simple parce que c'est quelqu'un de très précis dans son jeu, quelqu'un qui est vraiment un bosseur. Il avait aussi la générosité d'accepter de passer énormément de temps à donner la réplique à des non-pros, de mettre à l'aise ses partenaires de jeu et de participer à cette aventure humaine. On a fonctionné un peu comme une petite famille sur le plateau, dans des liens vraiment étroits et très chouettes. 

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    Vous avez devancé une de mes questions sur l'improvisation. Sur Party Girl, il y avait une façon de travailler très particulière, avec beaucoup d'impro. Pour ce film, tout était donc très écrit. Diriez-vous que c'était à l'opposé de Party Girl dans la méthode ?

    Il y a quand même des choses que j'ai conservées dans la méthode. Par exemple, le fait de ne pas contraindre les comédiens avec des marques au sol. Pour que les comédiens soient très libres dans leur corps, leurs déplacements. On a aussi travaillé en lumière naturelle pour que les temps d'installation de lumière soient les plus réduits possibles. 

    En revanche, pour la question du texte, toutes les répliques étaient écrites. Ils devaient jouer ce qu'ils avaient appris auparavant. Je voulais conserver ce que j'avais écrit car justement l'histoire est tellement ténue, tellement sur un fil, de quelque chose vraiment très sensible, mais qui se déploie, que je ne pouvais pas m'autoriser des choses vraiment très différentes de ce que j'avais écrit. C'est un film qui tient aussi beaucoup sur le quiproquo et pour le conserver il fallait qu'ils jouent leur texte. 

    Un autre aspect intéressant est la façon dont les histoires s'entremêlent, un peu comme si une histoire d'amour en cachait une autre. On découvre tout cela par touches…

    C'était une période de ma vie pendant laquelle j'avais envie de me poser la question de ce qu'était l'amour, parce que j'en avais souffert, j'avais fait souffrir des gens et parce que je revisitais mon adolescence et l'histoire de mes parents, avec un âge adulte où je comprenais des choses que je n'avais pas compris à l'époque. Me poser sincèrement la question de ce qu'était l'amour. J'ai très vite compris que je n'allais pas avoir une réponse évidente et claire à cette question. A savoir que l'amour, c'était beaucoup de choses, à beaucoup de moments différents de la vie. Très vite, j'ai décidé que ce serait l'histoire du père et que j'essaierai d'être dans son point de vue, parce que ça m'intéressait en tant que femme d'essayer d'être dans le point de vue d'un homme sensible. 

    Ce qui m'intéressait aussi était de voir comment entremêler les histoires des différents personnages et des différentes étapes de leur rapport à l'amour. Mais aussi parce que l'amour, c'est du lien, des choses qui se tissent, reliées les unes aux autres sans qu'on comprenne exactement pourquoi. Ce ne sont que des variations autour de ce thème, incarnées à chaque fois par des personnages différents. L'idée est d'essayer de former un tout, dans une forme de polyphonie, que ce soit l'amour pour les membres de sa famille, entre sœurs, l'amour avec des amis, le fait de tomber amoureux réellement d'un amant, d'une amante... Toutes ces choses en mosaïque constituent un grand sentiment très ample. Ce sentiment est difficile à dire, mais peut être peut on le faire ressentir. J'ai essayé avec le film de trouver comment, petit à petit, en construisant quelque chose, on pouvait ressentir de l'amour pour les personnages. 

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    La culture et sa transmission occupe une place importance dans le film. Comme ce film est en partie autobiographique, j'imagine que la culture vous a accompagné dans votre jeunesse. Quelle est plus précisément celle qui a fait que vous êtes cinéaste aujourd'hui ?

    Je ne savais pas que j'allais devenir cinéaste. Cela a été une très heureuse surprise et chance dans ma vie. Mais en effet, ce rapport à la culture, que l'on peut voir dans mon film, vient de mon enfance, et justement de ce que mon père m'a transmis. La culture a tenu une place dans mon éducation, mon quotidien, parce que c'était le cas pour mon père. J'ai grandi en province. Mon père est fonctionnaire de sous-préfecture.

    Sa vie n'est pas toujours multicolore, mais par contre, il fréquente les musées, les concerts, les expos, les cinémas... dans une forme d'avidité, parce que je pense vraiment que la culture le nourrit, le remplit émotionnellement, et le construit aussi, ce que sa vie ne lui offre pas toujours. C'est quelque chose qu'il a vraiment eu à coeur de nous transmettre à ma soeur et moi.

    Quand j'étais plus jeune, je trainais vraiment les pieds quand il nous emmenait comme ça dans tous ces endroits. Parce que c'est fatigant. Et quand on est jeune, souvent, on a d'autres envies. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui à 40 ans, avec mon parcours, je vois bien que tous ces endroits où il nous a amené, tout ce qui nous a nourri, ça a formé mon oreille, mon regard, ma sensibilité. Je lui dois beaucoup aujourd'hui si je suis cinéaste. Il m'a permis de penser que la culture, c'est important. Le regard que l'on porte sur le monde dans la créativité, ça peut apporter des choses aux autres.

    C'était important de faire un film en hommage à mon père, qui rendait grâce à ce qu'il m'avait offert à ce sujet. Mais aussi, encore une fois, parce que l'amour est beaucoup de l'ordre de la transmission. Ce ne sont pas seulement les moments que l'on vit ensemble, mais aussi les choses qu'on se donne. Ce qu'on s'apprend les uns aux autres. C'est vraiment très relié à l'amour. Je crois vraiment que la culture dans la vie de beaucoup de gens est quelque chose d'essentiel, de vital. Maintenant que je vis à Paris, je vois aussi la dimension sociale que ça peut avoir, le côté élitiste de l'entre-soi, de pouvoir se dire 'je suis allé à telle expo', etc. Mais ça me tenait à coeur aussi de parler de ce rapport beaucoup plus simple, et beaucoup plus vital. 

    Dorothee Smith

    Quels sont les réalisateurs que votre père vous a montré ? Quels sont les cinéastes qui vous ont éveillés ?

    Parmi les cinéastes qui ont compté pour moi plus jeune, il y a Pialat, Cassavettes... Aujourd'hui, il y a de nouveaux cinéastes comme Joachim Trier qui vraiment m'impressionnent beaucoup dans leur travail. Mon père m'a trimballé dans un certain nombre d'expos, mais le cinéma était moins son domaine. C'est peut être pour ça que j'ai choisi celui-là. Il m'a beaucoup amenée dans un festival de cinéma en Allemagne car j'habitais à la frontière allemande. Mais je crois que ce n'était pas son endroit. Mais par contre, ce rapport à la culture, c'est ça qui m'a amené au cinéma, ça c'est sûr.

    La bande-annonce de C'est ça l'amour, à l'affiche ce mercredi :

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet au Festival de La Roche-sur-Yon 2018

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